Des scènes de liesse à Paris après la mort de Jean-Marie Le Pen

Bâtisseur de l’extrême droite moderne, Jean-Marie Le Pen est décédé à l’âge de 96 ans ce mardi 7 janvier. Ce qui a provoqué des scènes de liesse, le 7 janvier au soir, dans plusieurs villes de France, provoquant la réation indignée du ministre français de l’Intérieur qui les a jugées indécentes. L’homme, connu pour avoir justifié publiquement la pratique de la torture en Algérie, entretenait des relations troubles avec plusieurs dirigeants d’Afrique et du Moyen-Orient.

staffpresi_esj, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

La disparition de Jean Marie Le Pen, l’ami des dictateurs

Le passé militaire de Jean-Marie Le Pen durant la guerre d’Algérie a durablement marqué sa carrière politique, alimentant des polémiques récurrentes. Ancien officier parachutiste, il a été accusé à plusieurs reprises d’avoir participé à des actes de torture, notamment par des militants du FLN comme Louisette Ighilahriz. Le témoignage de cette Algérienne, publié en 2000 par le quotidien Le Monde, a contribué à relancer le débat sur l’usage de la torture durant la guerre d’indépendance.

Jean-Marie Le Pen a toujours nié ces accusations, tout en défendant publiquement la torture comme « inévitable dans ce type de guerre ». Ces propos, mêlés à son refus de condamner fermement les pratiques de l’armée française, ont laissé planer une ambiguïté sur son rôle exact. Interrogé en 2018 sur RTL, l’ancien président du Front national déclarait qu’il aurait « sans doute » pratiqué la torture en Algérie si on le lui avait demandé, et ce, par « devoir ».

Plusieurs tentatives de poursuites judiciaires ont été engagées contre lui, mais elles se sont soldées par des échecs, faute de preuves concrètes, selon la justice, ou en raison de la prescription des faits. Ces controverses ont cependant contribué à forger l’image d’un homme rejetant toute forme de repentance pour les crimes commis durant la colonisation française.

Relations troubles en Afrique

Hostile à l’Algérie et à ses dirigeants, Jean-Marie Le Pen entretenait en revanche une relation respectueuse et pragmatique avec l’ancien roi du Maroc Hassan II, qu’il admirait pour sa gestion autoritaire du pays et son opposition au communisme. Ce dernier l’avait même reçu à Rabat en 1990 en compagnie d’une délégation d’autres députés français d’extrême droite au Parlement européen. Cette amitié paradoxale a souvent été critiquée, compte tenu des positions de Le Pen sur l’immigration maghrébine en France.

Au-delà de son tropisme marocain, Jean-Marie Le Pen a entretenu des liens ambigus avec plusieurs dirigeants africains, nourrissant des soupçons de compromissions financières. Il a notamment été accusé d’avoir reçu des fonds occultes pour financer ses campagnes électorales, en particulier de la part de figures politiques comme Omar Bongo, ex-président du Gabon, qui avait recruté des mercenaires d’extrème droit au sein de sa garde rapprochée.

En 2011, le sulfureux avocat franco-libanais Robert Bourgi déclarait sur le plateau de la chaîne BFM TV que l’ancien président du Front national avait, comme Jacques Chirac et Dominique de Villepin, bénéficié des largesses de dirigeants africains. Si Le Pen a toujours nié ces allégations, son soutien affirmé à des régimes autoritaires du continent a semé le doute sur l’indépendance de son discours.

Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique

Soutien aux dictatures arabes et opposition aux guerres en Irak

Fervent opposant à l’interventionnisme occidental, Jean-Marie Le Pen n’a pas hésité à exprimer son soutien à des régimes autoritaires du monde arabe. Il a défendu la Libye de Mouammar Kadhafi, la Syrie de Hafez al-Assad et même l’Irak de Saddam Hussein, louant leur résistance face à ce qu’il considérait comme des ingérences impérialistes. L’ancien parachutiste en Algérie avait d’ailleurs affiché une opposition ferme aux deux guerres menées par les États-Unis en Irak, en 1991 et 2003. Le Pen voyait dans ces dirigeants autoritaires des défenseurs d’une souveraineté nationale qu’il idéalisait.

Dans le même temps, l’ancien leader nationaliste était le porte-voix d’une rhétorique anti-immigration profondément enracinée dans des stéréotypes à l’égard des populations arabes et musulmanes. Le Pen dénonçait notamment ce qu’il qualifiait de « danger de l’islamisation » ou de « submersion migratoire » en France, des thématiques qui ont nourri son électorat, socle de l’actuel rassemblement national.

Quel héritage pour le RN ?

Condamné à plusieurs reprises par la justice pour ses dérapages racistes et antisémites, Jean-Marie Le Pen a vu son état de santé se dégrader depuis plusieurs années. Poursuivi dans l’affaire des assistants d’eurodéputés du RN, son cas a été « disjoint » après qu’une expertise médicale a constaté « une profonde détérioration » de son état physique et psychique, estimant qu’il n’était pas en mesure ni « d’être présent », ni de « préparer sa défense ».

La mort de Jean-Marie Le Pen pourrait symboliser la fin d’une époque pour l’extrême droite française. Le parti qu’il a créé, rebaptisé Rassemblement national, est désormais ancré durablement dans le paysage politique grâce à la stratégie de « dédiabolisation » et à un recentrage sur des thématiques économiques et sociales.

Reste à savoir comment le RN, dans sa quête du pouvoir, relèvera le défi d’élargir son audience tout en restant fidèle aux bases posées par le finaliste de la présidentielle de 2002.