Algérie, la tentation de la répression

Les forces sécuritaires cherchent à canaliser et à freiner les mobilisations populaires qui embrasent, chaque vendredi, l’espace public algérien

https://fr.euronews.com/2019/05/17/manifestations-les-algeriens-repoussent-la-police-a-alger

Le chef d’état major et vice ministre de la Défense, Gaid Salah, qui affirmait, début mars, vouloir « accompagner la volonté populaire » est-il encore cru aujourd’hui par les millions d’Algériens et d’Algériennes qui s’emparent de la rue chaque vendredi? Rien n’est moins sur. «  Qu’ils dégagent tous ». Tel est le slogan le plus repris au cours des manifestations hebdomadaires.

On assiste à une montée en puissance des slogans hostiles au patron de l’armée. « Gaïd Salah, dégage! », « C’est notre armée mais Gaïd nous a trahi », « Gaïd partez en retraite. Le peuple veut sa transition. Allez vous en! », « Gaïd Salah, ne règle pas tes comptes sur le dos du peuple », « Le peuple veut un constitutionnel et pas un pouvoir à la Sissi » .

La rue algérienne craint que Gaïd Salah ne prenne exemple sur le maréchal Sissi, l’actuel dictateur égyptien qui a brisé le printemps égyptien en 2013 après avoir fait mine de s’incliner devant la volonté populaire.

Des visas au compte goutte

Plusieurs analyses parues dans la presse francophone ces derniers jours ( « El Watan », « La Liberté », « le Quotidien d’Oran »…. »  évoquent « la tentation répressive » du régime. La liberté d’expression s’arrête désormais là où débute le risque « d’atteinte à l’unité nationale ». Le dimanche 12 mai,  le général  à la retraite Hocine Benhadid était placé en détention pour des propos tenus dans la « Lettre adressée à Gaïd Salah » et publiée un mois plus tôt dans les colonnes d’El Watan.

Les correspondants étrangers ne sont pas les bienvenus. Les visas sont désormais donnés au compte goutte, alors que durant les premiers vendredis de mobilisation, la presse étrangère était relativement bien accueillie. Un mois et demi après l’expulsion, le 9 avril, par les autorités algériennes, du directeur de l’agence à Alger, Aymeric Vincenot, qui s’est vu refuser le renouvellement de son accréditation pour 2019, la présence même d’un bureau de l’agence française dans la capitale algérienne pourrait être compromise.Victime de blocages administratifs et bancaires, l’AFP, asphyxiée, pourrait être contrainte de mettre la clé sous la porte à très court terme. « Nous avons le sentiment que le gouvernement algérien fait tout pour que l’on ferme la boutique. Nous sommes dans un cauchemar administratif », souligne un représentant de l’Agence au journal « Le Monde ».

Sur les écrans des télévisions  publiques ou privées, on assiste à une reprise en main.  Plusieurs journalistes « pro Hirak » viennent d’être sanctionnés pour leur défense de la liberté d’expression. Sur les écrans de « Canal Algérie » n’apparaissent ni pancartes ni slogans anti Gaïd Salah.

Les vieux réflexes

Avec des mots qui rappellent la propagande du parti unique, la revue de l’armée El Djeich s’en est violemment pris à tous ceux qui appellent à une période de transition «par des voies multiples dont la plus courante est de faire pression, à travers des ‘messages ouverts (lettres ouvertes, ndlr), ‘débats’, ‘avis’ et ‘points de vue’ publiés dans les colonnes de certains médias appelant à une période de transition calquée à leur mesure, durant laquelle ils se conduiront comme il leur plaira et feront passer leurs projets et les agendas de leurs parrains qui vouent à l’Algérie et à son peuple une haine et une rancœur infinies».

Dans un édito récent, le quotidien officiel, « El Moudjahid », reprenait le thème du « complot » pour justifier une gestion autoritaire  de la situation: « «A l’heure actuelle figure aussi, dans l’agenda du gouvernement, un certain nombre de dossiers susceptibles de moraliser la vie politique. C’est le cas pour la poursuite de la lutte contre la corruption et la dilapidation de deniers publics ou encore la quête de mettre hors d’état de nuire tous ceux et toutes celles qui entravent l’aboutissement du processus légal, passant nécessairement par la tenue d’une présidentielle.» .

Des interpellations nombreuses

Les manifestations sont de plus en plus canalisées. L’association RAJ (Rassemblement Action Jeunesse) a été empêchée par la police d’organiser ses débats citoyens qu’elle tenait depuis plusieurs semaines au parc Sofia d’Alger. Les forums qui se tenaient sur le parvis de la Grand Poste à Alger ont été dispersés sans tendresse particulière. Un jeune manifestant s’est vu arracher une banderole brocardant Gaïd Salah avant d’être embarqué manu militari. On a vu la police disperser un regroupement de citoyens qui devaient rompre le jeûne (Iftar) ensemble sur les marches de la Grand Poste, alors qu’ un accord tacite autorisait les manifestants à occuper librement  cet espace symbolique.

Est ce que l’armée aujourd’hui craindrait l’apparition d’une « place Tahrir bis »?