Algérie, Fekhar, « les policiers ont été surpris par la violence des jeunes mozabites »

Médecin algérien, militant des droits de l’homme et leader charismatique de la nouvelle génération mozabite, Kameleddine Fekhar pourrait être un interlocuteur de premier choix pour entamer un dialogue entre le gouvernement et cette communauté en prise avec la violence depuis plus de dix mois. Incorruptible et peu manipulable, le régime d’Alger l’évite et l’ignore en cherchant d’autres voies de règlement du problème du M’zab. Entretien

fekharSi le gouvernement algérien cherchait véritablement à apaiser les violences du M’zab, région de Ghardaïa, il s’adresserait sans aucun doute à Kameleddine Fekhar. Ce médecin et militant des droits de l’Homme est considéré comme le leader charismatique de la population mozabite révoltée. Malheureusement, l’incapacité d’Alger à ouvrir la voie au dialogue a provoqué la contagion de la violence depuis plus de dix mois. La situation est telle que les forces de police se sont rebellées contre leur chef, le général Abdelghani Hamel, et ont exprimé leur refus de continuer à réprimer les mozabites.

Entretien avec KAMELEDDINE FEKHAR

Mondafrique. Hier cible de la répression policière, la vallée du M’zab est aujourd’hui le berceau de la contestation policière contre son propre patron, Abdelghani Hamel, considéré comme l’un des hommes clés du régime. Quelle lecture faites-vous de ce renversement de situation?

Kameleddine Fekhar. Je pense qu’il est prématuré d’avoir une lecture claire. Ce qui est sûr c’est que le mouvement de protestation des policiers tient son origine du pouvoir algérien. Il suffit d’observer  la nature du régime et les relations entre les différentes couches hiérarchiques dans les services sécuritaires de ce régime dictatorial pour le comprendre.

Mondafrique. Les policiers scandaient « 10 mois barakat  (ça suffit)». Eprouvent-ils un remord pour les actes de répression qu’ils ont mené contre les Mozabites ou se plaignent-ils seulement des mauvaises conditions dans lesquelles ils vivent?

K.F. Il est bien possible qu’il s’agisse de remords. Nous avons entendu des policiers Amazighs (kabyles et chaouis) en faire état à maintes reprises. Mais je pense qu’ils étaient surpris par la violence des réactions des jeunes Mozabites fiers et très courageux lors des dernières arrestations arbitraires et racistes dont ils ont été victimes. Mais ces données ne suffisent pas à expliquer le mouvement de protestation. L’explication la plus directe est que les policiers en ont eu assez de recevoir des ordres venus d’en haut.

Mondafrique. Depuis un certain temps vous vous réclamez d’un mouvement autonomiste mozabite. Revendiquez-vous l’autonomie du M’zab par désespoir de cause parce que le pouvoir central a longtemps méprisé et ignoré les Mozabites ou parce que, selon vous, il s’agit d’une revendication légitime de votre communauté ?

K.F A mon avis il faut retenir les deux aspects. Le régime Algérien a, de tous temps, pratiqué la politique de la terre brûlée. Il a réussi à se maintenir après plus de 50 ans de gestion irresponsable et perverse en usant tantôt par la corruption de sa clientèle comme moyen d’assurer sa survie et tantôt par la répression implacable et sanguinaire contre toute voix ou plume libre qui le dénonce. Il a conduit à un état désertique sur tous les plans et à tous les niveaux. Il n’y a ni classe politique ou élite digne de ce nom, ni personnalité nationale reconnue qui puisse jouir d’une certaine crédibilité chez la population. Et cette même population a subi les conséquences de cette gestion irresponsable à savoir l’ignorance, l’intolérance, l’intégrisme, le fanatisme, le racisme et la violence. Conclusion : il n’ y aucun espoir dans la possibilité de changement de ce régime ni à court ni à moyen terme…

Enfin, il faut comprendre que la communauté Mozabite était indépendante jusqu’en 1882 date d’annexion du territoire par la France coloniale. Malgré cette annexion les Mozabites ont gardé une grande partie de leur indépendance grâce au traité de 1853 avec la forcecoloniale. Après 1962 et le désespoir des Mozabites causé par la politique d’apartheid, d’humiliation et d’exclusion pratiquée par le régime algérien, le reflexe autonomiste a mûri. Cependant, bien que très populaire, ce sentiment n’est que très peu exprimé ouvertement par crainte de représailles.