En ces temps de grisaille et d’austérité, afin d’oublier les montagnes de poubelles qui jonchent les trottoirs de la capitale, il est salutaire de se réfugier à l’exposition que consacre l’IMA à Baya, la petite orpheline algérienne, enfant prodige des années 1940 encensée par Picasso et Breton – mais pas que …
Dans la série des artistes femmes peintres injustement restées dans l’ombre pendant quelques décennies et redécouvertes ces derniers temps… Baya s´impose au premier plan.
Une pionnière de la peinture algérienne dès les années 40, une femme libre affichant son talent d’autodidacte, son imaginaire à la fois empreint de tradition et plein d’audace, son caractère émancipé.
Enfant prodige et paradis perdu
Baya de son vrai nom Fatma Haddad est née en 1931 aux environs d’Alger. Jeune orpheline elle est recueillie par un oncle qui la bat et se réfugie chez une artiste française – Marguerite Caminat – qui très vite découvre ses talents picturaux, l’encourage, devient sa protectrice puis sa mère adoptive.
Rencontre décisive – résilience – qui propulse la jeune adolescente dans l’univers libérateur de la création : Baya s’empare des pinceaux prêtés par sa protectrice et – avec la spontanéité de l’enfance – réalise de superbes gouaches colorées inspirées par son environnement : une maison pleine de fleurs, de feuillages, d’oiseaux, de papillons… et de femmes.
Ce sont surtout les silhouette des femmes de Baya qui retiennent l’attention : toujours chatoyantes, toujours somptueuses, occupant avec grâce tout l’espace pictural régnant dignement sur un univers naturel totalement exempt de masculinité.
« Dans ce Paris noir et apeuré, une joie des yeux et du cœur »
Des 1947 alors qu’elle est à peine âgée de 16 ans, un ami de Marguerite Carmina repère Baya et présente ses œuvres Aimé Maeght, de passage à Alger. Le directeur de la célèbre galerie s’enthousiasme et organise une exposition – qui connaît un vif succès. Albert Camus écrit à propos les œuvres de l’adolescente : « j’ai beaucoup admiré l’espèce de miracle dont témoigne chacune de ses œuvres. Dans ce Paris noir et apeuré c’était une joie des yeux et du cœur. J’ai admiré aussi la dignité de son maintien au milieu de la foule des vernissage : c’est la princesse au milieu des barbares. »
En effet l’adolescente n’est pas seulement douée et dotée d’un univers très structuré qui s’impose dès ses premières œuvres (usage des couleurs franches, occupation magistrale de l’espace, fermeté du trait ) elle se révèle être aussi pourvue une sacrée personnalité. Derrière la naïveté de ses dessins, transparaît une vision d’un monde utopique féminin et animiste – qui s’épanouit dans une forme de sauvagerie atemporelle qui va vite séduire les peintres de l’époque notamment Dubuffet ou Georges Braque et Picasso.
De l’enfance à la maturité
La chronologie des œuvres présentées épouse celle de l’artiste : après une production abondante à l’adolescence et dans ses premières jeunes années, (une quarantaine de gouaches exposées réalisées par l’adolescente de 15 ans) Baya suspend toute activité picturale lors de son mariage en 1952 – avec un musicien arabe andalou – et les six enfants qui suivront. La guerre aussi et les tensions politiques les drames qui secoue le quotidien des Algériens n’incitent pas l’artiste à la rêverie bucolique
Elle ne reprend le pinceau qu’en 1962 et c’est une série de tableaux exposés dans la deuxième partie de l’exposition qui illustre son évolution : affirmation de son style, stylisation des profils de ces femmes oiseaux et introduction des instruments de musique dans sa peinture : « à la maison il y avait des instruments de musique partout de vivre au milieu de tous ces instruments m’a influencé.
Un style Baya? Et oui !
L’exposition évoque avec brio l’évolution de l’artiste – sa créativité explose non seulement dans les gouaches colorées et naïves des premières oeuvres mais aussi dans les sculptures en céramique qu’elle réalise ensuite, lorsqu’elle s’installe à Vallauris dans un atelier voisin de celui de Picasso. Baya évoque leur relation sans le moindre complexe, avec un panache roboratif : « nos ateliers étaient voisins et il venait de temps en temps me rendre visite ; nous discutions – il était très gentil. Des gens m’ont dit qu’il m’avait montré comment travailler. Pas du tout ! Chacun travaillait de son côté. »
C’est aussi le fort caractère de Baya que l’exposition met en évidence à travers des citations bien choisies, des lettres, des articles et extraits d’interviews.
Rose indien et bleu turquoise
Malgré une évolution, la peinture de Baya est toujours caractérisée par des couleurs vives – en particulier le rose indien et le bleu turquoise – un trait qui s’affirme, un espace de plus en plus structuré et surinvesti par ces femmes en leur jardin – comme l’indique le titre de l’exposition – jardins d’Eden, de fleurs, de feuillages, d’arbres, d’oiseaux, multicolores, de poissons, de vases – tout un univers utopique, labyrinthique et enchanté aux libres arabesques – dans lesquels ni la loi des hommes ni les lois de la perspective n’ont droit de cité.
Et cette peinture dépasse le simple folklore : Baya puise dans les traditions locales qui l’influencent ( les contes et l’artisanat des femmes et des villages de son enfance) mais elle crée son propre style.
La reconnaissance internationale ne tarde pas à venir : exposition groupée de Peintre maghrébins ou algérien mais aussi grâce a la protection de Gaston Deferre et d’ Edmonde Charleroux, la conquête du marché français voire international à partir de 1983.
Lors de son exposition à Marseille le président Mitterand et Jack Lang– alors Ministre de la Culture, sont présents.
Aujourd’hui c’est l’actuel Président de l‘IMA qui choisit de rendre hommage à l’artiste algéroise … C.Q.F.D.