Biens mal acquis et mal rendus ?

Sept ans après la première plainte de l’association Sherpa dans l’affaire des biens mal acquis des dictateurs africains, s’ouvre la perspective de grands procès. Et de nouvelles difficultés.

bma-chaiseporteurDes voitures de luxe par dizaines, un hôtel particulier que les policiers auront mis deux semaines à vider de ses très onéreux bibelots, sans compter les centaines de factures recueillies dans des échoppes de l’avenue Montaigne, lors des ventes aux enchères de la collection Yves Saint-Laurent-Pierre Bergé… Ou les appartements, maisons et résidences, acquis ou ripolinés pour des sommes indécentes, puisées dans les trésoreries de pays où le PIB par habitant demeure ridiculement bas.

La liste des biens et avoirs saisis au cours des instructions portant sur les Biens Mal Acquis des dictateurs, la plupart africains, en France, a laissé entrevoir le goût pour l’art de vivre occidental des dirigeants du noir continent. Lancée en 2007 après une première plainte de l’association Sherpa, la procédure a dû franchir bien des obstacles pour prospérer. D’abord les écueils politiques et diplomatiques, qui ont pesé sur le bon déroulement de la justice. Il a fallu toute l’abnégation du président de l’ONG, Me William Bourdon, l’obstination de Transparency International pour faire plier les juridictions. D’abord classée sans suite, la plainte n’a pu être instruite qu’après une décision de la Cour de Cassation, qui a renvoyé le parquet de Paris dans les cordes. Au passage, de vieilles notes de Tracfin, le service anti-blanchiment de Bercy, sont apparues. Et une triste réalité. Tout au long des années 2000, des notes des services de l’Etat ont dénoncé les agissements et les flux financiers venus du pré-carré africain (Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun etc…) de la France pour abonder des comptes ou des achats sur le territoire hexagonal. Sans que les gouvernements successifs ne daignent agir.

Des temps révolus?  Des membres de la famille Bongo, régnante au Gabon, s’est plainte auprès de l’Elysée lors du dernier sommet Françafrique que les enquêteurs de l’OCRGDF suivaient leurs pas dans la capitale, récupérant les factures acquittés auprès des grands hôteliers et bijoutiers de la place Vendôme. Même son de cloche du côté des Sassou Nguesso – le clan qui tient le Congo-Brazzaville. Quant à la Guinée Equatoriale, seul pays à voir un de ses dirigeants mis en examen, elle en a été réduite à se féliciter qu’Interpol cesse la diffusion internationale du mandat de recherche de l’héritier, Téodorino Obiang, ancien ministre de l’Agriculture devenu depuis deuxième vice-président en charge de la Défense. Une petit victoire quand les comptes pèsent.

Pour près de 100 millions d’euros confisqués

« On en est à près de 100 millions d’euros saisis», estime l’un des avocats de la Guinée Equatoriale, petit Etat devenu la nouvelle puissance pétrolière du continent au tournant du XXIe siècle. Et le conseil de faire un peu de prédiction judiciaire. « A priori, les dossiers seront saucissonnés, avec un volet Congo, un volet Gabon et un volet Guinée Equatoriale.» L’homme de loi pronostique même les réquisitions qui seront proposées par le parquet, pour blanchiment et recel de détournements de fonds publics. «S’ils demandent moins de 8 ans, cela sera ridicule», glisse-t-il dans un sourire carnassier, avant de décrire la simplicité de sa stratégie de défense. «On reproche à M. Obiang d’avoir été entrepreneur dans le bois avec la Somagui et ministre de l’Agriculture et des Forets. C’est peut-être moralement condamnable, mais en Guinée c’est légal». Et de s’amuser de l’épineuse question de la restitution des avoirs et biens confisqués. Sans trop présager de l’avenir, les règnes des familles Sassou, Bongo et Obiang ne sont pas près de s’achever. Du moins dans un futur proche. Or l’argent saisi par la justice française au nom de détournements de fonds publics par les membres de ces familles devrait, en toute logique, être rendu aux pays… dirigés par ces mêmes familles. Un retour à l’envoyeur guère satisfaisant, d’autant que la confusion entre argent public et cagnotte privée ne semble pas, de Malabo à Brazzaville en passant par Libreville, être une pratique dépassée. Garder l’argent ouvrirait a contrario un boulevard à ces familles, au discours déjà rôdé sur le pillage par une justice coloniale des ressources de leurs pays…

Un saisi pour un rendu ?

Ce léger souci a été au coeur du colloque organisé par Sherpa et l’Observatoire géopolitique des criminalités, le 31 janvier dernier. «Rendre des avoirs à des Etats de droit ne pose pas de souci, a résumé Bertrand Bertossa, ancien procureur général de Genève. Mais quand les dictateurs sont encore au pouvoir, comme au Gabon ou quand les Etats sont faibles?  En Suisse, nous avions restitué 18 millions de dollars à l’Ukraine, placés dans une fondation qui devait réaliser des travaux d’intérêt publics, ce n’est pas franchement satisfaisant». Demeure un espoir, allumé par Me William Bourdon. «Le droit se construit.» Au fil des dossiers des Bien Mal Acquis, des avancées essentielles ont été accomplies. La possibilité pour les grandes associations de représenter les victimes silencieuses de la corruption, le détachement des actes de corruption du statut de chef d’Etat, qui jouit lui d’une immunité. Et l’avocat d’évoquer des pistes pour assurer une restitution constructive des biens. Comme la création d’une «banque internationale dédiée». Un autre combat. Pour que les Biens mal acquis soient bien rendus.

PAR XAVIER MONNIER