Le ministre Bruno Retailleau contre les TikTokeurs algériens

Jean Baptiste DOAT, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Alors que la France commémorait cette semaine les 10 ans des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, Bruno Retailleau s’est distingué en communiquant sur l’arrestation de plusieurs…influenceurs. Auteurs de dérapages violents et dangereux, ces ressortissants algériens aux parcours tortueux voire chaotiques sont soupçonnés d’être des agents à la solde d’Abdelmadjid Tebboune. Une accusation largement relayée malgré l’absence de preuves, quitte à entretenir le fantasme d’une cinquième colonne algérienne.

Les forces de l’ordre n’ont pas traîné. Trois individus, décrits comme des « influenceurs algériens », ont été arrêtés cette semaine à Brest, Échirolles et Montpellier après des propos particulièrement belliqueux et des menaces à l’encontre des personnes qui tenteraient de s’opposer au gouvernement de leur pays d’origine. Un de leurs compatriote, se présentant comme un réfugié politique en France, était également visé par ces dérapages mêlant nationalisme extrême, antisémitisme et complotisme.

Des personnalités politiques et de nombreux médias, à commencer par ceux de la galaxie Bolloré, se sont empressés de dresser un tableau inquiétant : ces « influenceurs algériens » ont agi de manière coordonnée en vue de semer le chaos en France.

Malgré les tensions actuelles avec Alger, le ministère de l’Intérieur n’a pas contredit pas ces accusations développées sur les plateaux TV et radio mais a communiqué à plusieurs reprises sur les arrestations. Une note censée être interne a même été révélée par le Figaro. Celle-ci nous informe que Bruno Retailleau a demandé aux préfets de redoubler de vigilance et d’initier l’ouverture de procédures d’éloignement quand les auteurs de propos haineux sont des ressortissants étrangers résidant en France.

En l’absence de démenti, la petite musique insidieuse a continué de se propager sans encombre dans les débats des chaînes d’informations en continu et sur les réseaux sociaux : ces TikTokeurs seraient-ils les soldats d’une sombre stratégie anti-française bien plus vaste ?

À en croire ces insinuations, l’Algérie, qui préside actuellement le conseil de sécurité de l’ONU, en conflit ouvert avec la France, le Maroc et désormais le Mali, aurait donc misé sur le réseau social préféré des adolescents pour mener une opération de déstabilisation.

Son nom est « de luxe »… « Bledar de luxe »

L’opération commence sur TikTok, temple du divertissement et de la dérision, où la simple ouverture d’un compte peut donner le droit de caresser le rêve de devenir influenceur. Les individus dans le viseur de Retailleau déclinent des noms tous plus loufoques les uns que les autres : « Zazou Youcef », « Imad Tintin » alias « Bledar de luxe », « Abdesslam bazooka », ou encore « Ami (oncle en arabe) Boualem », surnommé comme ça en raison de son âge avancé.

Les conditions de tournage de leurs vidéos révèlent un amateurisme à mille lieues des influenceurs comme Inoxtag, Léna Situations ou encore Squeezie dont ils pensent partager la table. Armés de leurs simples smartphones, « Zazou Youcef », cheveux longs copieusement gominés et lunettes noires XXL, ou encore « Bledar de luxe », vêtu la plupart du temps d’une veste de jogging, se filment dans leur chambre ou dans une voiture, sans prêter la moindre attention au cadrage ou à la qualité sonore.

À l’instar de Bassem Braiki, polémiste proche des milieux d’extrême droite célèbre sur Youtube, ils cherchaient probablement à gagner de nouveaux abonnés et à se rendre célèbres par des provocations. Ils ont finalement atteint leur but mais devront désormais répondre de leurs actes devant la justice et peut-être même faire l’objet d’une expulsion. Les trois personnes arrêtées cette semaine sont ou seront ciblés par des OQTF en raison de leurs démêlés avec la justice.

Chawki Benzehra, un « opposant » au passé intriguant

Acteur-clé derrière cette vague d’interpellations : Chawki Benzehra, lui aussi de nationalité algérienne. L’homme a obtenu le statut de réfugié politique en 2023 pour avoir soutenu, selon lui, le hirak algérien. Celui qui se définit comme un lanceur d’alerte a joué un rôle central en attirant l’attention de Bruno Retailleau sur ces individus, noyés jusqu’à présent dans la jungle des réseaux sociaux. Sympathisant des idées d’extrême droite, il a notamment apporté son soutien à Marion Maréchal ou encore à l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo, qui cible régulièrement l’Algérie.

Ses interventions dans plusieurs émissions télévisées ont évoqué ce qu’il considère comme une stratégie de déstabilisation orchestrée par Alger, avec la complicité selon lui de la Mosquée de Paris, laquelle a dénoncé dans un communiqué la campagne sournoise menée à son encontre.

En prenant pour cible les influenceurs algériens, Benzehra semble parti pour s’installer comme un invité de choix dans le traitement des questions sensibles liées à l’Algérie et à l’islam, aux côtés de ses indéboulonnables compatriotes Mohamed Sifaoui et Kamel Daoud.

Dans des vidéos enregistrées en 2020 toujours disponibles sur les réseaux sociaux, Chawki Benzehra se montrait pourtant férocement hostile à la France. L’actuel réfugié politique dénonçait une forme d’ingérence de Paris dans les affaires de l’Algérie et des pays du Sahel. Il avait notamment évoqué le rôle néfaste joué par Bernard Kouchner, un homme proche de « l’entité sioniste » selon ses propres mots.