Yann Arthus-Bertrand, le globe-trotter écolo, espère que l’épidémie nous aidera à faire notre deuil du monde avant etnous incitera à voyager en respectant la planète. Voici son entretien avec Xavier Oury, fondateur de Vialala.fr, la plate forme du voyage sur mesure.
« There’s no way to happiness, happiness is the way ».
- Dans « Legacy », le film que vous avez diffusé sur M6, vous évoquez le sommet de la Terre à Rio (1992) comme le point de départ de votre engagement pour l’environnement. Qu’est-ce qui a changé depuis dix ans? L’épidémie a-t-elle accéléré ou freiné les évolutions que vous percevez ?
En 1992, seuls certains sujets très spécifiques comme la couche d’ozone étaient arrivés aux oreilles du plus grand nombre. Le grand public n’avait pas conscience alors de la rapidité à laquelle l’environnement était affecté par l’activité humaine.
Depuis lors, tout a changé : les sujets brûlants se sont multipliés et les plus urgents, le réchauffement climatique et la chute de la biodiversité, sont largement connus et admis aujourd’hui, alors qu’on n’en parlait pas du tout au début des années 90. Le film d’Al Gore (« An Inconvenient Truth »), les rapports du GIEC et la COP21 entre autres sont passés par là.
L’épidémie a encore accéléré cette prise de conscience en nous permettant de mieux percevoir les contradictions du modèle de la croissance à tout prix qui met en danger la planète. On s’arrête, et pourtant la vie continue. La conscience de la gravité du phénomène est d’autant plus aiguë. En ce 1er février 2021, Le Monde publie un article glaçant (sic) sur les résultats d’étude de Météo France à propos de l’effet du réchauffement climatique en France, avec des prévisions très pessimistes à l’horizon 2 100. 4 ou 5 degrés d’augmentation de la température en France, ce n’est pas rien !
Mais la propension des hommes à tout faire grandir et à tout vouloir améliorer sans cesse, cette tendance à la productivité si caractéristique de l’espèce, nous pousse à vouloir aller toujours plus loin dans l’exploitation des ressources pourtant limitées de la planète. Quitte à courir à notre propre perte !
Zoomons un instant sur la situation des océans : la surpêche des Chinois, et d’autres pays asiatiques, touche toutes les mers du globe. Quant au transport de containers, les chiffres donnent le vertige. Pendant que nous parlons, rien qu’aujourd’hui, 20 millions de containers sont acheminés entre tous les pays du monde.
Les hommes, les marchandises, les capitaux, se déplacent en permanence très vite. Car la croissance finance tout, et on n’a pas vraiment de solution pour en sortir simplement. C’est une sorte de fuite en avant sous forme de course sans fin à la croissance, un sujet que j’aborde largement dans les épisodes de mon podcast sur l’application @Majelan.
- Nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt votre travail et votre engagement. Comment résoudre la contradiction dans laquelle nous sommes tous ? Comment continuer à voyager en alliant la découverte des merveilles de la Terre et le respect de l’environnement et des populations ?
Le Covid a été un puissant catalyseur de changement. Les conférences en « visio » ont largement remplacé les voyages d’affaires, et les plus jeunes générations sont capables d’à peu près tout gérer en vidéo, y compris leurs études. L’épidémie nous permet de faire le deuil du « monde d’avant », car elle nous a forcés à nous concentrer sur l’essentiel, sur les gens qu’on aime. On accepte les contraintes, car ces contraintes sauvent des vies. Nous devons tous nous adapter, moi le premier en tant que réalisateur, et nous tous en tant que voyageurs.
Mais on peut continuer à voyager, tout en respectant mieux la Terre. Evidemment la solution miracle n’existe pas ! Il faudra bien ralentir. Le week-end à Marrakech, pour se mettre au bord d’une piscine et rien d’autre, ce n’est pas « durable ». On peut voyager près de chez soi. On peut aussi voyager sans avion une bonne partie de l’année, et se limiter à un voyage touristique en avion par an par exemple, pour en profiter mieux. L’avion, ça doit être si on ne peut pas faire autrement !
Plaçons-nous à l’échelle de notre continent, l’Europe : le train est clairement à privilégier pour tous les trajets. Mais aller en train à Lisbonne en 2021, c’est 30 heures. Il faut absolument faire progresser les infrastructures car on peut faire beaucoup plus vite. Lors de la COP 2018 j’ai suggéré l’idée d’affréter un train pour emmener toute la délégation française jusqu’à Katowice (Pologne), mais c’était impossible à organiser d’après le gouvernement. Il faut absolument accélérer le développement d’une mobilité plus propre. Favoriser les trains de nuit à la place de certains vols courts est une autre solution simple, mais ce n’est pas fait.
Quoi qu’il en soit, on doit arrêter de confondre vacances et voyage. Le voyage implique une démarche de découverte qui est totalement absente de certains types de vacances ; encore une fois, pas besoin d’aller à Tahiti pour se coller sur un transat quelques jours.
Nous tenons pour acquis de nous déplacer sans réfléchir et multiplier les trajets Express, comme nous l’avons tous fait par le passé, ce n’est pas toujours voyager.
Mieux voyager, ce n’est pas seulement mieux profiter de voyages lointains plus rares : c’est sans doute envisager le voyage autrement, en revenant à la démarche presque initiatique du voyageur, qui met à profit le chemin à parcourir pour arriver à destination. Les voyages dits « hors des sentiers battus », plus immersifs et respectueux, sont déjà un réel progrès, comme les voyages éco-responsables.
Et grâce à la révolution de la propulsion au G.N.L. (Gaz Naturel Liquéfié), qui concerne aujourd’hui avant tout le transport de marchandises, il faudra très peu de temps pour traverser l’Atlantique sur des bateaux propres. On peut imaginer qu’un jour relativement proche, on puisse à nouveau prendre goût au voyage en bateau ; comme avant lorsqu’on passait du temps à traverser l’Atlantique, mais quand même bien plus vite qu’à l’époque ! Pour tout vrai voyage, le chemin est important
Rencontre avec Xavier Oury, fondateur de Vialala, agence de voyage participative