Avec La Source, Meryam Joobeur explore les tensions familiales et les traumatismes transgénérationnels dans un huis clos poignant. Une réalisation immersive, mêlant onirisme et réalisme, qui confirme son talent et marque le cinéma arabe contemporain.
Avec La Source, son premier long-métrage sorti début janvier, Meryam Joobeur, réalisatrice canado-tunisienne, livre un drame familial saisissant qui confirme tout le talent aperçu dans son court-métrage Brotherhood, nommé aux Oscars en 2020.
Dans un village reculé de Tunisie, une famille voit son équilibre bouleversé par le retour inattendu de Mehdi, parti combattre en Syrie avec son frère aîné. Il n’est pas seul : à ses côtés, Reem, une mystérieuse épouse voilée et muette, dont la présence va réveiller les démons du passé. La réalisatrice excelle dans l’art de tisser une atmosphère envoûtante, où réalité et onirisme se confondent. Sa caméra capture avec une sensibilité rare les tourments d’Aïcha (Salha Nasraoui) et Brahim (Mohamed Grayaa), parents déchirés entre l’amour pour leur fils et la peur des conséquences de son retour.
Le film prend une dimension quasi mystique lorsque des événements étranges commencent à secouer le village : une brebis morte, des disparitions inexpliquées, les visions prémonitoires d’Aïcha… Pendant ce temps, Bilal, un policier ami de la famille, mène une enquête qui menace de faire éclater les secrets soigneusement enfouis. La force de La Source réside dans sa capacité à transcender le simple drame familial. Joobeur y explore avec finesse les traumatismes transgénérationnels, la culpabilité et les non-dits qui gangrènent les relations familiales. Sa mise en scène spartiate, où la caméra s’attarde sur les visages et les regards, traduit parfaitement cette tension permanente.
Saliha Nasraoui, poignante
Le casting, mêlant acteurs professionnels et non professionnels, apporte une authenticité bouleversante au récit. Salha Nasraoui livre une performance poignante dans le rôle d’Aïcha, tandis que Malek Mechergui incarne avec justesse la complexité de Mehdi. Le choix audacieux du format 4:3 n’est pas anodin. Ce format crée une claustrophobie visuelle qui renforce l’impression d’enfermement des personnages. Cette sensation est amplifiée par une photographie aux teintes ocre et terreuses, plongeant le spectateur dans un huis clos émotionnel dont personne ne sort indemne. Les séquences oniriques, parsemées tout au long du film, apportent une dimension supplémentaire au récit. Un cheval blanc apparaît régulièrement, tel un présage, tandis que des visions troublantes hantent les nuits d’Aïcha. Ces éléments de réalisme magique, profondément ancrés dans la culture tunisienne, traduisent une manière dont le surnaturel s’immisce dans le quotidien, particulièrement en temps de crise.
Le film brille également par sa bande sonore minimaliste. Les silences pesants sont ponctués de sons naturels – le vent dans les oliviers, le bêlement des moutons, le murmure des prières – créant une partition sonore organique qui amplifie la tension dramatique. Ces moments de calme apparent se transforment en séquences d’une intensité rare.
La Source a nécessité quatre ans de développement, dont six mois passés dans le village du tournage, permettant aux acteurs de s’imprégner totalement de l’environnement. Cette immersion totale se ressent à l’écran : chaque regard, chaque geste semble habité par une vérité profonde qui transcende le jeu d’acteur traditionnel. Après avoir conquis la Berlinale et raflé plusieurs prix internationaux, La Source s’impose comme une œuvre majeure du cinéma arabe contemporain.