Depuis que son frère est intronisé aux commandes de l’Algérie en 1999, Said Bouteflika pèse de tout son poids sur les décisions du président algérien, diminué par son accident vasculaire. Présent à Paris la semaine dernière où il rencontrait les plus hautes autorités de l’Etat français, y compris au sein des services, l’homme fort de l’Algérie « vendait » le quatrième mandat aux autorités françaises sur le thème: la nomination d’un vice président résoudra en douceur la transition de mon frère. Portrait.
Enseignant effacé à l´université des sciences et de la Technologie d’Alger Houari-Boumediene jusqu´en 1999, année de l’élection d´Abdelaziz Bouteflika, l’homme à la frêle silhouette a fait du chemin depuis. Pivot du « clan » présidentiel, Said Bouteflika avait même rêvé de succéder à son propre frère. Les révoltes arabes de 2011 ont contrecarré le plan de succession ouverte mais n’ont en rien entamé la soif de pouvoir grandissante d’un homme que rien ne prédestinait à un tel rôle.
Saïd Bouteflika est natif de Oujda, première ville marocaine aux frontières Ouest de l’Algérie. Il y voit le jour en 1957, un an avant le décès de son père, mandataire de marché de gros. L’éducation du garçon incombe à sa mère, Mansouriah, décédé en juillet 2009. Gérante d’un bain maure dans cette ville marocaine, «El Hadja», comme la surnomme les proches de la famille, a su tenir ses enfants en l’absence du père. Sévère, comme savent l’être les femmes qui élèvent seules leurs enfants dans les sociétés orientales, elle veillera sur l’éducation de son benjamin. Né 20 ans après son frère ainé, il occupera beaucoup plus la place du fils que celle du frère cadet dans le cœur de Abdelaziz Bouteflika.
Dans l’ombre de son frère
La famille s´installe en Algérie aux lendemains de l’indépendance algérienne. Abdelaziz Bouteflika, âgé d’à peine 26 ans, est nommé ministre de la jeunesse sous la présidence d’Ahmed Ben Bella avant de devenir le chef de la diplomatie de Boumediene après le putsch de juin 1965. Les Bouteflika élisent alors domicile à El Biar sur les hauteurs d’Alger.
Protégé, dorloté, choyé, Saïd Bouteflika fera ses classes primaires et secondaires chez les Pères blancs au Saint-Joseph. Timide et réservé, Saïd le collégien n’était pas particulièrement brillant. Tout juste moyen mais ceux qui ont fréquenté le même établissement que lui se souviennent d’un garçon dont rien n’indiquait que le frère était le plus proche adjoint du tout puissant Boumediene. Saïd Bouteflika n’était pas frimeur et encore moins prétentieux. « C’était plutôt un garçon humble et effacé », s’accordent à dire tous ceux qui l’ont croisé à cette période de sa vie.
De la fac à la Présidence
Après avoir terminé ses études universitaires à Bab Ezzouar en 1983, il prépare un doctorat de troisième cycle en informatique à Paris. De retour à Alger en 1987, son frère Abdelaziz qui était en disgrâce du régime depuis la mort de Boumedienne, réintègre, à nouveau, le comité central du Front de Libération National (FLN) unique parti légal alors du pays. C’est dans cette nouvelle ambiance conciliatrice qu’il réintègre l’université algérienne.
Enseignant à l´université où il a fait ses études supérieures, il se tient à l’écart de la politique. Ce qui ne l’empêche pas d’adhérer au syndicat indépendant des enseignants du supérieur le célèbre CNES. Un syndicat qui avait réussi à bloquer l’université par une grève qui a duré plus de six mois en 1996. Ses collègues au sein de la même structure font le portrait d’un homme discipliné qui prenait part à toutes les réunions et qui suivait les mots d’ordre de toutes les grèves, très nombreuses à l’époque. D’autres croient savoir qu’il était proche des trotskistes très nombreux au sein de l’université algériennes. Ses étudiants retiendront de lui, l’image d’un professeur calme et sans histoires.
La démission de Liamine Zeroual en septembre 1999 et la cooptation de Abdelaziz Bouteflika à la tête du pays en avril 1999, propulsera l’homme effacé aux devants de la scène politique algérienne.
Au palais d´El-Mouradia, siège de la présidence algérienne, le nouveau Président qui se méfiait des cadres qui s’y trouvaient, s´entoure vite fait, de sa famille. Saïd devient son conseiller spécial. Zhor, sa sœur, sage-femme de profession, prend soin de lui et assure la confection de ses repas. Mustapha, décédé en juillet 2010, était quand à lui médecin spécialiste en ORL. Il sera, désormais, nommé médecin personnel du Président. Tous sont nommés par décrets non publiables. Les deux autres frères restent en retrait. Abdelghani, le demi frère, est avocat à Paris et Nacer occupe toujours son poste de secrétaire général du ministère de la Formation professionnelle.
Officiellement, Saïd devait s’occuper du service informatique de la Présidence. Officieusement il est l’œil et l’oreille de son frère. La présence d’hommes puissants au sein de la présidence à l’époque, à l’instar de Ali Benflis, directeur du cabinet et le puissant général Larbi Belkhir rendaient la vie difficile à Saïd. La défection de Ali Benflis, devenu alors chef du FLN, accroit le poids du benjamin de la famille. Il devient le seul homme à bénéficier de la confiance absolue d’un Président de plus en plus méfiant et soupçonneux.
Au plus près du monde des affaires
Saïd se doit alors d’approcher certains ministres et s’entourent d’hommes d’affaires qui ne le lâchent plus d’une semelle. Certains affirment que c’est la proximité et l’emprise de ces derniers qui fera changer l’homme. Le requin en lui fait son apparition alors que son frère venait de décrocher son second mandat. C’est à partir de ce mandat-là que « le clan » fera parler de lui. L’ulcère hémorragique du chef de l’État survenu en 2005, permettra à Saïd d’assoir son pouvoir. Et comme l’appétit vient en mangeant, le frère conseiller devient incontournable pour toute affaire. On affirme qu’il ne lâche plus rien. Des gros contrats aux toutes petites transactions, Saïd bouteflika se taille sa part en commission. Projets de la Sonatrach, autoroute est-ouest, concession agricoles, projets touristiques et jusqu’aux marchés publics, Saïd est derrière toutes les transactions douteuses, dit-on. Ses amis notamment Ali Haddad et Rédha Kouninef profitent de cette proximité pour édifier de véritables empires financiers.
Le deuxième mandat touche à son terme et Bouteflika ne pourra plus rempiler. La constitution de l’époque limitant les mandats présidentiels à deux. Elle sera alors amendée. Bouteflika brigue un troisième mandat et Saïd caresse secrètement la succession. Pour cela, il met au pas hommes d´affaires et organisations patronales, qui contribuent à hauteur de 40 % au financement de la campagne électorale du troisième mandat. De nombreux hommes d’affaires ont mis des milliards de dinars dans la cagnotte du candidat-président par crainte d’être privés de marchés. Mission accomplie.
Les Bouteflika s’assurent cinq nouvelles années à la Présidence algérienne. Des années où les affaires prospèrent mais la «fête» est gâchée par les échos des scandales financiers dans lesquels trempe le frère cadet du Président. Même si en apparence Saïd Bouteflika n’a pas à s’en inquiéter, «le clan» sait qu’il y est jusqu’au cou. Les câbles de Wikileaks publiés par le quotidien espagnol El Païs, relayés par l’hebdomadaire Jeune Afrique, soulignent cette implication. Bernard Bajolet, actuel DGSE en France, alors ambassadeur à Alger y révèle que : «la corruption, qui remonte jusqu’aux frères de Bouteflika [Saïd et Abdalghani], a atteint un nouveau sommet et interfère dans le développement économique». Un ancien officier des services algériens, reconverti au journalisme, s’emploie à révéler le côté sale de « la famille régnante ». Entré en conflit direct avec le frère cadet de Bouteflika, il publie dans deux journaux, Mon Journal et Jaridati, des affaires scabreuses. Véritables scandales ou cabales médiatiques ? Les apparences, en tout cas, enfoncent un peu plus le benjamin des Bouteflika qui poussera le journaliste à fuir le pays et condamnera les deux journaux au silence. Hichem Aboud, car c’est de lui qu’il s’agit, ne baissera pas pour autant, les bras.
Il décide d’exploiter ces dossiers et publie un brûlot : « L’Algérie des Bouteflika : vol, vice et corruption» ,qui s’attaque ouvertement au frère cadet du président de la République, très violemment dénoncé. L’altercation entre les deux hommes, par médias interposés, a marqué la pré-campagne d’Abdelaziz Bouteflika.
La hantise des poursuites judiciaires
Comment se mettre à l’abri des éclaboussures de ces scandales et comment surtout être à l’abri des potentielles poursuites judicaires? Saïd Bouteflika et le clan n’avaient plus le choix. Continuer à régner en attendant de conclure une tractation concomitante avec les militaires notamment le patron des services ? C’est dans ces conditions que Abdelaziz Bouteflika, très amoindri, malade, postule une nouvelle fois à la présidence algérienne.
Saïd veille une nouvelle fois au grain. Il ne veut rien négliger pour reconduire son frère à la tête de l’État algérien une quatrième fois. On déstabilise les partis politiques, on intimide les organisations patronales et on menace de priver les organisations de masses de subventions si elles ne montrent pas patte blanche. Les patrons sont mis à forte contribution. C’est d’ailleurs les amis dévoués de Saïd qui lèvent les fonds pour la campagne du candidat président. Le plus en vue n’est autre que Ali Haddad, patron de l’ETRHB. Dans la journée qui a suivi le dépôt de candidature d’Abdelaziz Bouteflika au Conseil Constitutionnel, soit le 4 mars, il a réuni à l’hôtel Aurassi des membres influents du Forum des Chefs d’entreprises (FCE) et a invité les patrons à s’engager par écrit à financer la campagne de Bouteflika. Haddad, en fait, ne fait que servir ses propres intérêts. L’ETRHB, son groupe, créé à la fin des années 80, a connu un essor fulgurant depuis l’avènement d’Abdelaziz Bouteflika. Le groupe des frères Haddad a en effet bénéficié d’un « plan de charge » de 200 milliards de DA au titre des programmes successifs d’infrastructures, soit près de 2 milliards d’euros. Il bénéficiera de la commande publique qui lui permet de se hisser au statut de premier groupe de travaux publics du pays. Même chose pour Réda Kouninef. Le patron du Groupe KOUGC et les Bouteflika sont liés par une vieille amitié familiale. Le groupe réalise une croissance annuelle à deux chiffres (10 %). La moyenne entreprise d’il y a une décennie rivalise aujourd’hui avec les majors mondiaux au sud, révèle le site économique Maghreb Emergent qui s’est intéressé aux patrons qui soutiennent le candidat président. Ces deux puissants hommes d’affaires et néanmoins amis de Saïd ne sont pas les seuls à vouloir reconduire les Bouteflika. Si les intérêts de Haddad et de Kouninef sont directement liés à l’attribution des marchés publics, ceux de Taib Ezzraimi Abdelkader et Mohamed Laid Benamor ne le sont pas. Les deux patrons veulent par leur soutien se mettre à l’abri des foudres de Saïd qui a les moyens de mettre un frein à leurs affaires pour ne pas dire les ruiner. Ces deux patrons, comme de nombreux autres hommes d’affaires financeront une chaine de télévision «jetable » consacré » à la campagne de Bouteflika. Rien que cette chaine, qui cessera d’émettre à la fin de la campagne électorale, coûtera à ces richissimes Algériens la bagatelle de 180 milliards de dinars algériens, soit près de1,8 milliard euros.
Saïd, qui tient toutes ces ficelles, ira puiser dans le personnel de la télévision publique pour faire marcher la chaine de propagande baptisée désormais Wiam, (concorde en arabe). On exerce une pression grandissante sur les journalistes et les techniciens qui y travaillent pour se mettre en congé et rejoindre la chaine le temps de la campagne.
Si les précédentes campagnes de Bouteflika ont «exigé» autant de ralliements des partis politiques et des organisations civiles et patronales, jamais l’argent n’a été aussi insolemment exhibé. On ne s’en cache plus et on n’a pas honte dont on use pour l’amasser. Aussi on l’étale effrontément au risque de voir les Algériens le qualifier par «l’argent sale de l’ère bouteflikienne ».
C’est bien pour rester à la tête de l’empire financier que Saïd et le clan ont opéré le passage en force pour imposer Bouiteflika ? Saïd a jeté dans cette bataille tous ses pions et a dévoilé toutes ces cartes. Aura-t-il pour autant gain de cause ?
L’Algérie du 18 avril qui aura reconduit un homme impotent se trouvera face à un problème qui perdure depuis la maladie du chef de l’État. Qui gouverne l’Algérie ? Une situation difficile à gérer pour l’homme tapi dans l’ombre de son frère.