Les groupes islamistes armés alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique s’en prennent au système éducatif avec un impact dévastateur sur des enseignants et des élèves
(New York, le 26 mai 2020) – La multiplication des attaques lancées par des groupes armés islamistes contre des enseignants, des élèves et des écoles au Burkina Faso depuis 2017 a des répercussions dévastatrices sur l’accès des enfants à l’éducation, révèle Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 114 pages, intitulé « ‘Leur combat contre l’éducation’ : Attaques commises par des groupes armés contre des enseignants, des élèves et des écoles au Burkina Faso », documente des dizaines d’attaques perpétrées par des groupes armés islamistes contre le secteur de l’éducation entre 2017 et 2020, dans six des 13 régions du pays. Ces groupes ont tué, battu, enlevé et menacé des professionnels de l’éducation ; intimidé des élèves ; terrorisé des parents d’élèves afin qu’ils n’envoient pas leurs enfants à l’école ; et endommagé, détruit et pillé des écoles.
« Non seulement les groupes armés islamistes qui ciblent des enseignants, des élèves et des écoles au Burkina Faso commettent des crimes de guerre, mais ils balaient des années de progrès ayant facilité l’accès des enfants à l’éducation », a affirmé Lauren Seibert, chercheuse auprès de la division Droits des enfants de Human Rights Watch et auteure du rapport. « Le gouvernement burkinabè devrait enquêter sur ces attaques, veiller à la rescolarisation des enfants affectés, et apporter toute l’aide nécessaire aux travailleurs de l’éducation qui ont subi des attaques. »
Human Rights Watch a interrogé plus de 170 personnes de décembre 2019 à avril 2020 ainsi que des témoins
Des groupes armés islamistes alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique ont commencé à attaquer des enseignants et des écoles au Burkina Faso en 2017, invoquant leur opposition à l’éducation « française », ou de style occidental, et aux institutions gouvernementales. Depuis, ces attaques se sont multipliées chaque année.
Human Rights Watch a documenté 126 attaques et menaces armées visant des professionnels de l’éducation, des élèves et des écoles, plus de la moitié de ces attaques s’étant déroulées en 2019. Au moins 12 professionnels de l’éducation ont été tués et 17 agressés ou enlevés dans les attaques documentées, de nombreux autres ayant été détenus de force et menacés.
Des enseignants et des administrateurs d’établissements scolaires ont raconté qu’ils avaient été enchaînés ou attachés, parfois avec les yeux bandés, battus, et que leurs biens avaient été volés ou brûlés. Parmi les personnes tuées figurent cinq enseignants abattus dans une école primaire ; un enseignant et un directeur d’école abattus à leur domicile ; quatre enseignants et administrateurs enlevés et tués, dont deux ont été décapités ; et un enseignant bénévole retraité, abattu alors qu’il donnait des cours de soutien à des enfants.
Dans une lettre adressée à Human Rights Watch en mai 2020, le ministère de l’Éducation a signalé que selon les chiffres disponibles en fin avril 2020, au moins 222 travailleurs de l’éducation avaient été « victimes d’attaques terroristes ».
Bien que les islamistes armés n’aient apparemment pas ciblé d’enfants lors de leurs attaques dans des écoles, ils ont souvent tiré des coups de feu en l’air afin de terrifier élèves et enseignants. « J’avais tellement peur. Nous avons pensé qu’ils venaient pour nous tuer », a expliqué une élève. Une jeune fille de 14 ans a été tuée par une balle perdue lors d’une attaque menée dans une école en 2018. Sept élèves qui rentraient de vacances faisaient partie des 14 personnes tuées lorsqu’un engin explosif a détoné sous leur car de transport en janvier 2020.
2 500 écoles fermées à cause des attaques privant près de 350 000 élèves d’un accès à l’éducation.
Des hommes armés ont endommagé ou pillé des écoles dans au moins 84 des cas documentés, notamment en incendiant des infrastructures scolaires et matériels pédagogiques, en faisant détoner des explosifs, en tirant des coups de feu en direction d’écoles, et en pillant des magasins de vivres.
Avant que le gouvernement burkinabè ne ferme tous les établissements scolaires à l’échelle nationale en réponse à la pandémie de Covid-19 à la mi-mars, 2 500 écoles avaient déjà fermé à cause des attaques ou de l’insécurité, privant près de 350 000 élèves d’un accès à l’éducation.
« Toutes les écoles ici sont fermées [à cause des attaques et de l’insécurité] », a commenté en février un professionnel de l’éducation du village de Namssiguia, situé dans la région du Centre-Nord. « Nous prions pour que la situation s’améliore afin que les enfants puissent retourner à l’école, parce qu’ils souffrent. »
Les violences perpétrées par des groupes armés islamistes au Burkina Faso – et, en réaction à celles-ci, par des milices d’autodéfense et des forces de sécurité gouvernementales – se sont progressivement intensifiées depuis l’émergence du groupe armé islamiste burkinabè Ansaroul Islam en 2016. Une flambée d’attaques enregistrée en 2019 s’est poursuivie en 2020, conduisant au déplacement interne de plus de 830 000 personnes ayant dû fuir leur domicile.
Entre la mi-2017 et la mi-2019, les pays du Sahel central que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont vu leurs fermetures d’écoles multipliées par six en raison d’attaques et de l’insécurité. Début 2020, le Burkina Faso enregistrait un plus grand nombre de fermetures d’écoles que le Mali (1 261) et le Niger (354) réunis.
Par ailleurs, l’utilisation des écoles à des fins militaires, par exemple en les convertissant en bases militaires, expose les infrastructures éducatives à des risques. Human Rights Watch a ainsi documenté l’utilisation de dix écoles par des forces de sécurité burkinabè et de six par des groupes armés islamistes, ainsi que des attaques perpétrées par des islamistes armés contre quatre écoles pendant ou directement après leur occupation par les forces armées burkinabè.
Les attaques ont eu des répercussions profondes sur des élèves et des enseignants, engendrant notamment des traumatismes et des problèmes de santé mentale, le retrait d’élèves des écoles provoqué par un sentiment de peur, des dangers associés aux déplacements que des enfants ont effectués pour se rendre dans des nouvelles écoles, et, parmi les enfants déscolarisés, une hausse de la main-d’œuvre infantile et du risque de mariage précoce des filles.