Abdelmalek Sellal n’arrive pas à Paris les mains vides

Le Premier ministre algérien, Adelmalek Sellal, arrive à Paris ce jeudi. Naoufel Brahimi revient dans un entretien avec « le Soir d’Algérie » sur « l’embellie » des relations franco-algérienne

SellaNotre chroniqueur Naoufel Brahimi el Mili, docteur en sciences politiques et auteur du « printemps arabe, une manipulation ? » revient dans « le Soir d’Algérie » sur les relations franco algériennes depuis que François Hollande est au pouvoir.
Le Soir d’Algérie : Reprise intense des relations algéro-françaises depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir ; va-et-vient continuel de personnalités des deux côtés ; participation officielle militaire au défilé du 14 Juillet ; visites et séjours privés de hautes personnalités algériennes dans l’Hexagone… Est-ce une embellie inhérente à une nouvelle approche des relations conçue comme devant être pérenne? Ou la France serait-elle attirée par l’opportunité qu’offrent le marché et les finances algériennes à une économie française en difficulté ?
Naoufel Brahimi. Dans les relations franco-algériennes, depuis l’avènement de Chadli Bendjedid, les embellies ne sont pas une nouveauté. Le président Chirac était même fervent partisan d’un traité d’amitié franco-algérien. Il est vrai que les premiers temps du règne de Sarkozy, vis-à-vis d’Alger, ont souffert de l’adoption de la loi «portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés». Contexte aggravé par l’affaire Hasni».
L’après-Sarkozy ne pouvait qu’être porteur d’améliorations. En ce qui concerne le changement de ton entre Paris et Alger depuis l’élection de François Hollande, plusieurs facteurs sont à intégrer. Candidat aux présidentielles, François Hollande s’était recueilli pour la commémoration des assassinats des militants du FLN le 17 Octobre 1961. Ainsi, il a atténué, même partiellement, le climat qui pèse sur le registre symbolique. Et ce, afin de se consacrer à l’essentiel : la visite d’Etat du président français a balisé la coopération militaire pour les opérations au Nord Mali. Aussi les Français visent clairement le marché algérien et son potentiel, notamment sur le gaz de schiste.
Le registre économique n’est pas dépourvu de symbolique. En contrepartie d’un investissement de Renault en Algérie (créant à peine trois cents emplois), l’Etat français insiste sur une nécessaire autorisation pour les capitaux algériens de s’investir en France, au nom de la réciprocité, principe immuable de la diplomatie algérienne. Chose faite, Abdelmalek Sellal ne viendra pas à Paris les mains vides, ni les poches d’ailleurs.

Une coopération militaire singulière
Le Soir d’Algérie. Les velléités de tourner définitivement la page du contentieux mémoriel semblent être partagées par les politiques des deux côtés. Pourquoi ce désir des autorités algériennes d’abandonner les demandes de reconnaissance et/ou d’excuses pour les méfaits de la colonisation en Algérie alors qu’elles apparaissaient comme une revendication forte et récurrente ?
Quand Amar Saaadani, premier responsable du parti historique, le FLN, dépositaire de l’héritage spirituel du 1er Novembre, est titulaire d’un titre de séjour français, lui accordant une résidence de dix années dans un appartement cossu de Neuilly-sur-Seine, la demande de repentance perd beaucoup en crédibilité. Aussi, le choix de Paris, plus particulièrement un hôpital militaire pour les soins du président de la République algérienne, ne renforce pas forcément un discours musclé en faveur de la repentance.

Plus généralement, une majorité de porteurs de l’étendard du combat contre «Hizb França» (le parti de la France) prennent leur retraite dans l’Hexagone. La succession de Bouteflika, quelques mandats plus tard, coïncidera éventuellement avec un renouveau générationnel, pour qui les questions mémoriels n’auront pas de centralité particulière dans les relations bilatérales.
Le Soir d’Algérie. Comme à nul moment auparavant, Paris et Alger ont engagé une coopération militaire singulière depuis l’opération Serval au Mali qui a vu l’ouverture de l’espace aérien algérien aux avions français, le ravitaillement en carburant, l’échange de renseignements et jusqu’à des actions opérationnelles communes. Qu’est-ce qui justifierait cette coopération pour le moins inédite ? La sécurité régionale ? La lutte contre le terrorisme ou y aurait-il autre chose ?
N.B. Hormis le contexte particulier des essais nucléaires à Reganne (accords d’Evian), la coopération militaire entre Paris et Alger a toujours existé. A l’époque du conflit tchado-libyen sur la bande d’Aouzou où l’implication française était très prononcée, Alger (présidence Chadli) avait autorisé des militaires français à se positionner sur le territoire national pour mener des opérations d’observation. La nouveauté pour l’opération Serval, c’est l’absence du fameux «secret-défense» et encore, la communication n’est pas totale sur les aspects de la coopération militaire franco-algérienne. Bien sûr, la France a tenu au soutien militaire de l’ANP car ce type d’opération ne peut être mené sans la mise en place d’une étanchéité, même relative, de la frontière algéro-malienne. Il y va de la sécurité régionale. Y aurait-il autre chose ? Difficile de répondre sauf de préciser que les conflits «grandeur nature» sont aussi un bon argument pour la vente de l’armement français.
Le Soir d’Algérie. Au plan des relations économiques, une nouvelle terminologie est convoquée par l’une et l’autre des deux parties : «le partenariat gagnant-gagnant». Que recouvre ce concept et son utilisation récente et insistante n’est-elle pas abusive ? N’a-t-on pas d’ailleurs entendu, récemment, le ministre français de l’Economie rassurer ses compatriotes et notamment l’extrême droite qui s’inquiétait de l’inauguration de l’usine Renault en Algérie, déclarant qu’«il n’y aura jamais de transfert de savoir technologique»?
N.B. Le partenariat gagnant-gagnant est la situation idéale mais qui nécessite du temps pour apprécier les conséquences. Comme mentionné plus haut, Renault crée en Algérie 300 emplois, alors que le chantier de la Grande Mosquée d’Alger emploie 25 000 personnes mais chinoises. On peut déjà supposer que la création d’emplois n’est pas le premier souci des autorités algériennes du moment, contrairement aux Français. Reste à savoir gagnant-gagnant pour qui?

Un partenariat « gagnant-gagnant » 
Le Soir d’Algérie. Le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal et son homologue français Manuel Valls coprésideront à Paris, le 4 décembre 2014, le troisième comité intergouvernemental de coopération bilatérale. Pensez-vous qu’à l’instar de l’initiative de la délégation de l’UE qui a séjourné récemment à Alger et rencontré les acteurs politiques, la partie française abordera avec Sellal les aspects politiques internes au pays ?
N.B. Il ne faut pas oublier que la partie française qui reçoit le Premier ministre algérien est détentrice de secrets médicaux sur la santé de
M. Bouteflika, de ce fait elle dispose d’un angle supplémentaire d’analyse de la situation politique interne. Si Paris évoque lors de cette visite la nécessité de pallier le déficit démocratique, éclatera alors une contradiction : on ne peut avoir des marchés avec des retombées financières sonnantes et trébuchantes et donner des leçons de morale en même temps. Cette visite est inédite : pas moins de 15 ministres constituent le fer de lance de la délégation algérienne. Si ce n’était pas le caractère provisoire, on pourrait parler de gouvernement en exil. Plus sérieusement, la France a déjà abrité une réunion entre le président algérien et son chef d’état-major, précisément dans les appartements de la résidence du gouverneur militaire de Paris.
Au-delà de la boutade, Abdelmalek Sellal visite Paris après Washington mais en force non pas vis-à-vis de son homologue français, surtout dans une logique de politique intérieure. Le Premier ministre algérien semble ne plus vouloir jouer le rôle de numéro 2 bis. Cette visite notamment par une bonne volonté affichée et quelques générosités inhérentes fera théoriquement de Sellal l’interlocuteur facial privilégié de Paris. Quelle meilleure capitale pour un politique algérien que de se mettre sous les projecteurs internationaux de Paris ?
N.B.Le gaz de schiste, son exploration et son exploitation par la partie française sont depuis quelque temps présentés comme quasiment acquis par la partie française qui pourra ainsi réaliser sur notre territoire ce qu’elle n’a pas pu faire en France, eu égard au coût élevé d’exploitation de cette énergie et de ses impacts sur l’environnement, disent les opposants à cette forme d’énergie. Que suggérerait pour vous la signature d’un tel accord, s’il venait à intervenir ?
Les projets liés au gaz de schiste semblent être acquis mais n’ont pas encore atteint le stade de non-retour : rien n’est signé. Toutefois le gaz de schiste illustre très bien le contre-exemple du partenariat gagnant-gagnant. En plus des effets assez néfastes sur l’environnement algérien, l’exploitation du gaz de schiste fait chuter les cours du baril de pétrole et les prix du gaz, premières ressources en devises du pays. Alors que la France évite la pollution sur son territoire et accède aux hydrocarbures à des prix baissiers. Gagnant-gagnant, nous avait-on dit ?