Yves Marek, Ambassadeur, Secrétaire Général de la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel), Ex-Président de la Fédération française des échecs, est l’auteur de « gouverner c’est aimer », un joli livre qui remet au centre de la vie politique la nécessaire empathie dont nos dirigeants devraient faire preuve à l’égard du peuple qui n’est pas une foule anonyme.
Mondafrique publie la préface de ce livre, qui est signée par François Baroin, ancien ministre
« On a oublié que conduire une collectivité humaine nécessitait le sentiment de faire corps avec elle »
Ce livre nous offre une plongée en profondeur dans trois mille ans de sagesse politique, parcourant toutes les plus grandes civilisations de l’Antiquité la plus lointaine jusqu’à nos jours.
Yves Marek nous propose de ramener la politique à des figures éternelles des relations humaines : la promesse, la crainte, la confiance, le destin, le secret… Parce que la politique est avant tout une chose humaine, elle n’est pas réservée aux hommes d’État, ni aux conseillers des Princes et elle est souvent mieux décrite encore dans ses ressorts profonds par les moralistes, les écrivains, les poètes et même les humoristes que ce livre érudit mais souvent espiègle ne se prive pas de convoquer.Peu à peu, comme à la lecture des grands moralistes français, de La Bruyère à Chamfort, c’est un tableau de l’âme humaine qui se dessine sous nos yeux.
Une déjà longue carrière politique, depuis la campagne de Jacques Chirac en 1995 jusqu’à la gestion de la crise grecque aux côtés de Nicolas Sarkozy m’a donné bien des occasions de vérifier les intuitions de ce livre et que dans les affaires les plus hautes de l’État, la connaissance des caractères, des lois non écrites de la politique et de la nature humaine était souvent la condition décisive du succès.
La force de l’Amour
Le constat de départ hélas d’une déshumanisation de la politique est exact. La décision politique est de plus en plus enserrée dans des contraintes juridiques excessives et souvent absurdes, découlant notamment d’un droit international et européen qui se démultiplie sans contrôle, dans des liens incapacitants que les politiques se sont imposés à eux-mêmes – souvent sans en prendre conscience – et qui les entravent. Les techniciens, les comptables, les adeptes du management et de la déontologie ont multiplié les règles qui non seulement empêchent la décision, mais sont arrivées subtilement à installer l’idée que proposer de briser une règle ou de l’ignorer est forcément une faute alors que la mission du Politique est justement de définir les lois de la cité. Dans beaucoup d’esprits, s’est installée l’idée que la politique se résume à des dossiers, à des réformes, à des régulations au point que lorsqu’ils veulent bien admettre qu’il y a une dimension humaine dans l’exercice du pouvoir, le mot est pour eux péjoratif car ils pensent d’abord, aux ambitions, aux rivalités, aux divisions qui empêchent ces réformes qui à leurs yeux s’imposeraient sans discussion et dont ils acceptent par avance de n’être que les objets, ou encore à la mauvaise humeur du peuple insuffisamment docile à leurs yeux.
Pire encore, on a de plus en plus recouru depuis les années 1970 et en particulier dans les politiques d’ajustement qui se sont imposées dans toute l’Europe, dans un temps long dont on perçoit l’épuisement, à ce qu’on a appelé à la suite du Professeur Alain Supiot le gouvernement des nombres et l’on a oublié que conduire une collectivité humaine nécessitait le sentiment de faire corps avec elle, de vouloir partager son destin, de vouloir lui offrir le meilleur de sa volonté de servir, de mobiliser la force de l’imagination et osons le dire, « la force de l’Amour ».
Une érudition réjouissante
Ce livre démontre à l’inverse, à travers une collection impressionnante de citations dont certaines d’une insondable profondeur, que partout et toujours, la politique se ramène à des figures éternelles de l’humanité.
En ce sens, ce livre rejoint en quelque sorte le projet des « Essais » de Montaigne, qui convoquant aussi tous les auteurs latins, délivrait un message humaniste pour les temps nouveaux de la Renaissance. Pour être une anthologie, et même si l’auteur a surtout l’ambition de réhabiliter la noblesse de l’Art politique en montrant l’existence d’une sagesse universelle et de se cacher d’une certaine manière derrière les auteurs du passé, ce livre est éminemment personnel et porte une pensée originale qui est le produit d’une lente distillation. Il est le fruit de la formation intellectuelle d’Yves Marek, né près de Carthage (Tunisie) et nourri très tôt des auteurs de l’Antiquité et du raffinement de l’urbanité méditerranéenne (…).
L’Antiquité, la Renaissance et « les Lumières »
On devine que l’auteur goûte plus le flamboiement de la Renaissance, sa redécouverte de l’antiquité et sa subtilité que les Lumières dont le côté juridique, formel, contient aussi des potentialités de systématisme, voire de totalitarisme. On y perçoit, pourtant chez un haut fonctionnaire parmi les meilleurs de sa génération, un détachement dubitatif et amusé sur les prétentions arrogantes de l’intelligence organisatrice. On y lit l’intuition que la France, l’Europe, le monde occidental se sont peut-être trompés sur ce qu’est leur identité et qu’ils perdent peut-être leur sève nourricière en croyant que leurs valeurs sont un ensemble de principes juridiques du XVIIIe siècle et en négligeant l’héritage grec, romain, celui du Moyen-Âge et de la Renaissance, et même le lien souterrain avec l’Orient que ni Athènes ni Rome n’avaient renié autant que nous.
En ces temps de repli identitaire, de fermeture au monde, au moment où certains oublient que la France est un creuset et pas une ethnie, qu’elle a souvent été à la pointe de la curiosité pour les civilisations lointaines, il est heureux de découvrir que les sages chinois, les penseurs arabes, les Grecs et les latins ont à travers les siècles décrit les mêmes travers humains, prôné les mêmes maximes de gouvernement et mis en évidence l’unité profonde du genre humain. Se révèle aussi dans ce livre l’espoir peut être idéaliste et fou qu’en redonnant ses lettres de noblesse à l’Art politique, il réussira à réconcilier les citoyens avec la politique.
Gouverner, c’est un Art
Peut-être en effet que si les citoyens sont davantage convaincus que gouverner est un Art presque mystique et une communion amoureuse avec le peuple, ils auront autant de mépris pour le jeu dérisoire des ambitions personnelles, la superficialité des politiques reposant sur la communication, mais plus de respect pour la charge qui pèse sur les épaules des Hommes d’État dévoués au bien public. Souhaitons-lui donc un grand succès.
France, « Manu, tu nous mets 64, on te Mai 68 »