Archipel de l’Océan indien, les Comores traversent, à moins d’un an des présidentielles, un climat de forte instabilité marqué par la montée de l’islam radical et les risques de putsch
Archipel de quatre îles situé au sud-est de l’Afrique, dans l’Océan indien, les Comores, ancienne colonie française, se prépare à vivre une élection présidentielle très disputée en 2016. Pas moins d’une dizaine de candidatures sont déjà recensées alors que la date exacte du scrutin reste encore à déterminer. Issue des négociations de sortie d’une longue crise politique, la Constitution adoptée en 2001 prévoit une présidence tournante des îles à la tête de l’Union des Comores qui regroupe Anjouan, Mohéli et la Grande Comore.
Dans un entretien accordé à Mondafrique, Achirafi Said Hachim, 62 ans, ancien ministre de l’Intérieur du président Mohamed Taki (1995-1998) revient sur sa décision de briguer la prochaine élection présidentielle sous les couleurs de la Convention pour l’alternance démocratique et l’interaction mutualiste aux Comores (C.A.D.I.M). Il analyse la candidature controversée de l’ancien président comorien Ahmed Abdallah Sambi (2006-2011) puis se prononce sur les conditions de préparation de l’échéance électorale. L’ancien ministre de la Réforme administrative, qui bénéficie de plusieurs soutiens en France, exprime ses craintes sur la montée de l’islam radical et les risques d’un coup d’Etat militaire, à l’initiative du pouvoir actuellement en place à Moroni et de l’ex-président Assoumani Azali (2001-2006).
Mondafrique. A seulement quelques mois du scrutin présidentiel, quelle est votre appréciation de la situation pré-électorale ?
Achirafi Said Hachim (ASH). La situation pré-électorale me paraît totalement confuse. On parle d’une vingtaine de candidatures sans qu’on sache qui sont ces candidats, quels sont leurs programmes. On parle aussi de la candidature de l’ancien président Abdallah Sambi.
M. Une candidature du président Sambi qui semble faire débat?
ASH. C’est exact ! La candidature du président Sambi pose problème en ce qu’elle semble contrevenir au principe de la tournante à la tête de la présidence de l’Union entre les trois îles. Le président Sambi ayant accompli son mandat au nom d’Anjouan, il ne peut en principe pas se présenter à cette élection puisque la présidence doit normalement revenir en 2016 à un ressortissant de la Grande Comore. Mais le président Sambi tient absolument à se présenter. Un choix que conteste les grands comoriens en disant que c’est leur tour. En tout état de cause, il appartiendra le moment venu à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur cet imbroglio. Je présume que la Cour va certainement invalider la candidature de Sambi. Pour ma part, je n’ai jamais été très favorable à la Constitution en vigueur qui divise le pays île par île et consacre de ce fait le séparatisme. Je m’engage d’ailleurs si j’étais élu à procéder à une refondation totale des institutions comoriennes.
M. Justement quelle chance avez-vous d’être élu alors que vous reconnaissez vous-même que le scrutin s’annonce très disputé avec probablement plus d’une dizaine de candidats ?
ASH. Je me distingue des autres candidats en lice par mon intégrité. En une trentaine d’années de vie politique, je n’ai jamais été mêlé au moindre scandale de corruption ou de détournement des deniers publics. On peut certes me reprocher d’avoir soutenu tel ou tel régime, mais jamais on ne me reprochera personnellement d’avoir trempé dans une affaire. D’autre part, à la différence de plusieurs autres candidats, moi j’ai un projet de société refondateur articulé notamment autour de la lutte sans merci contre la corruption et de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Sur ce point, je constate que le passage au pouvoir des présidents Azali [NDLR : 2001-2006], Sambi [2006-2011] et Ikoulou [ 2011-2016] n’a pas véritablement fait bouger les choses. J’ambitionne aussi d’appeler les Comoriens à un référendum sur les institutions qui doivent pour moi être totalement refondées.
Aujourd’hui, les Comoriens sont partagés entre les partisans d’une République confédérale et ceux qui soutiennent une République unie et solidaire. Je vais leur donner la parole à travers une consultation référendaire, si j’étais élu. Pour moi, l’enjeu principal de la prochaine élection sera de permettre aux Comoriens de désigner à la tête de l’Etat un homme dont ils connaissent les pratiques. Un homme attaché à la bonne gouvernance et à la démocratie.
M. L’insularité pèse lourdement sur les politiques de développement du pays, enclavé dans l’Océan indien, aux larges du Canal du Mozambique. Pour vous, comment s’y prendre pour surmonter cet handicap ?
ASH. Je note d’abord avec grand regret que les Comores connaissent une pauvreté et une misère préoccupantes que l’on ne saurait imputer à la seule insularité. Force est de reconnaître que les différents gouvernements ont échoué sur les questions économiques. Il faut donc en tirer des leçons et inverser la tendance en commençant d’abord par éradiquer la corruption qui gangrène toutes les arcanes du pouvoir. Il faut ensuite lutter également avec fermeté contre l’évasion et la fraude fiscales. Nous devons aussi régler définitivement la question énergétique, sachant qu’aucun développement n’est envisageable sans énergie. Je me suis d’ailleurs rendu récemment au Sénégal, en compagnie de mon ami Me Norbert Tricaud, pour voir comment les Sénégalais ont pris en charge la question énergétique et comment nous pouvons nous inspirer de leur approche.
Pour moi, l’un des leviers du développement des Comores, c’est sa diaspora. Il faut l’encourager à investir autant qu’elle peut dans son pays d’origine. Selon des chiffres de la Banque centrale des Comores, la diaspora transfère actuellement près de 8 milliards de franc comorien chaque année. Nous devons faire en sorte que cet argent soit mieux utilisé en l’orientant par exemple vers des créneaux économiquement rentables. A terme, il nous faudra négocier des accords de coopération avec les pays d’accueil de la diaspora comorienne afin qu’elle revienne plus facilement s’installer et créer des structures économiques. Pour cela, il faudra, d’une part, lui simplifier toutes les démarches administratives et, d’autre part, lui assurer une meilleure représentation au gouvernement et au parlement.
Nous devons même aller plus loin et envisager que des enfants de parents comoriens nés en France, qu’ils soient ingénieurs, médecins, architectes, pharmaciens ou économistes, puissent revenir dans le pays d’origine exercer. La finalité étant d’intégrer la diaspora dans la nation comorienne et lui faire prendre une part active dans sa construction. Je dois finalement dire que l’insularité n’est pas une fatalité, si nous actionnons les bonnes manettes pour le développement et la lutte contre la pauvreté aux Comores.
M. Vous, qui prônez des relations privilégiées avec la France, quelle est votre position sur Mayotte, cette île des Comores sur laquelle votre pays revendique sa souveraineté mais qui avait choisi de rester française lors du référendum de 1974, contrairement à Anjouan, Mohéli et la Grande Comore ?
ASH. Je suis Comorien et ma position dans ce dossier est claire : Mayotte doit revenir aux Comores. Mais je n’en fais pas une préoccupation première. Je constate d’ailleurs que Mayotte a atteint aujourd’hui un niveau de développement qui la distingue des trois autres îles. Dans ces conditions, demander aux Mahorais de nous rejoindre, c’est peine perdue. En revanche, on peut accélérer le niveau de développement des trois autres îles afin qu’elles rattrapent Mayotte. Cette approche rendra plus facile le retour de Mayotte dans le giron des Comores. Nous pouvons y arriver en développant d’excellentes relations avec la France.
M. Vous insistez beaucoup sur la nécessité de bâtir des relations de qualité avec Paris. Mais que dites-vous des relations des Comores avec ses voisins immédiats, notamment ceux de la Commission de l’Océan indien (COI) ?
ASC. Il va de soi que nos partenaires naturels sont les pays de la COI avec lesquels nous avons une communauté d’intérêt. Notre environnement commun est doté de ressources halieutiques et d’un fort potentiel touristique ; nous devons travailler ensemble pour en tirer le meilleur profit. Nous devons aussi agir ensemble conjurer la menace islamiste.
M. Vous soutenez qu’il existe aujourd’hui une menace islamiste aux Comores ?
ASC. On ne peut affirmer sans aucune hésitation qu’elle existe. Déjà lors des attentats perpétrés en novembre 2013 contre le centre commercial de Nairobi West gate, on avait compté un Comorien parmi les assaillants. Ensuite, sous le président Sambi, le pays a entretenu d’étroites relations avec des régimes radicaux comme l’Iran, la Libye, la Syrie. L’islam radical a su profiter de cette période et le danger de cette radicalisation existe aujourd’hui encore. Toute la question est de savoir comment le combattre, comment conjurer la menace terroriste?
M. On imagine que vous avez des pistes, vous qui vous préparez à briguer la présidence…
ASC. Je pense que la première chose à faire, c’est aider la démocratie à s’installer durablement dans le pays afin que le développement suive. Il nous faut également nous en tenir aux fondamentaux de notre religion musulmane, surtout aux Comores où l’on pratique un islam sunnite tolérant et non violent. Je suis partisan de cet islam-là qui interdit la haine des autres.
M. Vous affichez une certaine confiance, comme si tout était réglé et que le scrutin présidentiel va se passer dans la sérénité et la transparence. Ne risquez-vous pas d’être surpris ?
ASC. Je souhaite comme tous les autres candidats que le scrutin ait lieu à la date qui sera retenue. Moi, je m’y prépare. Mais si par extraordinaire, il ne se tenait pas suivant le calendrier électoral, ce sera de la seule faute du pouvoir actuel.
Je note du reste que le régime a tenté récemment un coup de force en empêchant des députés élus de siéger et en faisant obstruction à la désignation d’un député de l’opposition à la présidence du parlement. Cela veut dire que ce gouvernement est capable de fraudes électorales. Mais, tout dépend du rapport de force qu’on lui imposera avec le soutien de la communauté internationale.
M. Vous accréditez donc la rumeur de coup d’Etat qui a circulé au moment de cet incident à l’Assemblée nationale ?
ASC. J’ai des craintes légitimes qu’un coup d’Etat soit perpétré. Le rapprochement entre le colonel Assoumani Azali et le régime, pour soit disant combattre l’ancien président Sambi, ne me semble pas de bonne augure. S’ils ne réussissent pas à lutter contre Sambi par les moyens démocratiques, je crains qu’Azali fomente un coup d’Etat au prétexte de sauver la démocratie et la transparence. Ce choix serait une forfaiture et j’espère qu’ils n’y arriveront pas avec l’affaiblissement de l’alliance entre le régime et Azali qui est attaqué de toutes parts.