Le massacre des Algériens le 17 octobre 1961 au théatre à Marseille

Louise Vignaud présente « Nuit d’Octobre », une pièce écrite à quatre mains avec l’autrice et dramaturge Myriam Boudenia. Cette fiction est inspirée d’un fait historique, les  évènements du 17 octobre 1961. Cette journée tragique vit une manifestation pacifique à Paris violemment réprimée et des militants du FLN algérien massacrés.

Une chronique de Cécile Barreyre

En tournée :

A La Criée Théâtre de Marseille, en co-accueil avec Les Théâtres Aix-Marseille – du 29 novembre au 3 décembre 2023 

Au Théâtre Molière (Scène nationale archipel de Thau à Sète) – le 19 mars 2024
Et au  Bateau Feu Dunkerque – le 22 mars 2024 

Le lendemain du drame, le ministre de l’Intérieur, Roger Frey prononcera cette  phrase  terrible : « Il ne s’est rien passé.»

Depuis les années 50 et jusqu’à l’indépendance algérienne, les Algériens sont parqués dans des bidonvilles, à Nanterre et ou dans d’autres banlieues françaises. Ce 17 octobre 1961, le FLN avait appelé à une manifestation pacifique dans le centre de Paris contre le couvre-feu imposé aux ressortissants algériens en raison d’attentats successifs. Entre vingt et trente milliers d’Algériens s’y rendent, hommes, femmes et enfants.

La réponse orchestrée par le préfet de Paris Maurice Papon, celui là même qui organisa les déportation des juifs en Gironde entre 1942 et 1944, est sans pitié. La répression sera d’une violence inouïe : plusieurs centaines de morts -on n’en connait pas exactement le nombre exact. Les casavres sont  retrouvés dans la Seine et dans les bois autour de Paris. Près de 12000 arrestations ontlieu, femmes, enfants, traqués, torturés.

Le lendemain le ministre de l’Intérieur, Roger Frey prononcera cette  phrase  terrible : « Il ne s’est rien passé.» C’est l’histoire d’un « trou noir ».  Pendant des années, un insupportable silence recouvrira la réalité d’une date clé de la guerre d’indépendance algérienne. 

Comment une telle violence a-t-elle pu se produire en plein cœur de la capitale, alors même que la guerre pour l’indépendance de l’Algérie touche à sa fin ? 

Il faudra des années pour que la lumière soit faite sur ces actes, grâce aux travaux d’historiens, de journalistes, d’archivistes, dont Brigitte Lainé, ancienne conservatrice en chef des Archives nationales, décédée en 2018, dont est inspiré un des personnages.

La fiction pour dire le réel

Les autrices ont choisi la fiction, nourrie d’un grand travail documentaire pour raconter cette histoire,  mêlant l’intime et l’universel, en s’attachant à des personnages aux itinéraires, aux histoires et enjeux différents voire opposés : militants, ouvriers, harkis, policiers, présents le 17 octobre 1961. 

Sur scène, deux fantômes dialoguent et interrogent  tout au long du spectacle : Octobre figure universelle et intime du vieil algérien et celle de la jeune adolescente Zohra, retrouvée noyée cette nuit-là. Elle incarne la tragédie, mais aussi le souvenir et l’espoir d’un futur meilleur.

Ce personnage est également est inspiré par une jeune fille réelle, Fatima Bedar,  dont la police avait fait passer la mort en suicide.

La scène de prologue dans la pharmacie, où des manifestants blessés viennent se réfugier, est le seul moment du spectacle qui a lieu le soir du 17 octobre 1961.

Onze comédiens donnent voix et vie à une trentaine de personnages et en cela, ce choix donne de la force, de l’humanité, de la vitalité au spectacle.

Le silence, la trace  

La scénographie d’Irène Vignaud est sobre et astucieuse constituée de casiers mobiles qui se transforment tout au long de ce drame. Elle  nous transporte un instant, de l’office pharmaceutique, au commissariat, aux vestiaires de l’usine, dans la rue, dans une cuisine, au bureau des Archives, où une femme (Magali Bonat), inspirée par Brigitte Lainé, témoigna  du massacre malgré les pression hiérarchiques.

Une bâche noire, déployée en fond de plateau où sera écrit :« ICI ON NOIE DES ALGERIENS », une phrase écrite sur les quais de la seine en 1961. La pluie et  le sable envahissent le théâtre, symboles de l’effacement de la trace.

Louise Vignaud signe là une mise en scène rigoureuse, fluide, chorale où se mêlent avec clarté et énergie des récits de vie sur fond historique. 

Cette pièce est la somme d’un travail très collectif. L’écriture est nourrie du travail du plateau, d’ échanges entre les comédiens et la metteur en scène.

Louise Vignaud place des mots décisifs et des images poétiques sur cette amnésie collective.

Notre entretien avec Louise Vignaud: « L’humain au coeur de l’Histoire »

 

« Nuit d’Octobre » comme une grande aventure collective, un théâtre épique qui raconte et bouleverse, émeut et perturbe »

« J’ai conçu la première scène comme un inconscient du massacre, explique Louise Vignaud, quelque chose qui se dépose dans l’esprit du spectateur et auquel tout le reste fait référence. J’avais envie de travailler sur la notion de trace, sur ce qu’on voit voit, ce qu’on imagine

« Nuit d’Octobre est une grande aventure collective, un théâtre épique qui raconte et bouleverse, émeut et perturbe. Un spectacle paradoxal, à la fois âpre, brut, et finalement profondément sensible par les hommes et femmes qui l’habitent et le racontent. Un théâtre qui réhabilite l’Humain au cœur de l’Histoire ».  

Un théâtre fraternel et collectif face à la brutalité du sujet? Nous avons fait de nombreux aller retours entre l’écriture et les répétitions…C’était pour moi un dialogue précieux entre les images que j’avais en tête, ce que j’avais envie de chercher sur scène et le texte qui allait être le vecteur de cette recherche »(1). 

La présence des morts…

« Oui, je trouve fabuleux de pouvoir faire parler les vivants et les morts au théâtre. Très vite, l’idée est venue d’un dialogue entre deux fantômes, Octobre et Zohra. Octobre, mémoire des algériens disparus.  Zohra, quant à elle, est un fantôme qui se souvient et qui veut qu’on se souvienne.

Avec ces spectres, il s’agissait de confronter deux rapports contradictoires à la mémoire ».

(1) Cet entretien était rendu public dans le programme du TGP de ST Denis oùla pièce a été jouée en novembre. Les propos ont été recueillis par Olivia Burton.

LA DISTRIBUTION

Simon Alopé Tahar : Arthur ; un collègue de l’archiviste / Lina Alsayed Kheïra : le planton / Magali Bonat : L’archiviste ; Suzanne ; une cliente de la pharmacie / Mohamed Brikat Houari : Saad ; le déménageur / Pauline Coffre :  Françoise : l’infirmière ; une collègue de l’archiviste / Ali Esmili Hamid  Khaled : le coursier ; un client de la pharmacie / Yasmine Hadj Ali Zohra : Nour / Clément Morinière : Joseph ; Bernard ; le pharmacien ; l’éclusier ; un collègue de l’archiviste / Sven Narbonne : le formateur ; Alain ; un client de la pharmacie ; un collègue de l’archiviste / Lounès Tazaïrt : Octobre / Charlotte Villalonga : Joss ; la femme de Ménag

Photo : Rémi Blasquez

Scénographie Irène Vignaud / Lumière Julie-Lola Lanteri  / Son Orane Duclos / Costumes Emily Cauwet-Lafont / Maquillage Et Coiffure Judith Scotto / Assistanat À La Mise En Scène Margot Théry / Régie Générale Nicolas Hénault