Le « Modernisme Tropical » au Victoria et Albert Museum à Londres

 Dans les années 30, le couple d’architecte anglais Jane Drew (1911-1996) et Maxwell Fry (1899-1987), furent parmi les premiers en Angleterre à penser qu’un alliage de béton, de verre et de métal permettrait de construire un nouveau monde architectural qui s’épanouira effectivement dans les colonies anglaises d’Afrique de l’Ouest sur la Gold Coast: l’actuel Ghana, le Nigeria, la Gambie, le Sierra Leone. Le Modernisme Tropical était né.

L’exposition durera jusqu’au 22 septembre 2024

Un article de Caroline Chaine

Au début des années 40 et surtout après la deuxième guerre mondiale, les pays colonisés demandent l’indépendance en reconnaissance de leur contribution à l’effort de guerre. L’Inde avec Jawaharlal Nehru le sera en 1947 et la Gold Cost, actuel Ghana en 1957 avec Kwame Nkruma qui deviendra premier ministre. Du fait de ces revendications, le Colonial Office décide de financer la construction d’écoles et d’aménagement urbain. Fry et Drew adaptèrent alors leur modernisme à la chaleur et à l’humidité. Pour eux, il n’y a pas d’architecture indigène, ils ont donc « essayé d’inventer une architecture qui répondrait aux besoins des africains de l’ouest et qui permettrait de tenir compte du climat et des maladies qui lui étaient liées ». 

Les murs en béton à l’est et l’ouest feront rempart au soleil et les façades nord et sud avec des brises soleil et persiennes ajustables procureront de l’ombre et permettront la circulation de l’air. Contrairement à l’architecture moderne européenne qui refusait tout élément décoratif, ils utilisèrent des symboles de l’Afrique de l’ouest comme « relique d’une beauté sauvage ».  Leurs livres Construire sa maison soi-même dans les climats chauds en 1947 et Architecture tropicale en zone humide en 1956 qui présentait en plus des cas pratiques eurent un succès international. 

En 1949 l’université qu’ils construisent à Ibadan au Nigeria (photo) est aussi une manière de mettre en valeur « le bon gouvernement anglais » et très vite ce nouveau style symbolisera pour les pays indépendants leurs aspirations politiques et de progrès. Un symbole de modernité qui les différenciait de la colonisation.

Une nouvelle génération d’architectes

Dès la fin des années 40, une nouvelle génération d’architectes africains se forment en Angleterre comme Theodore Shealtiel Clerket,  Peter Turkson avant de retourner au Ghana. Avec l’ouverture en 1954 d’un département d’Architecture tropicale au sein de l’Architectural Association de nombreux étudiants en provenance des pays du Commonwealth viennent y parfaire leur formation. Ils inspirent même leurs enseignants comme l’écossais Eduardo Paolozzi, un des précurseurs du pop art qui dans ses collages (photo) associe les masques africains, l’architecture et des objets cérémoniels.

Kwame Nkruma, lors de la conférence Pan Africaine qu’il organise en 1958, encourage tous les africains à retourner sur leur continent. Il veut créer une nouvelle culture africaine et ouvre une école d’architecture, la Nkrumah University of Science ans Technology (KNUST) qui encourage l’étude des styles et des techniques locaux. Il veut dés lors africaniser l’architecture avec des architectes africains. Les étudiants  sont incité à explorer les zones rurales. Il demande à l’architecte ghanéen Victor Adegbite  de revenir des États-Unis pour construire un ensemble à Accra, le Black Star square et il le nomme architecte en chef du gouvernement. Il demande à  Clerk  de construire des écoles et des hôpitaux, le port de  Tema près d’Accra, une  ville nouvelle, sur le modèle de Chandigarh en Inde. Il invite en 1964 Mahomet Ali, le champion international de boxe, l’année précédant sa conversion à l’Islam, lui offrant des terrains, espérant qu’il vienne s’installer au Ghana. L’architecte afro-americain J.Max Bond Jr  (1935-2009) est invite par Nkruma  en 1965 pour réaliser la bibliothèque de  Bolgatanga dans le nord du pays. Il s’inspire de l’architecture locale avec leurs bâtiments et leurs cours pour faciliter la circulation de l’air  et il les installe sous un toit en béton.

La foire du Commerce International qui se tient à Accra  en 1967 ouvre un an après  le coup d’État militaire qui a renversé  Nkruma. Le pavillon africain avec son toit en aluminium réalisé sous la direction de Victor Adegbite est inspiré des parapluies royaux des chefs locaux Akan. Modernité et tradition que l’on retrouve avec la jeune femme africaine en tenue occidentale à la dernière mode devant un bâtiment moderne (photo) que le photographe Ghanéen Jame Barnor prends pour le journal d’Afrique du Sud Drum en 1971.

Cette même année, le département tropical de l’Architectural Association ferme à Londres, le concept du Modernisme tropical est devenu obsolète.  Les façades qui laissaient passer l’air sont remplacées par le verre et l’air qui circule est conditionné. Francis Kéré, né en 1965 au Burkina Faso, est le premier architecte africain à être consacré par le très prestigieux Priztker Prize d’Architecture en 2002. Il défend le design et la construction durable. Pour lui, « si nous choisissons de construire nos maisons, bureaux, écoles et hôpitaux de la manière dont l’Ouest les a construits, notre planète va bruler. Le modernisme doit prendre en compte l’environnement en Afrique, en utilisant des matériaux locaux ».