Arrêtés le 16 avril, en marge de la dernière manifestation de Barakat contre le quatrième mandat du président A. Bouteflika depuis réélu, Mohand Kadi et Moez Bennecir, étaient jugés ce dimanche 11 mai devant le tribunal d’Alger pour « attroupement qui risque de troubler la tranquillité publique ». Le procureur à requis un an de prison et la juge les a renvoyés à la prison de Serkaji, en attendant les délibérés prévus le 18 mai.
Deux jeunes activistes, l’un est algérien, le second est tunisien. Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau, minces, pull près du corps, Zara, peut-on lire sur l’un d’entre eux, ce n’est pas un cri de guerre, juste le nom d’une marque, cheveux courts et sages, rasés de près. Le premier Mohand Kadi est étudiant et militant de l’association Raj, rassemblement Action jeunesse, il n’a que 23 ans. Le second, Moez Bennecir est assistant d’édition, il a 25 ans.
Assis, mais absents
C’est l’âge auquel la machine judiciaire à décidé de les laisser croupir depuis le 16 avril, date de leur arrestation, dans la terrible prison de Serkaji à Alger. Côte à côte ils sont arrivés, sans bruit, derrière eux un policier véritable armoire à glace, à la bouille sympathique cependant, sur le banc des accusés, ils se sont assis comme absents. « Après 20 jours de prison, mon fils est quand même un peu stressé », confie le père; lui même n’en mène pas large, encore tout remué : il a failli être interdit d’assister au procès de son propre fils, comme les quelques personnes venus soutenir les prévenus.
L’audience n’était pas ouverte que des policiers les sommaient de quitter la salle, discrètement, sans bruit, au mépris de la loi, en Algérie aussi les audiences sont publiques. Informé, Maître Bouchachi, l’un des quinze avocats constitués et ex président de la Ligue des Droits de l’homme s’énerve :« Ici, ce n’est pas une caserne c’est un tribunal. » Quelques instants plus tard, les virés du tribunal sont autorisés à reprendre leur place, nul ne sait qui a décidé de les exclure et qui entre temps a changé d’avis à l’ombre de la justice.
Un procès « historique »
Ce dimanche matin 11 avril devant le tribunal s’ouvre ce que maître Bouchachi appellera dans sa plaidoirie un « procès historique ». L’audience commence. Mohand Kadi est accusé « d’attroupement non armé qui peut troubler la tranquillité publique », cette curieuse accusation date d’une ordonnance de 1975 du temps du parti unique, et renvoie aux articles 97 et 98 du code pénal, sur Moez pèse la même accusation, aggravé de « séjour illégal ». Cette deuxième accusation ne sera même pas évoquée au cours de l’audience, bien que Tunisien, Moez est installé légalement en Algérie et travaille comme assistant d’édition pour la maison d’édition … à Bejaïa, maison d’édition fondée par …, un français.
C’est pourtant les Services de l’émigration clandestine (SIC) qui ont procédé à son arrestation, le16 avril, le même jour que la manifestation à laquelle avait appelé le mouvement Barakat, « contre le quatrième mandat » du président Bouteflika, manifestation violemment dispersée. « J’étais parti acheté un paquet de cigarette quand un policier, venu par derrière, est venu m’arrêter », explique à la jeune juge, au regard quelque peu distrait, Moez, attablé à une table de café Place Audin à deux pas de la manifestation son ami Mohand l’attend et bien qu’algérien il est arrêté à son tour par le même SIC. Procédure illégale, plaidera maître Sidhoum : « Honte pour la justice algérienne qui présente un dossier pareil. Depuis quand le Service de l’émigration clandestine s’occupe des attroupements ? »
Le code pénal aux oublietttes
Il n’a peut-être pas le droit mais il l’a fait et depuis, regrettera maître Bouchachi, il ne s’est pas trouvé un seul magistrat pour faire respecter le code de procédure pénale ni même le code pénal : « Quelque chose de grave se passe dans ce pays, le sentiment qui se dégage de ce procès c’est que ni le parquet, ni les magistrats ne sont là pour faire respecter la loi. Quand je lis ce dossier il me vient comme une peur : aucun algérien n’est en sécurité, aucun algérien n’est en liberté.»
Après avoir été arrêtés en flagrant délit illégalement,donc, ils ont été mis en garde à vue deux fois 48 heures, la durée légale, puis déférés au parquet qui va à son tour les renvoyer devant un juge d’instruction chargé de les mettre en détention après les avoir inculpés comme de dangereux criminel, alors que l’affaire aurait dû être jugée dans la semaine en cours.Ceci pour la procédure, reste le fond : flagrant délit de quoi ? C’est là que l’affaire devient oiseuse.
Le 16 avril, le mouvement Barakat, appelle à une manifestation Place Audin, au centre d’Alger, ce mouvement est né pour s’opposer « au quatrième mandat du président Bouteflika » en pleine campagne électorale, ses leaders ne se cachent pas, ils sont connus, surmédiatisés, leurs images ont fait le tour du monde, bien que malmenés, menacés, interdits de manifester aucun d’entre eux ne sera arrêté, ni emprisonné. En revanche, seuls Moez et Ramdan sont arrêtés alors qu’ils ne cessent de plaider non coupable.
Subversion au café
Selon leurs versions des faits, ils n’étaient pas là pour manifester mais ils étaient à Alger parce que Moez, résidant à Bejaïa, avait rendez-vous à TSL à Ben Aknoun, service bien connu des Algériens pour déposer une demande de visa français. Jusqu’à ce jour Moez n’avait jamais mis les pieds à Alger, aussi avait-il demandé à son ami Ramdan de l’accompagner à son rendez-vous, ce qui fut fait. Les formalités accomplies aux alentour de 15 heures, alors que la manifestation tirait brutalement à sa fin, ils descendent de Ben Aknoun « au centre ville. » Là, ils s’attablent à une terrasse de café, où ils sont arrêtés comme de dangereux criminels.
« Il n’y a pas de crime sans texte de loi », rappelle encore maître Bouchachi.
Selon l »article 98 du code pénal, et les quinze avocats de la défense se relaieront pour le répéter, pour qu’un « attroupement qui risque de troubler la tranquillité » soit identifié légalement il faut :
que le représentant de l’ordre public ce soit identifié en annonçant sa « (…)présence par un signal sonore ou lumineux de nature a avertir efficacement les individus constituants l’attroupement. » alinéa 1, alinéa 2 : « a sommer les personnes de se disperser à l’aide d’un haut parleur ou en libérant un signal sonore ou lumineux de nature également à avertir efficacement les individus constituant l’attroupement. » La loi prévoit même deux sommations avant de constater le délit et ajoutons que cette loi ne prévoit pas « l’attroupement sur une terrasse de café constitué de deux individus. »
On se dit que le complot est ailleurs et que bientôt l’accusation va abattre ses cartes, d’autant plus que la singularité de se procès réside dans la présence d’un frère tunisien, en plus travaillant pour un français, en plus en Kabylie, en plus dans une maison d’édition qui vient de publier un livre intitulé « Dégage, dégage, on vous a dit dégage » en plus que ce français qui se présente comme « un aventurier rêveur » est un ancien militaire qui a fait la guerre d’Algérie en 1960 et qui depuis ce serait épris d’amour pour l’Algérie en général et de la Kabylie en particulier dans les années 2000 seulement avec l’ambition de publier des écrivains kabyles, on se dit enfin « la main de l’étranger », « le complot ourdi » va être incarné, dévoilé à l’opinion publique, prouvé et démontré.
Et l’on attend haletant la voix de l’accusation.
C’est peu vous dire que l’on sera déçu.
Le français ne sera même pas cité, une seule fois, le livre ne sera même pas évoqué une seule fois, le mot complot ne sera jamais prononcé. Rien. Sans grande conviction le procureur général, après la juge, pose aux deux prévenus des questions bizarres. « Connaissez-vous, un certain Djaffar Khelloufi ? » demande-t-il un peu ennuyé. « Oui, répond l’algérien, c’est un ami et un voisin », « Non » répond le tunisien. Djaffar Khelloufi est assis sagement dans la salle d’audience en tant que membre du mouvement Barakat. S’ensuit une liste de nom appelé par les accusés depuis leurs téléphones portables, on imagine que le procureur veut démontrer qu’ils connaissent parfaitement les organisateurs de la manifestation. « Et, alors, demande un avocat, en quoi est-ce un délit, sont-ils de dangereux criminels recherchés par la police, ce ne sont que de simples citoyens qui ont appelé publiquement à une manifestation ? »
« Pourquoi êtes-vous descendus à Alger, depuis le consulat à Ben Aknoun, il était plus simple d’aller directement à la station de bus du Caroubier ? » ajoute-t-il finaud. On croit rêver, mais il est où le complot ? « La presse avait averti que cette manifestation était illégale. Les appels téléphoniques prouvent que les accusés étaient en contact avec les organisateurs de la manifestation. Aussi je demande un an de prison ferme. »
La peine maximale. Et, Madame le juge de déclarer sans sourciller : « délibéré le 18 mai ». Encore une semaine à Serkaji pour deux jeunes garçons coupables d’avoir donné des coups de téléphone à des amis activistes même pas recherchés par la police et d’avoir circulé librement dans la ville d’Alger au point d’avoir osé prendre un café à quelque pas d’une manifestation interdite selon une ordonnance datant de 1974 dans l’Algérie de 2014.
Quinze avocats qui plaident autour d’un dossier vide, une femme juge et un procureur général au regard absent d’automates de la justice, des prévenus qui ne revendiquent rien, rien d’autre que le droit de circuler librement pour aller chercher un visa pour la France et tout cela autour d’une organisation éphémère, Barakat, dont les leaders ne sont même pas présents dans la salle.
Pour être historique, ce procès politique aura été, à l’image de l’Algérie, vidé de toute substance.