« The Two », du blues en créole

Thierry Jaccard et Yannick Nanette, guitaristes d’origine suisse et mauricienne, a germé lorsqu’ils étaient tous deux en quarantaine, l’un au pays des Helvètes, l’autre à l’île Maurice.  

Le duo suisse-mauricien « The Two » entend bien montrer sa différence. Il vient de lancer son dernier album blues intitulé « Sadela » entièrement chanté en créole en Suisse. Ce nom est lui-même du créole mauricien, « sadela » signifiant ces deux-là, qui s’avère aussi être une traduction de « The Two ». Pour leurs morceaux dont les sonorités ont été empruntées au séga mauricien, le séga tambour chagossien et rodriguais ainsi que le maloya de La Réunion, Thierry Jacquard et Yannick Nanette ont fait appel à l’arrangeur français d’origine martiniquaise David Donatien. 

Lauréat d’un Grammy Award en 2020 dans la catégorie « Musique du monde » pour l’album « Celia » avec Angélique Kidjo, David Donatien a travaillé avec Yael Naïm, Bernard Lavilliers et Mayra Andrade, entre autres. Récipiendaire de nombreuses Victoires de la Musique, il était l’homme providentiel pour le duo. « C’est lui qui a mis le projet en orbite. Nous avions la base. Il a apporté les couleurs », confie Yannick Nanette à Mondafrique. Originaire de Goodlands, un village au nord de l’île Maurice, il indique que l’album a pris du temps à se concrétiser.  

« Nous en avions l’idée depuis un moment déjà. C’est par le plus pur des hasards que nous sommes retrouvés à faire du blues, qui pour nous, puise ses racines de l’esclavage, comme pour le séga, voire le maloya », dit-il. « A chaque fois que nous nous retrouvions à un festival, je chantonnais un morceau en créole. On nous demandait plus. On souhaitait qu’on aille plus dans cette voie, qu’on développe cette texture sonore et linguistique. Au bout de sept ans, nous avons obtenu une bourse de 30 000 francs suisses du canton de Vaud », résume Yannick Nanette.  

Le travail d’écriture s’est fait alors que les deux artistes – et qui sont enseignants dans la vie professionnelle – étaient sous le coup des restrictions sanitaires liées à la Covid-19. Yannick Nanette s’était retrouvé en quarantaine à l’île Maurice où il venait pour être au chevet de son père mourant, celui qui l’a initié à la musique. Thierry Jaccard était cloîtré à Lausanne. « C’est une cascade de mots qui est sortie de lui. Et quand j’ai lu ses textes, vu leur profondeur, c’est évident que l’album, ça serait ça. Tout faisant sens… » fait ressortir Thierry Jaccard à la presse suisse.    

De « Mama Nette », à « Emy », en passant par « Tiombo », « Fam couma ou « Loin ici », « Mo ale », « Fek la », « Lao », « Ma » et « Roseda » – une reprise de Ti-Frer, le père du séga -, ces chansons évoquent la vie dans l’archipel des Mascareignes composé de l’île Maurice, l’île de La Réunion et l’île Rodrigues. « Mama Nette » est un diminutif pour Antoinette, la grand-mère de Yannick Nannette. Ce titre reprend les épisodes où celle-ci intimaient les enfants à s’abriter lorsque l’orage grondait tout en criant la tante Marie pour qu’elle ramasse le linge.   

« Emy » est le nom de la nièce de Yannick Nanette. Il évoque les tourments de la famille lorsqu’elle tombe malade. « Le village où j’ai grandi est à majorité hindoue, d’où le récit d’un recours à un guérisseur alors que dans le blues américain, l’on s’en tient surtout au vaudou. Le bhojpuri, un dialecte indien, se retrouve aussi dans ‘Ma’ celle qui nous a porté et qui nous a tenu dans le pan de sa robe lorsqu’on était en bas-âge », relate-t-il. « Tiombo », qui signifie tiens bon, parle d’un pêcheur qui se doit se démener contre les éléments pour pouvoir nourrir ses enfants.  

« Fekla » revient sur le décès du père de Yannick Nannette. Il lui fait la promesse qu’ils se reverront au ciel. « Mo ale » est un titre que nombre de jeunes vont s’identifier. Il parle des envies d’ailleurs, l’île ne garantissant pas d’avenir pour ceux qui sont mal-nés, ceux qui ont eu le malheur d’être né créole – de descendance africaine – pour les uns… voire hindou pour les autres.  

Les thèmes récurrents que sont la vie, la mort, l’amour et l’espérance foisonnent dans l’album deux artistes qui cheminent ensemble depuis 2012. Avec plus de 800 concerts à leur actif, ils se sont produits au Montreux Jazz et au Festival de Jazz de Montréal tout en assurant la première des concerts de Johnny Hallyday, voire de Ben Harper, Mavis Staples et Charlie Winston. Après la Suisse, le duo sera en tournée au Canada la semaine prochaine.  

Après le Festival les Oreilles en Pointe, à Saint-Étienne, il sera à Avignon et à Paris, entre autres, en novembre. Durant le premier trimestre de 2024, The Two se produira sans doute à Maurice et à La Réunion.  

Vel MOONIEN