Le retournement de Charles M’Ba est spectaculaire. Mondafrique avait interrogé, voici deux ans, Charles René Mba, expert-comptable, ancien cadre supérieur chez ELF AQUITAINE puis TOTAL et auditeur chez PRICE WATERHOUSE également ancien directeur général des marchés publics, ancien Ministre délégué aux finances et Ancien Sénateur du Gabon.
Propos recueillis par Jocksy Ondo-Louemba
Mondafrique : Il y a un peu plus d’un an Ali Bongo a été victime d’un AVC en Arabie Saoudite, il s’en est suivi une période particulière dans l’Histoire du Gabon. Quelle est votre analyse de cette période ?
Charles René Mba : Je constate qu’après avoir évoqué une « légère fatigue[1] », puis un « malaise », puis « une fatigue sévère », puis encore des « saignements », les collaborateurs de M. Ali BONGO, son Porte-Parole notamment, puis son vice-président ont fini par avouer et définitivement établir qu’il s’agissait bien d’un AVC survenu le 24 Octobre 2018 à Ryad, en Arabie Saoudite.
L’objectif de tous ces graves mensonges d’Etat était de perpétrer la violation de l’article 13 de la constitution ; lequel prévoit la constatation de la vacance de pouvoir par la Cour Constitutionnelle en cas d’empêchement du Président de la République.
Vous voyez bien que ces mensonges d’Etat, voulus et organisés par le parti au pouvoir, le gouvernement, et accrédités par la cour constitutionnelle ont achevé de plonger le Gabon dans une crise institutionnelle sans précédent.
Personne ne peut avoir oublié ni les montages grotesques des vidéos faites dans un pays étranger, ni les tristes images du message à la Nation de décembre 2018, ni même, la tentative de coup d’état fomentée dans des conditions ubuesques.
L’année 2019 que nous traversons et dont nous allons poursuivre le cycle infernal, a définitivement ouvert des risques majeurs pour le Gabon. Risque de désintégration sociale dans un pays qui compte désormais plus d’un actif gabonais sur trois au chômage et plus d’un gabonais sur trois vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Risques sur une récession économique réelle malgré les chiffres affichés qui ne correspondent pas au vécu et au ressenti de la population et dont l’objectif est de cacher le rétrécissement de l’appareil de production et de services publics parce qu’en réalité, plus personne n’a réellement confiance dans l’avenir !
Mais il y a aussi, les risques majeurs liés à la stabilité interne dans un pays où le nombre de remaniements ministériels en 2019 le dispute au farfelu et au ridicule, témoignage d’un amateurisme et de profondes incapacités politiques et managériales !
Bref…au total, l’affaiblissement de l’Etat et de la société gabonaise contribue à faire naître ou à aggraver les risques pour une région déjà en proie à des tensions sévères !
Et je dois à la vérité de dire que M. Ali Bongo, en porte la responsabilité première, par sa seule obstination, intéressée à confisquer une charge que les Gabonais lui ont démocratiquement refusée. Et à vrai dire, chacun voit bien qu’il peut réaliser cela avec l’appui des moyens financiers, la puissance et la force de l’Etat. Avec l’appui des institutionnels abusivement protecteurs d’un clan et d’un camp au détriment de l’intérêt collectif, bref, il le fait grâce à la complicité de toutes celles et de tous ceux qui sont foncièrement prêts à tout pour garder, à tout prix, un pouvoir et des situations matérielles personnelles illégitimes !
N’en déplaise au pouvoir qui s’est imposé aux Gabonais, même les fondements de la République et du vivre ensemble sont plus qu’en danger, ils se sont considérablement fissurés, ils sont remis en cause par la seule volonté d’un homme et d’un groupe, prêts à tout pour se maintenir coûte que coûte !
Comme vous pouvez le comprendre, tout cela m’inquiète particulièrement, et au plus haut point !
Ali Bongo a fait la déclaration suivante dans un meeting le 05 Octobre 2019 au quartier Nzeng-Ayong de Libreville « Je suis là, je resterai là » que vous inspirent ces propos ?
En s’exprimant ainsi, M. Ali Bongo a tout dit, il a résumé sa pensée véritable : la présidence du Gabon est à ses yeux un héritage personnel, son héritage à lui ! Comment pourrait-il en être autrement pour lui ? Comment ses complices et lui-même pourraient-ils envisager que la volonté du peuple gabonais s’impose à eux ? Pourtant les Gabonais, c’est-à-dire ceux à qui appartient la souveraineté de notre pays, ont rejeté sa candidature, sa personne et sa gouvernance calamiteuse. Et le monde entier le sait ; lui aussi le sait mais il n’en a cure !
M. Ali BONGO considérerait presque que le peuple gabonais lui a été donné par surcroit ! C’est inacceptable pour un esprit comme le mien, attaché à la démocratie, à ses règles, ses valeurs et ses principes. C’est insupportable pour un esprit républicain ! Ce n’est pas un président que nous avons, c’est bien un monarque absolu qui, de plus, n’assume même pas ses propres délégations de pouvoirs.
Ses proches collaborateurs en font, aujourd’hui encore, l’amère expérience ; eux qu’il a librement choisis et placés à la tête de « pompes à fric » et qui sont immolés, sacrifiés. Ils sont sélectivement jetés au moindre écart de partage de la manne financière ! Voilà donc un président qui, à chaque fois, me conforte dans l’idée que l’intérêt supérieur de la nation, l’intérêt général, le service de l’Etat et a fortiori de la République, toutes ces choses essentielles à la gestion d’une cité, lui sont étrangères. Pire, elles sont absentes de son ADN !
Avec un bilan catastrophique pour l’école, la santé, avec le chômage et la pauvreté, endémiques, avec l’endettement massif, la corruption généralisée et surtout, avec les forces qui sont venues à lui manquer, l’intérêt supérieur du pays aurait pu lui commander de se retirer. Pour que le Gabon reprenne son avenir en mains et une marche en avant voulue par une très large majorité. C’est vrai hélas : on ne change pas la marque de fabrique d’un homme ! « Je suis là, je resterai là », cette déclaration indique sa marque à lui !
Les prochaines élections auront lieu en 2023 pensez-vous qu’Ali Bongo pourrait se présenter ?
Il est probable qu’après avoir évincé son omniprésent et omnipotent directeur de cabinet, et après en avoir nommé un nouveau apparemment plus effacé, il veut donner l’illusion de reprendre les choses en mains. C’est toujours la volonté de s’enraciner plus profondément, et de confisquer plus que jamais le pouvoir. Il s’agit peut-être aussi de se rassurer lui-même, de conforter et de rassurer ceux des siens et de ses amis qui avaient pu craindre ces derniers mois pour leurs apanages, leurs avantages et leurs privilèges.
Sera-t-il candidat en 2023 ? Pourquoi non ? Je considère qu’il ne faut se bercer d’aucune illusion, ne tirer aucun plan sur la comète, mais qu’il faut au contraire, observer les évolutions et tirer les conséquences qui s’imposent ! D’autant que la volonté du peuple gabonais importe peu à M. Ali BONGO pour être là, et pour rester là, comme il le dit lui-même ! D’autant plus que les institutions en charge de l’organisation et de la gestion des élections, y compris la cour constitutionnelle, demeurent dans sa main !
Vous êtes un soutien de Jean Ping, quels sont vos rapports actuellement ?
Avec Jean PING, et avec beaucoup d’autres femmes et hommes de notre pays, nous avons en commun d’œuvrer, de nous battre farouchement pour le nécessaire et indispensable respect de la souveraineté du peuple gabonais, pour le respect, simple, de la volonté exprimée des gabonais. Nos rapports sont cordiaux, normaux.
J’ai soutenu Jean Ping en 2016, les gabonais l’ont choisi ; et il a gagné l’élection présidentielle ! Ce mandat a été confisqué dans les conditions brutales et douloureuses que tout le monde connait. Cette confiscation est une véritable impasse depuis 2016, nous le savons tous, aussi.
Le combat afin de sortir de cette impasse mortifère pour notre pays, il faut le poursuivre partout où chacun de nous se trouve. Vous le savez, l’union est un combat en soi, il faut aussi se battre pour rester ensemble, d’autant que la victoire en dépend. Nous faisons tout, nous devons tout faire pour demeurer groupés, disciplinés et en confiance, focalisés sur la concrétisation de l’alternance démocratique au Gabon. Focalisés sur l’avènement d’un système véritablement démocratique et sur la consolidation des institutions de notre pays.
Voilà qu’elle est ma ligne, tracée entre la double exigence d’une part de la fidélité aux valeurs démocratiques et républicaines, et d’autre part celle du service de l’Etat et de l’intérêt général ! Lorsque les Gabonais votent, c’est d’abord pour voir changer leurs vies en mieux !
Certains observateurs de la vie politique gabonaise pensent que vous serez candidat en 2023 qu’en dites-vous ?
Nous sommes en 2019 et en fait, vous vous demandez qui sera candidat en 2023. Vous sondez les uns et les autres, c’est votre rôle ! Et c’est vrai 2023, c’est à la fois très loin et très proche ! Mais que de préalables !
Cette élection aura-t-elle bien lieu ? En 2023 ? Avant ? Personne ne sait le dire aujourd’hui. Et puis, avec quel recensement ? Celui invraisemblable qui pourrait être modifié dans un beau quartier de Libreville pendant que les Gabonais dorment ?
Avec quelle liste électorale ? Avec quel code électoral, avec quelles institutions crédibles pour s’assurer que le vainqueur sera vraiment déclaré puis proclamé vainqueur ? Personnellement, il m’a été enseigné qu’il ne faut jamais mettre la charrue avant les bœufs ; je m’applique à suivre ce conseil. C’est certainement stimulant d’être attendu par ses compatriotes ; c’est sans doute exaltant d’aller à la rencontre de ses concitoyens, il faut sans doute avoir quelque chose à leur dire, une vision à leur proposer. Cela demande d’y travailler, sérieusement et c’est comme cela que, personnellement, je le conçois. Cela demande et prend donc du temps, et il faut « laisser du temps au temps ». Pour l’heure, restons concentrés sur ce qui est essentiel aujourd’hui : obtenir ou faire en sorte que la volonté des Gabonais soit respectée, et respectée à jamais ! Les Gabonais ne doivent plus revivre ni 2009, ni 2016 ; et franchement, 2023, c’est dans quatre ans !
Le pouvoir gabonais a lancé une vaste opération anti-corruption dénommée opération scorpion, qu’en pensez-vous ?
Si je comprends bien, il s’agit, pour le moment, d’arrestations et d’inculpations de dirigeants et gestionnaires d’entreprises publiques et parapubliques qui, avec leurs amis, leurs copains, leurs alliés, leurs partenaires en affaires, se seraient servis dans les caisses de l’Etat. Si on se réfère aux montants évoqués çà et là, il s’agit d’agents publics qui se seraient massivement gavés d’argent public, on parle de dizaines de milliards ! En temps normal qui pourrait franchement s’en plaindre ? Personne je crois, par ce que le détournement de l’argent public est un délit très grave, voire un acte criminel ; et il est ressenti comme tel ! Je partage naturellement le sentiment général des Gabonais, écœurés par cette gabegie pendant qu’ils sont précipités dans les difficultés au quotidien, dans la pauvreté et la misère. Sans compter la réputation désastreuse qui déshonore et dégrade désormais notre pays.
De plus, voici donc une opération qui en poursuit une autre. L’opération « Mamba » a été engagée il y a quelques années et à ce jour, on n’en connaît toujours pas le bilan. Combien de condamnés, de relaxés ou d’acquittés ? Combien de conciliations, ou d’amendes infligées, Combien d’argent récupéré et combien a été reversé au Trésor public ? Quels biens ont été confisqués au Gabon ou bien à l’étranger ? Il ne faudrait pas que l’on se fiche du monde ; d’autant que ce que nous observons actuellement est bien plus que la nécessaire opération de salubrité publique, de redressement et de rétablissement de l’Etat.
Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Il faut quand même bien se souvenir que c’est par le fameux « tsunali » que M. Ali Bongo a installé depuis dix ans la piraterie à la tête de notre pays. Avec des personnages, que dis-je, avec des flibustiers qui n’aiment du Gabon que son argent public, ses richesses et ses délices ! C’est bien lui M. Ali Bongo qui a installé aux postes juteux de la république, la camarilla des « ajeviens » et autres « Rvistes » qu’il pourchasse aujourd’hui. Avec sa gouvernance amateure, et sa tendance naturelle à confier les rennes du pays à ses copains généralement peu qualifiés et surtout peu vertueux, c’est lui qui a favorisé cette délinquance financière. Il a beau jeu de les malmener aujourd’hui ; je crois qu’il s’agît davantage, pour M. Ali Bongo, de semer la terreur et la peur afin de justifier la crainte qu’il veut, plus que tout, inspirer au peuple gabonais !
Depuis dix ans, ce pouvoir n’arrête pas de dire aux Gabonais qu’il commet des erreurs de casting, que c’est la faute des exécutants. C’est sans doute vrai et pourtant, quand le directeur des ressources humaines d’une entreprise se montre incapable de procéder à de bons recrutements, il faut certes, remercier les recrues mais c’est surtout le DRH dont il faut se séparer ! Et c’est bien ce que les Gabonais ont décidé en août 2016. Il faut accepter et faire accepter cette décision car, comme le disait le président Mitterrand : « on ne change pas la marque de fabrique d’un homme » !
QUEL EST VOTRE MOT DE LA FIN ?
Les Gabonais en ont marre de cette calamité qui s’est abattue sur eux, ils souffrent et ils en souffrent durement au quotidien. Ils n’ont plus confiance et depuis longtemps, dans ce pouvoir qui s’impose brutalement à eux. Avec une gouvernance aussi catastrophique qu’ubuesque. Quant à notre pays, il est abimé, martyrisé, désormais moqué, humilié. Il nous faut sortir de l’impasse, de ce cul de sac dans lequel il a été conduit, il faut mettre un terme à cela afin de revenir à une vie normale. Nous devons le faire, nous pouvons le faire, même par intérêt pour certains mais surtout par amour de notre pays pour ceux qui se préoccupent de l’intérêt général.