Paris, autoportraits africains à la Maison Européenne de la photographie

Tous deux sont africains et se sont fait une spécialité de l’usage de l’autoportrait : les deux photographes Samuel Fosso et Pamela Tulizo investissent our un temps les trois étages de la Maison Européenne de la photographie. (MEP)

Un article de Christian Labrande

Pour le photographe Nigero camerounais Samuel Fosso, loin d’un penchant narcissique, cette pratique de l’autoportrait est une manière d’interroger l’histoire africaine. Une histoire dont il a vécu directement nombre de pages douloureuses. Issu de l’ethnie ibo qui est au cœur de la guerre du Biafra, il échappe aux massacres dont son ethnie est victime en se réfugiant dans la forêt avec ses grands parents. Quelques années plus tard il retrouve son frère à ; Bangui, en république centrafricaine, où il s’initie avec un oncle aux rudiments de la photographie.

Il ouvre son premier studio baptisé « studio national » avec comme devise « avec studio national, vous serez beau chic et reconnaissable »L’entreprise se développe ; elle s’appelle successivement « studio Confiance », puis « Studio Convenance ». Mais le spectre de la guerre civile frappe encore : en janvier 2014 Fosso se réfugie à Paris alors que son studio à Bangui est pillé : plus de 15.000 négatifs sont endommagés ou détruits.

Utiliser son corps pour divertir

Sa pratique de l’autoportrait survient tôt dans son travail. Dès les années 1970 , Samuel Fossose photographie en parodiant en vedettes des stars de la musique américaines. Des portraits qui dénotent déjà son gout du jeu, de la provocation que l’on retrouvera ensuite dans toute travail.

Dans les années 1990 son œuvre commence à être reconnue au niveau international. Il expose au festival Africa de Londres et à Paris. En 1997 notamment, quand il est invité avec les photographes maliens Seydou Keita et Malick Sidibé, à réaliser la campagne publicitaire des magasins Tati. Un Studio photo ambulant est installé sur le Boulevard Rochechouart . Chacun peut s’y faire photographier dans la tenue de son choix. La version parisienne du studio de rue africain…

Parallèlement il multiplie les autoportraits dans les rôles les plus variés ; marin , pirate, garde du corps , joueur de golf, rombière plantureuse ou chef africain. D’ailleurs, une de ses œuvres intitulée « le chef qui a vendu l ‘Afrique aux colons » fait explicitement référence à Mobutu. Comme le déclarait à cette époque le photographe : «  j’utilise mon corps pour divertir pour dire que chacun peut faire ce qu’il veut. Mon grand père souhaitait que je devienne guérisseur comme lui, mais quand il est mort en 1961, j’étais trop jeune pour reprendre le fambeau. Mais avec la photographie je peux communiquer mes pensées ».

Les oeuvres nombreuses et imposantes exposées à la MEP s’inscrivent en droite ligne de ce travail de déconstruction par l’image et ses manipulations .

De Mao à Tommie Smith

Il en est ainsi de la salle consacrée à Mao Tsé Toung dont Fosso recompose dans une mise en scène minutieuse quelques uns de ses portraits les plus emblématiques. Pour rappeler que l’Empereur communiste fut aussi un grand manipulateur d’images et que ses successeurs ont bien conscience des enjeux que représente le continent africain.

Autre moment marquant de ce parcours à travers les autoportraits la salle intitulée Black Pope avec laquelle la figure du pape incarnée par Samuel Fosso se rapproche d’ une uchronie ; avec cette question pendante et provocante : et si le pape était africain ? Toutefois on sait qu’alors que le nombre de catholiques a doublé en Afrique en deux décennies, la perspective de voir survenir un pape noir reste, elle, fort lointaine.

Produite en 2013 la série allonzenfants s’attache à une histoire militaire de la France encore trop méconnue : l’enrôlement d’hommes issus de ses colonies d’Afrique de l’ouest  pour combattre dans les deux guerres mondiales. Les photos présentées sous forme de dytiques montrent l’artiste revêtant les tenues des « tirailleurs sénégalais », comme on les désigna durant les deux conflits. L’effet de répétitions produits par l’assemblage de ces clichés induit l’idée d’une multiplicité de vies sacrifiées à la défense de l’Empire colonial.

En guise de clôture à ce parcours dans la grande histoire revisitée avec humour et sens aiguisé du pastiche Samuel Fosso nous propose son « Panthéon africain » une série de superbes tirages noir et blanc (saisis à l’aide d’un Hasselblad numérique) où il réincarne ses héros : Mohamed Ali, Aimé Césaire, Angela Davis, Miles Davis, Seydou Keita, Martin Luter King, Patrice Lumumba, Nelson Mandela, Kwame Nkrumah, Hailé Sélassié, Léopold César Senghor et Tommie Smith.

Après cette impressionnante rétrospective, la place dévolue à la jeune photographe congolaise Pamela Tulizo, parait bien modeste. Ses quelques clichés en forme de montages exposent des portraits attachants de femmes africaines dans une région, celle de Goma tristement célèbre pour les violences faites aux femmes.

Baptisée face to face cette série entend montrer la double face de ces personnages, prises entre la compassion victimaire et un message d’espoir.

La MEP présente aussi quelques clichés de la série que Pamela Tulizo a consacré en 2021 à l’épidémie de Covid : images grinçantes de modèles en magnifiques robes conçues à partir de produits essentiels comme des ampoules, de la nourriture ou du charbon.

On espère voir un jour davantage de son travail…

Maison Européenne de la photographie.

5 rue de Fourcy. 75004 Paris

Samuel Fosso, jusqu’au 13 mars 2022

Pamela Tulizo, jusqu’au 13 mars 2022