Certaines déclarations concernant la Centrafrique seraient presque risibles si la situation de ce pays martyr n’était pas aussi dramatique. De telles déclarations publiques proviennent soit d’une méconnaissance stupéfiante, soit d’un cynisme bien calculé .
– Une rupture très relative.
Le président Touadera était présenté comme le candidat « du peuple et des pauvres ». Une fois élu, il avait annoncé dans son discours d’investiture, le 30 mars 2016, « une rupture avec le passé ».
En réalité, l’ancien Premier ministre de Bozizé (2008-2013) visait seulement la période postérieure aux Accords de Libreville ( 11 janvier 2013) qui avaient mis fin à son transparent quinquennat, passé dans l’ombre de Bozizé et de son clan. Son discours d’investiture doit être relu attentivement, il est sans ambiguïté. Ses électeurs et les onusiens n’avaient probablement pas eu la même lecture de la « rupture avec le passé ».
– Le « modèle » israélien.
En visite officielle en Israël, en mai 2017, ne fait-il pas l’éloge du développement et de la gouvernance d’Israël, dans des lieux symboliques de Jérusalem, sans aucune pensée pour le peuple palestinien. Le président centrafricain a-t-il trouvé là des enseignements pour résoudre la crise nationale de son pays ?
–Un fauteuil présidentiel vide.
Le ministre centrafricain Théodore Jousso, Porte-parole du gouvernement, a déclaré, sur RFI le 7 août dernier, » le président de la République est un homme d’action, il ne parle pas beaucoup ». Pendant ses cinq années de premier ministre et depuis son élection à la présidence, le chef de Etat s’est fait remarquer par de nombreux voyages à l’étranger, des poses de première pierre et ses discours à l’ouverture de colloques aussi creux que vains.
Où sont les projets de relèvement de.l’Etat , de reconstruction de l »administration, de la justice pour mettre fin à l’impunité ? Où en sont le DDRR, le fonctionnement effectif de la Cour Pénale Spéciale, les retours du million de réfugiés et de déplacés ? Les nombreux ministres et conseillers incompétents ont-ils été remerciés?
Cette absence de leadership à été vertement mise en évidence par le leader de l’opposition, Anicet-Georges Dologuele, en déclarant au journal « Le Monde »: » la Centrafrique n’a qu’un probleme : le fauteuil présidentiel est vide ». Qui s’en soucie?
-Une justice « implacable ».
Le 13 août 2017, dans son discours de commémoration de l’indépendance du pays, le président Touadera affirme que la « justice sera implacable ». Les seigneurs de la guerre en rient encore, comme les chefs des anti balaka ayant leur résidence à Bangui et régulièrement invités au Palais de la Renaissance.
Jean-Francis Bozizé, pourtant sous mandat d’arrêt international, délivré par la justice centrafricaine, doit aussi probablement « trembler » devant ces menaces…Tout le monde sait bien qu’en l’absence d’un système judiciaire, l’impunité est totale.
– Un mirage de plus. La Cour Pénale Spéciale entretient donc encore l’illusion. Hélas, elle n’est qu’un mirage, très lucratif pour ses concepteurs et ses personnels. Il faudra malheureusement attendre 2020 pour en faire le constat.
Ainsi, le colonel-magistrat de RDC, Toussaint Muntazini-Mukimapa, choisi par le président Touadera pour être le Procureur spécial, a commencé les effets de manche, à défaut de mettre un terme à l’impunité. Drapé dans sa très onéreuse toge, le « sapeur » congolais a doctement déclaré, le 18 juillet 2017, « les victimes meurtries…ne seront jamais abandonnées…. »
Les centaines de milliers de parents des victimes, depuis 2003, seront-ils réconfortés par les propos de ce professionnel de la justice militaire, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs au pays de Kabila.
– Des performances …exceptionnelles. Le Libanais Samir Jahjah, chef de la mission de revue du FMI, venue à Bangui fin mai 2017, a chaudement félicité les autorités centrafricaines pour les brillants résultats économiques et financiers du pays. Le plus sérieusement du monde, il a annoncé une croissance de 4,7 % et une inflation réduite à 3,5 %. Pour un pays qui a perdu le contrôle de près de 75% de son territoire, qui dépend beaucoup du corridor Douala-Bangui sans cesse perturbé par les coupeurs de route et qui affiche plus d’un quart de sa population en situation de réfugiés ou de déplacés, ces performances sont effectivement exceptionnelles….
– Le spectre du génocide. Le Sous-Secrétaire général adjoint de l’ONU, le britannique Stephen O’Brien, bouleversé après sa visite début août 2017 à Bangassou, affirme qu’il perçoit des « signes avant-coureurs d’un génocide ».
Si des massacres de civils ont bien lieu, dans tout le pays, les conditions objectives du droit international permettant de qualifier ces massacres de génocide ne semblent pas réunies. Paul Kagame pourrait confirmer qu’il ne faut pas confondre « génocide » et « massacre de masse ».
Cette déclaration onusienne, qui semble satisfaire le très discret Antonio Gutterres, a surtout pour but de faire appel à de nouvelles contributions financières.
– Un malheur bien peu ethnique. La coordinatrice de l’action humanitaire en Centrafrique, la Marocaine Najat Rochdi, a raison d’alerter la communauté internationale sur la situation humanitaire catastrophique et sur l’insuffisante aide internationale. Il y a urgence absolue. En revanche, comme Stephen O’Brien, elle doit prendre garde de ne considérer que les malheurs des musulmans et des Peuls Mbororo en particulier. Il y a certes Bangassou où les musulmans sont dans une situation dramatique et le Pk5 de Bangui quasiment devenu un ghetto. Il ne faut pas aussi oublier les Centrafricains qui ne sont pas musulmans à Bambari, Alindao, Kaga Bandoro, Markounada, Mobaye, Kembo, Paoua…Eux aussi sont dans une situation dramatique causée par les Ali Ndarass, Abdoulaye Hissen, Nourredine Adam, El Katim, Sidiki et autres chefs de guerre.
Le malheur est ni ethnique, ni confessionnel, il est CENTRAFRICAIN.