Malgré la mise en scène orchestrée ces jours ci par l’Élysée sur la restitution au Bénin de quelques vingt six pièces des collections du musée du Quai Branly, les pays occidentaux, dont la France, rechignent à restituer les plus belles œuvres pillées pendant la colonisation comme la statue du Dieu Gou exposée au Louvre. Ce que révélait une récente enquête sur France.tv.
Une chronique d’Olivier Toscer
Quelque 80 % du patrimoine artistique africain est détenu hors du continent noir. Ir le président Macron avait solennellement promis devant des étudiants à l’université de Ouagadougou en 2017 que les oeuvres volées seraient restituées. La France s’engageait à rendre, en cinq ans les oeuvres d’art récupérées pendant la colonisation et exposées dans les musées français. Un an plus tard, un rapport explosif remis au président Macron fin 2018 suggère d’accélérer le rythme de ces restitutions à tous les pays qui en feraient la demande.
Trois ans après où en est-on de cette promesse ? C’est la question épineuse que pose Laurent Védrine dans un film important diffusé en France et sélectionné dans plusieurs festivals.
Piratage en règle
Le film se propose de suivre la destinée d’une pièce parmi les plus remarquables de l’art africain tel qu’on le connaît en Europe : la statue du Dieu Gou. Exposé au Louvre, cette sculpture en acier d’un dieu de la guerre avait été raflée par l’armée française, à l’issue de la conquête du Royaume de Dahomey (le Bénin, aujourd’hui) en 1892. Elle représente la prise de guerre la plus emblématique du pillage en règle de l’ancien palais royal du roi Behanzin, souverain du Dahomey envoyé en exil aux Antilles après sa défaite.
A Porto Novo aujourd’hui, l’absence du Dieu Gou représente une blessure jamais cicatrisée dans l’âme du peuple béninois. « Nous priver de nos oeuvres culturelles, c’est nous empêcher de nous reconstruire, explique un historien béninois. Nous avons besoin de ces œuvres pour renforcer notre cohésion nationale ». Aussi, le président béninois Patrice Talon a-t-il fait une demande officielle de restitution dès octobre 2016. Sans résultat pour l’instant. Si, en octobre 2020, la France a effectivement communiqué une liste d’œuvre volées lors du pillage de 1896 qu’elle acceptait de restituer au Benin, la statue du Dieu Gou n’y figure pas.
La France accepe le retour du tout venant de l’art africain sur le Continent noir, mais qu’elle considérait que les plus belles pièces devaient rester dans l’Hexagone.
Circulez, il n’y a rien à voir
C’est la thèse du film renforcée par le fait qu’aucun responsable français, ministres actuels ou passés, n’a accepté d’évoquer le sujet devant la caméra de Laurent Védrine. L’hypothèse est, en tous les cas, accréditée par les propos embarrassés de plusieurs conservateurs de musée occidentaux qui s’interrogent à demi-mot sur le devenir et la conservations des œuvres si elles retournaient en Afrique. « Il ne faut pas nous dire ce qu’on doit faire avec, tranche Hamady Bocoum, le directeur du musée des civilisations noires de Dakar. On fera ce que l’on voudra ». Quitte éventuellement à les exposer en plein air, les brûler ou les enterrer, suggère-t-il, en rappelant le caractère sacré et vaudou de la plupart des oeuvres.
L’art africain, quand il retrouve ses latitudes originelles, doit-il être conservé et exposé à l’occidentale ou retrouver ses fonctions spirituelles ancestrales, quitte à devenir éphémères ? C’est un des non-dits des affaires des restitutions de l’art africain. Ce n’est pas le seul. La résistance des musées à ce projet présidentiel est, hélas, quasi générale
Stéphane Martin vent debout
Emmanuelle Cadet est directrice de l’association Alter Natives, qui travaille à la sensibilisation de jeunes aux histoires d’acquisition d’objets non-européens, dans le cadre d’un programme développé depuis 2014. L’ancienne conservatrice-restauratrice de biens culturels a observé qu’à la suite de la parution du rapport commandé par Emmanuel Macron, un front des conservateurs s’est constitué pour entraver la restitution. « Je n’avais pas imaginé qu’il y ait une telle grogne contre les résultats du rapport.»
La prise de parole la plus remarquée a été celle de Stéphan Martin, le président du quai Branly. Le musée recense 70.000 œuvres d’art africain sur les quelques 90.000 des collections publiques françaises. Selon lui, le rapport Sarr-Savoy « met beaucoup trop les musées sur la touche au profit des spécialistes de la réparation mémorielle », avait-il déclaré le 27 novembre 2018 à l’AFP. La restitution ne peut être «la voie unique ». Ce président de la plus grande collection d’art africain en France a peur de voir les musées européens « vidés » et « d’entrer dans une logique où le patrimoine devient l’otage de la mémoire. » Mais la majorité des conservateurs de musée préférant garder le silence.
Emmanuelle Cadet explique que certains conservateurs refusaient de parler de butin de guerre, avant que le terme ne s’impose: « C’est un terme qui les dérangeaient et qui remettait en cause leur collection ». Aujourd’hui elle observe que ces histoires doivent être plus largement connues et travaillées par la société civile et les acteurs socio-culturels et jeunesse .
Apparemment, la restitution du butin promise par Emmanuel Macron lors de son discours à Ouagadougou le 28 novembre 2017, attendra encore un peu.
Restituer l’art africain : les fantômes de la colonisation, documentaire réalisé par Laurent Védrine, disponible jusqu’au 24 juin 2021 sur france.tv