Popularité confirmée pour le roi de la drill ivoirienne Himra dont le concert au cœur du quartier populaire de Yopougon a drainé des milliers de fans ivres de paroles qui reflètent leur quotidien de violences.
Correspondance, Bati Abouè
A Yopougon, au cœur de ce quartier chaud d’Abidjan, il était devenu impossible pour les véhicules de circuler. Car dès le début de l’après-midi, de nombreuses rues ont été bloquées par les forces de l’ordre et des groupes de policiers ont été postés à chaque carrefour… Parce que Himra, le roi du rap ivoire se produisait ce samedi 15 février 2025 et au regard du monde que son nouveau spectacle a drainé, la police a eu raison de mettre en place ce dispositif sécuritaire qui n’avait rien à envier, à minima, avec celui d’un premier ministre.
Plusieurs heures avant, le stade de Yopougon se laissait emplir par les drilleurs de la ville d’Abidjan dont certains venus parfois des zones situées hors du district d’Abidjan. Tatouages massifs, bonnet sur des tresses à la manière de leur idole qui cultive sa ressemblance avec le rappeur et producteur Américain Lil Wayne, des milliers d’adolescents, de jeunes, de moins jeunes et d’adultes explosaient aux premières sonorités des tubes d’Himra qui s’égrenaient au fil des heures. Et pour montrer qu’il est le roi incontesté, l’artiste a reçu des mains de son producteur le trophée de meilleur rappeur d’Afrique gagné durant les Primud.
Rivalité avec Didi B
Ce geste, simple en réalité, faisait alors remonter la rivalité avec Didi B, l’autre rappeur de talent qui draine aussi du monde. Les deux artistes ne s’apprécient guère. D’ailleurs, toutes les paroles violentes (drill) de leurs textes se nourrissent de cette rivalité.
Il n’y a pas deux rois dans une cité. Alors, les deux rappeurs se battent à coups de textes et de mélodies. « On parle, tu parles/ Gare à toi si on gagne/ Paki, machette, pénètre dans les organes/ Je suis la route du succès/ Je suis habitué aux dos d’âne/ Toi tu as oublié que tu me suçais ». Ce texte d’Himra dont le titre est « Parle, tu parles », est tiré de son album intitulé « Jeune et riche » sorti en juillet 2024. La dédicace de cet album avait provoqué un déferlement humain dans un mall de Yopougon avant d’être délocalisé dans l’immense parking du supermarché.
Ce titre est une réponse à Didi B qui avait asséné auparavant que « Ton cachet est tellement faible/ Tu ne peux pas louer un studio à M’pouto/ Meilleur rappeur d’Afrique/ Ce n’est pas moi qui dis/ Bébé, tu as une meilleure bite/ C’est pas moi qui dis », l’avait-il critiqué.
Un répertoire connu par cœur
Bref, comme à Chicago où la drill, ce sous-genre musical du rap est né, la drill ivoirienne puise ses paroles dans le mal-être de la jeunesse ivoirienne abandonnée à son sort dans un environnement difficile. D’où des textes de Himra, qui sont d’une violence inouïe. Passés par le moule de l’argot ivoirien, le nouchi que le rappeur a réussi à intégrer, ils deviennent des tubes.
« Mon nom, c’est le big/ Je dis et je fais/ Je vous ai déjà dit pète/ Ça pète/ Quand tu as Dohi ( la chance, NDLR) dans la vie : Ton sachet achète ma shoes (chaussure, en anglais, NDLR)… Et puisque le répertoire est connu par cœur par ces milliers de fans qui se trémoussent depuis des heures, le concert n’est plus qu’un carnaval et tout le monde chante et danse.
L’artiste en profite pour faire ses fameuses pompes afin de montrer sa forme athlétique. Ici, pas de place pour un homosexuel ; il pourrait ne jamais survivre dans un tel environnement au grand plaisir de l’un de ses fans : « Ce qui fait que j’aime chez le Chetté (machette, NDLR, surnom de Himra), je me sens dans sa musique. Et j’ai l’impression qu’il va faire diminuer l’homosexualité. Quand il rentre et dit Chetté, c’est ce que ça signifie. Il n’y a pas de pitié dedans ; vous devenez un obstacle, on va vous allumer (vous faire du mal, NDLR).
Dans un pays en proie à la violence urbaine consécutive à l’échec scolaire, la drill de Himra et son état d’esprit traduisent certes la réalité ivoirienne mais il décline aussi une philosophie du banditisme dans notre pays. Le maire de Yopougon, Adama Bictogo qui est également président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et dirige la Côte d’Ivoire depuis quinze années avec son parti était présent. Mais comme tous les politiques qui ne cherchent qu’à récupérer les leaders d’opinion qui drainent des milliers de personnes, il n’a probablement pas écouté les textes de l’artiste repris en chœur tout au long du concert. A tel point qu’il ne sera pas en mesure d’en mesurer la cruauté.