Au début du mois de janvier 2024, Off Investigation vous parlait de Coline Fay, cette française incarcérée dans les geôles sénégalaises le 25 novembre 2023. Depuis, la jeune kiné originaire de l’Isère a été libérée puis expulsée. Elle a raconté à Off Investigation sa mésaventure et le peu d’empressement qu’a mis l’Etat français à la faire libérer.
La détention de la militante française Coline Fay au Sénégal
Dans l’après-midi du 19 janvier 2024, à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, une jeune fille blonde débarque du vol Air Sénégal en provenance de Dakar. Signes particuliers : elle n’a ni bagage, ni vêtement d’hiver, ni téléphone, ni papier d’identité. Les fonctionnaires de la police de l’air et des frontières hallucinent. Elle tente de leur expliquer qui elle est et pourquoi elle n’a absolument rien pour le prouver : elle vient d’être libérer de prison à Dakar mais dès qu’elle a franchi la porte de l’établissement pénitentiaire, quatre policiers se sont emparés d’elle, l’ont jetée dans une voiture, direction l’aéroport international Blaise Diagne. Ils l’ont installée dans l’avion pour Paris en évitant les formalités d’usage… et pour cause : ils ne lui ont rendu ni son passeport, ni son téléphone portable, saisis au moment de son arrestation presque deux mois plus tôt. Ils sont restés à la porte de l’appareil jusqu’à sa fermeture pour s’assurer qu’elle n’en descendrait pas.
A Roissy-Charles de Gaulle, Jean-Yves Fay, le père de Coline, attend sa fille devant les arrivées. Il constate que son vol s’est posé mais la jeune femme ne se présente pas. Il attend trois heures avant de parvenir à entrer en contact avec un policier à qui il décrit Coline. Les fonctionnaires de la Police de l’Air et des Frontières vont enfin trouver une solution. Mais ils informent le père et la fille qu’ils n’ont pas été prévenus par le ministère des Affaires Etrangères de cette arrivée atypique et des circonstances qui l’expliquent. Ils présentent des excuses et évoquent un malentendu.
Une codétenue « battue », « inconsciente », qui « bavait »
Une désinvolture des autorités françaises qui ne surprend pas la jeune iséroise : « C’est raccord avec ce que j’ai vécu durant ma détention, explique Coline. « J’ai toujours été très peu informée par les gens du consulat de France à Dakar. Lors de leurs quatre visites, tout ce qu’ils m’ont dit, la seule chose qu’ils me répétaient, c’est que la justice sénégalaise est souveraine. En fait, je crois qu’ils estimaient que, de toute façon, ma vie n’était pas en danger. C’était vrai, d’ailleurs, je ne me suis jamais sentie gravement menacée. Mais une de mes codétenus, une amie, l’a été par manque de soins pendant notre détention. Elle était enceinte, elle a eu des saignements pendant 10 jours. Les geôlières n’ont rien voulu faire pour elle. Elle a perdu son bébé. Une autre a été battue par des gardes. Quand ils l’ont ramenée dans la cellule, elle était inconsciente et elle bavait.
Pour ma part, ce qui a été le plus éprouvant, c’est l’absence de liberté. L’enfermement m’oppressait, m’empêchait de dormir, on était toujours serrées les unes contre les autres, normal, à 36 dans une cellule prévue pour 20. La désobéissance, c’était pour moi une façon de me sentir libre : la grève de la faim, la tentative de faire sortir illégalement une lettre destinée à mon frère, c’était pour ça. »
« Sankara sénégalais »
Arrêtée à Dakar alors qu’elle participait à une manifestation d’opposition au président Macky Sall, soutenu par Emmanuel Macron, Coline assume d’être une femme engagée. Quand elle vivait en Espagne, comme beaucoup de jeunes de sa génération, elle a milité pour Extinction Rébellion, le groupe écologiste qui n’hésite pas à mettre en place des actions spectaculaires pour marquer les esprits, voire à prôner le désobéissance civile. Elle est arrivée le 25 novembre 2022 à Dakar et dès décembre, elle participait à sa première manifestation. Elle considère qu’Ousmane Sonko, le plus populaire des opposants au régime, est victime d’un complot politique et que les accusations qui l’ont conduit en prison visent à l’empêcher d’être élu à la présidentielle qui aura lieu le 25 février prochain. Elle soutient sa lutte pour la souveraineté et son panafricanisme qui lui vaut, chez ses partisans, le surnom de « Sankara ».
De 1983 à 1987, cet anti-impérialiste féministe et écologiste avait dirigé la Haute Volta, qu’il rebaptisera Burkina Faso, avant de mourir assassiné dans le cadre d’un coup d’etat soutenu par la France et la Libye qui mènera au pouvoir Blaise Compaoré. Sa mémoire reste vivace dans la jeunesse burkinabé qui en a fait une icône, un « Che Guevara africain », aux côtés notamment de Patrice Lumumba. Il fait partie des figures anti-impérialistes qui inspirent actuellement l’opposant Sénégalais Ousmane Sonko, emprisonné depuis plusieurs mois par le régime de Macky Sall.
« Ils m’ont dit que c’était extrêmement grave de prendre position dans un pays qui n’était pas le mien »
Coline Fay
« Le 25 novembre dernier, quand j’ai été arrêtée, je manifestais pour lui, pour réclamer sa libération. Nous n’étions vraiment pas nombreux, à peine une cinquantaine de personnes rassemblées devant la Cour Suprême. Tout se passait bien mais un policier en civil s’est glissé parmi nous et a joué les agitateurs pour que ça dégénère. Les policiers sont aussitôt intervenus. Ils ont lancé des grenades lacrymogènes pour nous disperser et ils ont arrêtés de nombreux membres de notre groupe. Moi, petite blonde avec son portable à la main en train de filmer, ils m’ont prise pour une journaliste. Puis ils ont vu mon bracelet aux couleurs du PASTEF (Parti Africain du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité, interdit) et m’ont immédiatement arrêtée. C’étaient des policiers en civil. Ils nous ont fait monter dans leur pick up sans plaque d’immatriculation. Ils ont frappé un très jeune manifestant qui était couché sur la plateforme du véhicule. Ils ne m’ont pas touchée mais ils m’ont expliqué que c’était extrêmement grave de prendre position dans un pays qui n’est pas le mien. »
« Forcer le gouvernement à agir »
Les parents de Coline et son avocat, Juan Branco, sont d’abord restés discrets, pensant laisser au quai d’Orsay le loisir d’obtenir la libération de Coline en toute discrétion. Mais les jours et les semaines s’écoulaient sans qu’il se passe rien. Au ministère des Affaires Etrangères, leurs seuls interlocuteurs étaient des fonctionnaires du service des détenus. Alors ils sont sortis de leur discrétion et ont interpellé médias et députés pour forcer le gouvernement à agir. Coline risquait quand même la perpétuité notamment pour « association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste » si rien ne se passait. « Je pense que Macron, pardon…le président Emmanuel Macron, s’est senti en porte-à-faux sur mon cas. Il soutient le régime de Macky Sall, il l’a récemment félicité pour son mandat et il lui a offert une future immunité, pour quand il ne sera plus président puisqu’il ne se représente pas, en le nommant, alors qu’il est encore en exercice, envoyé spécial du Pacte de Paris pour la Planète et les Peuples. Mon histoire faisait désordre et je serais peut-être restée encore un moment en détention sans les soutiens que j’ai reçus en France. »
Un coup de fil d’Elisabeth Borne
D’après son avocat, le plus déterminant fut certainement celui d’Elisabeth Borne. Elle aurait téléphoné à la ministre de la Justice sénégalaise début janvier, juste avant son départ de Matignon. Le résultat de l’un des derniers actes de Première ministre a été presque immédiat : « Une gardienne m’a dit de rassembler mes affaires. Je lui ai demandé ce qui se passait. Elle m’a répondu qu’elle n’avait aucune information. J’ai dû signer un papier de « liberté provisoire » et j’ai même cru que je pourrais rester à Dakar. Mais dès que je me suis retrouvée dans la rue, ils m’ont arrêtée et emmenée à l’aéroport. Là-bas, on m’a dit que j’étais la première Française expulsée depuis des années.»
Coline a bien l’intention de retourner au Sénégal. Elle y a laissé des collègues, des amis et l’homme qu’elle aime. Mais pour l’instant, elle cherche du travail dans sa profession de kinésithérapeute en Isère, près de ses parents et de son frère. Et elle suivra avec attention les prochaines élections dans son pays d’adoption.