Le pouvoir nigérien a-t-il perdu la boussole ?

Empêtré dans les problèmes socio économiques et de sécurité qui minent le pays, le camp du président Mahamadou Issoufou multiplie les dérapages politiques depuis le début de l’année.

Arrestations de journalistes et de membres de la société civile, achats de consciences, affaires de corruption, le climat général est plus que tendu à Niamey.  La montée de l’insécurité aux frontières et sur le territoire nigérien à laquelle s’ajoute le bilan décevant de la présidence de Mahamadou Issoufou en place depuis 2011 expliquent en grande partie l’escalade des tensions qui pourrait bien, à terme, avoir raison du pouvoir actuel.

L’insécurité dans le viseur du pouvoir

En matière de politique internationale, les autorités nigériennes se montrent de plus en plus inquiètes des risques d’infiltration d’éléments jihadistes et d’attentats sur leur sol. A tel point que le pays s’est converti en une véritable base arrière des armées américaine et surtout française au Sahel. L’autorisation de faire voler des drones de surveillance américains et français depuis le Niger et la mise en place prochaine d’une base aérienne de l’armée française à Niamey montrent que les autorités nigériennes craignent que le chaos ne s’installe dans le pays. Une stratégie qui pourrait toutefois coûter cher à l’exécutif qui n’a pas consulté l’Assemblée nationale sur la plupart de ces sujets. Le président Issoufou apparaît lui-même de plus en plus comme « l’homme des français » aux yeux d’une population particulièrement sensible aux manifestations d’ingérence.

Ces dernières semaines, les craintes en matière de sécurité semblent s’être intensifiées. Le ministre de l’intérieur Messaoudou Hassoumi à été jusqu’à réclamer publiquement l’intervention militaire de la France et des Etats-Unis dans le sud libyen pour assurer « le service après vente de la chute de Kadhafi » dans une zone devenue, selon lui, « un incubateur de terroristes ». A travers cette demande, il répondait positivement à l’appel du pied de l’état major français avant de se faire recadrer par le ministre nigérien des affaires étrangères Mohamed Bazoum qui a nuancé ces propos. Ces tatonnements vis-à-vis du voisin libyen, auxquels vient de s’ajouter le renvoi à Tripoli de l’ex-dignitaire de Mouammar Kadhafi, Abdallah Mansour, sont le signe que le pouvoir nigérien cherche à se positionner par rapport au véritable casse-tête politique que représente la Libye d’aujourd’hui. S’il semble en effet nécessaire de faire montre de fermeté vis-à-vis des kadhafistes présents sur le sol nigérien et de réchauffer les relations avec le Congrès général national (CGN), la plus haute autorité du pays – ne serait-ce que pour donner des gages aux partenaires occidentaux —  tourner complètement le dos aux anciens partisans du « Guide », alors même qu’ils font actuellement un retour en force au sud ouest de la Libye n’est pas une solution viable. Les diplomates nigériens le savent bien. Compte tenu de ces éléments, qui sait sur quels aspects Mansour a été interrogé par les autorités du Niger et quels ont été les termes exacts de la négociation qui a abouti à son retour en Libye ?

Objectif : rallier les opposants

Sur le plan national, les difficultés du pouvoir à asseoir sa légitimité sont encore plus flagrantes. De nombreux dossiers sont à la traîne. L’initiative dite des « 3N » présentée comme une pierre angulaire du programme électoral de l’actuel président et destinée à encourager le développement de l’agriculture ressemble de plus en plus à une vaste opération de communication. Les travaux pour la réalisation de la ligne de chemin de fer tant attendue reliant Niamey et Cotonou n’ont pas commencé et les négociations avec Areva dont la date butoir a été fixée à fin février après avoir été reculée à plusieurs reprises s’annoncent peu favorables au Niger. Ces retards, qui s’ajoutent au marasme économique et social dans lequel le pays est embourbé alimentent les frustrations d’une population dont la moyenne d’âge est de 15 ans, et qui compte un très grand nombre de jeunes sans emplois. La montée en flèche des budgets alloués au domaine de la défense rogne sévèrement sur tous les autres domaines largement délaissés. Depuis des mois, le pouvoir doit notamment faire face à la colère des enseignants et des étudiants qui manifestent régulièrement pour une amélioration de leurs conditions de travail.

Pour le président Issoufou et pour les membres de son parti, le PNDS-Tarraya, répondre à cette avalanche de reproches constitue une tâche d’autant plus ardue qu’ils ont perdu de nombreux alliés politiques. En octobre 2013, le président de l’assemblée nationale Hama Amadou, chef de file du parti Moden-Lumana qui avait fait alliance avec le PNDS lors des élections de 2011, et dont plusieurs membres sont au gouvernement, a finalement rejoint l’opposition. Hama Amadou, ténor fortuné de la politique nigérienne lié à de sombres réseaux mafieux dans la région sahélienne est âgé aujourd’hui de 63 ans et joue sa dernière carte pour l’accès à la présidence. Il s’impose aujourd’hui comme une adversaire de taille en vue des présidentielles de 2016. Pour le pouvoir, qui tente de le démettre de ses fonctions à l’Assemblée et de le décrédibiliser aux yeux de la population, il est surtout l’homme à abattre. Et dans ce jeu là, tous les coups semblent permis, au risque même de fortement diviser la société. Au micro de RFI, le ministre de l’intérieur a dénoncé publiquement les appels à la haine ethnique de la part de Hama Amadou. Lors d’un meeting politique, ce dernier — originaire de la région de Niamey où il dispose d’une solide base d’électeurs contrairement au président M. Issoufou qui est de Tahoua, au centre du pays — avait en effet déclaré que ceux qui sont actuellement au pouvoir sont « des étrangers ». Des propos certes malheureux, mais qui ne justifient pas l’agitation malsaine qu’entretient le pouvoir en place autour de cette question. A force d’être martelées à tout bout de champs, ces accusations ressemblent de plus en plus à un piège visant à pousser Amadou dans le discours ethniciste. Une stratégie politique dangereuse et quasiment inédite au Niger.

Fragilisé, le pouvoir tente donc de se rattraper aux branches par tous les moyens, y compris en débauchant ses adversaires. Jamais, entend-on dire dans les rues de Niamey, on avait vu un gouvernement acheter avec aussi peu de scrupules, à la vue et au su de tous, des opposants politiques et des personnalités de la société civile. A chaque parution, les journaux nationaux annoncent de nouveaux ralliements de députés de l’opposition au parti du président. Des méthodes de plus en plus critiquées y compris au sein de la majorité. Si les présidentielles ne sont que pour 2016, la campagne bat d’ores et déjà son plein au Niger. Pas sûr cependant que le pouvoir tiendra jusque là…