Deux mois à peine avant les élections présidentielles algériennes, dominées par une guerre ouverte entre l’Etat Major et les services du DRS, tous les voyants sont au rouge et les qualificatifs permettant de qualifier cette « pré-campagne » sont tous alarmistes : confusion, rumeurs, intoxication. A moins qu’une vacance programmée du pouvoir ne permette de botter en touche temporairement !
Les conditions objectives d’une grave crise sont réunies. Toutefois, s’esquisse un consensus à minima : ce contexte tendu est dû à la main de l’étranger. Du moins tel était le message phare du long communiqué présidentiel diffusé le mardi 18 février. Abdelaziz Bouteflika signe une déclaration dont il n’est vraisemblablement pas l’auteur pour mettre un terme à la cacophonie assourdissante qui a secoué la grande muette, aussi bien dans l’Etat-major qu’au sein des services de renseignement, le fameux DRS. En effet, le presque autoproclamé Secrétaire général du FLN, Amar Saidani a, dans un entretien retentissant sur Internet, dénoncé la main mise des services de sécurité sur la politique du pays et a attaqué nommément le général-major Tewfik, patron du redoutable DRS, en énumérant ses échecs professionnels : assassinat de Boudiaf, les moines de Tibhérine, la prise d’otage de la raffinerie d’Ain Amenas… En gros, un civil dont la légitimité est aussi questionnable que sa probité s’en prend au premier responsable du DRS et demande même sa démission. Pas moins !
Onde de choc dans la classe politique
Peu habituée à discuter sur la place publique du rôle des militaires dans la vie politique, la classe politique algérienne est tétanisée. Bon sens ou instinct de survie, tous les politiques défendent l’armée et ses services de sécurité. Pourtant la polémique est nourrie par le général–major Gaid Salah, vice-ministre de la défense. Tout indique qu’Amar Saidani n’était que le porte-voix du chef d’Etat major, promu vice ministre depuis peu de mois.
En effet, pour Gaid Salah, le pouvoir est vacant, il suffirait de se baisser pour le ramasser s’il n’y avait pas le général Tewfik et son DRS. D’où la tentation et la tentative de faire dénoncer la police politique par un improbable chef du parti historique, le FLN. Gaid Salah mimant son homologue égyptien voulait faire un coup d’Etat constitutionnel, dans un contexte tout différent. Le général Sissi à fait dégager les islamistes du pouvoir, il a donc ainsi sauvé la démocratie. En écartant la police politique du pouvoir, le général algérien croyait se présenter comme le restaurateur de la démocratie algérienne. Alors que Sissi avait le soutien de tous ses pairs, Gaid Salah est loin de faire le consensus au sein de l’armée algérienne.
Premières salves contre Gaid Salah
Ainsi ses pulsions putschistes sont rapidement contrariées. La première salve est tirée contre lui par le général, retraité mais très respecté, Hocine Benhadid. Cet ancien commandant de la mythique 8ème division blindée élève le ton, dans un long entretien, et déclare : « Bouteflika doit partir dignement et Gaid Salah n’est pas crédible ». Préalablement, ce général annonce : « Je tiens à préciser que mes frères d’armes m’ont demandé de parler parce que l’on ne peut pas laisser durer une telle situation ». Ambiance.
La parole est finalement donnée (prêtée ?) au Président. Ce dernier, moins d’une semaine après la Saint-Valentin, renouvelle ses vœux de liens éternels avec le général-major Tewfik, en qui il a entièrement confiance. En consolidant publiquement le patron du DRS dans ses fonctions, Bouteflika, en bon stratège, neutralise les appétits de pouvoir de Gaid Salah. Toutefois, il ne dit rien sur un éventuel quatrième mandat que rien ne lui interdit, hormis le bon sens et l’élégance, caractéristiques trop absentes du monde politique. Bouteflika et son clan veulent peser sur le choix du nouveau président avant d’entamer éventuellement les formalités électorales qui deviennent de plus en plus hypothétiques.
Prévues le 17 avril prochain, les élections présidentielles souffrent pour le moment d’absence de candidats sérieux, hormis, l’ancien Premier ministre Ali Benflis qui a annoncé sa candidature au lendemain de la convocation du corps électoral, soit le 19 janvier dernier. Bien que tourné vers l’avenir, Benflis traîne, aux yeux du clan présidentiel, le boulet d’avoir défié Bouteflika aux élections de 2004. Peu à peu, Ali Benflis s’impose dans le nouveau paysage politique mais il est difficile de penser que Bouteflika puisse accepter une passation de pouvoirs à son ancien challenger. Rien que pour cette raison, il briguera un quatrième mandat. D’autres hommes politiques d’envergure, à l’instar de l’ancien Premier ministre, Mouloud Hamrouche, envisagent d’être candidats si leur élection est préalablement garantie. Pourtant, l’après Bouteflika a commencé dès 2009, son troisième mandat était immédiatement suivi par l’éviction de ses principaux piliers du gouvernement : Chakib Khelil, alors puissantissime ministre des hydrocarbures, Yazid Zerhouni, du ministère de l’intérieur. Ainsi, l’après Bouteflika peut se poursuivre encore un certain nombre de mois mais jamais cinq ans encore. S’il est candidat il sera réélu grâce aux « hakkers » qui téléchargent à distance des bulletins dans les urnes. La technique est tellement au point qu’aucun « firewall » ne peut être efficace. Même si l’élu est malade, invisible et communique avec son peuple par SMS et oligarques interposés dont la plupart sont détenteurs de maroquins ministériels.
Vers une vacance du pouvoir très organisée
S’il est de nouveau président, Bouteflika ne pourra cette fois éviter l’application de l’article 88 de la constitution qui prévoit les conditions de vacances du pouvoir et l’organisation d’une transition. Encore une. Ou alors son état de santé justifie l’annonce de la vacance du pouvoir en pleine campagne électorale et les élections seront reportées sans grandes difficultés particulières. Déjà les islamistes (Hamas, Ennahdha..), le Front des Forces Socialistes (FFS) et d’autres partis encore appellent au boycott. Ces forces peu ou prou représentatives ne seront donc pas lésées par l’annulation des élections. Bien au contraire.
Ces vacances programmées ne doivent pas dissimuler l’essentiel. En Algérie, le pouvoir réel n’est pas prêt de changer radicalement de main, des compromis seront trouvés au sein de l’institution militaire… Du moins tant que les réserves en devises, facteur irremplaçable de cohésion au sommet, restent abondantes.