Côte d’Ivoire: « le village Ki-Yi », la culture en liberté

Une quarantaine d’années après sa création en 1983, le village Kiyi, continue d’être un lieu de formation à la création et au développement par la culture. Durant ce parcours, il alimenta la vie artistique mondiale de ses meilleurs chanteurs, peintres, danseurs, acteurs et autres. Le village se régénère aussi dans sa gestion pour que la vie continue d’y être autant colorée qu’à ses débuts.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

C’est dans le Dojo d’Eddy-Njock N. Wetewete-Liking plus connu sous le pseudonyme de Werewere-Liking que naît en 1983 le village Kiyi. Lequel deviendra la Villa Ki-Yi en 1984 avec l’installation d’une troupe de théâtre baptisée le Ki-Yi Théâtre. A sa naissance, la troupe bénéficie de la collaboration de Marie-José Hourantier, une anthropologue d’origine française et metteur en scène, et Werewere-Liking, artiste panafricaniste née au Cameroun.

Werewere-Liking transforme la troupe en Ki-Yi Mbock, tandis que la Villa Ki-Yi prend le nom de Village Ki-Yi qui deviendra plus tard un lieu de vie et de travail. Il sera même agréé en 1997 comme un « Centre Panafricain de Formation Ki-Yi » par le Ministère de la Culture. Depuis, le centre s’est bâti une incroyable notoriété. Puisqu’il se constitue à partir de 2001 en une fondation artistique et culturelle dénommée « Fondation Panafricaine Ki-Yi» dont le rôle est de former des artistes en herbe, parfois des adolescents déscolarisés et sans avenir à la création et au développement par la culture. Ki-Yi Mbock signifie d’ailleurs « l’ultime savoir de l’univers » en Bassa, la langue maternelle de la fondatrice.

La fondatrice du village Ki-Yi, Werewere Liking au milieu de ses œuvres d’art dans le chic quartier de Cocody-Riviera, à Abidjan

Un temple des arts

Le village est une véritable mosaïque culturelle et un réel temple des arts et de la culture qui allie à la fois spectacles, expositions, conférences, ateliers, etc. On y apprend la danse, le chant, le théâtre, toutes sortes d’instruments de musique, la peinture, la sculpture, les arts martiaux, l’entrepreneuriat et biens d’autres métiers culturels et artistiques.

De cette pépinière artistique, émergent des artistes talentueux tels que Bomou Mamadou, Bony Gnaoré, Dobet Gnaoré, sa fille née dans le village, Manou Galo, la fille de Divo qui manie la guitare bass comme un ustensile de cuisine, et même les plus jeunes comme ceux des groupes Kiff No Beat, All Black, Nafassi.

Mais les jours passent et laissent ses traces. En 2021, la fondatrice Werewere Liking passe la main à Bacome Niamba, chorégraphe et actrice reconnue, qui dirige présentement la fondation. Elle souvient de ses débuts au village Ki-Yi : « C’était une magie au niveau de l’Afrique. Il y avait des envies incroyables de rentrer dans ce village. Mais tout le monde n’y arrivait pas. Et ceux que Werewere faisaient rentrer, j’ai l’impression qu’elle voyait dans leur tête et dans leur cœur. C’était ça aussi, Werewere, c’était un mystère », s’enthousiasme-t-elle encore aujourd’hui. 

 

Reine mère inamovible

Malgré tout, les visiteurs du village aperçoivent encore Werewere Liking. Toujours drapée d’une longue robe ornée d’un collier de coquillages, les cheveux retenus par un foulard, elle se déplace encore, pas à cause de l’âge- elle a maintenant 74 ans-, à l’aide de sa canne en bois sculpté au milieu de ses peintures. C’est en effet une « Reine mère » qui prend toujours le même plaisir à parler aux visiteurs du village Ki-Yi. Lesquels, sur leur parcours, verront le musée, la bibliothèque, le grand plateau de répétition ou encore l’atelier de couture. 

Malheureusement, ce temple des cultures africaines et du « théâtre rituel », autrefois qualifié de sortilèges hermétiques, a vu ses bâtiments défraîchis par l’âge. La célèbre compagnie quasi dissoute et la programmation moins riche, vu que de nombreux artistes ont quitté les maisonnettes, font parfois regretter les belles années du village.

Mais Jenny Mezile a pris le relais en octobre 2021. Cette chorégraphe franco-haïtienne de 52 ans arrivée à Abidjan en 1997 est à la pointe de la danse contemporaine en Côte d’Ivoire. Elle a même créé une école de danse à destination des jeunes déscolarisés. Et grâce à elle, la fondation retrouve petit à petit « l’âme du village Ki-Yi », c’est-à-dire son lien éternel avec les artistes, les vrais artistes. Et rien que pour ça, le village Ki-Yi a encore de belles années devant lui.