De nouveau candidat à la présidentielle malgré ses tourments judiciaires, Laurent Gbagbo qui aura bientôt 80 ans en 2025, doit aussi faire face à ceux qui lui reprochent, en interne, sa tentation d’une candidature à vie. À la façon d’un Jean Luc Mélenchon en France
De notre correspondant,
Bati Abouè
A moins d’une semaine de la fête de la renaissance prévue, les 5 et 6 avril prochains, à Agboville, à 80 km d’Abidjan, c’est de la légitimité de Laurent Gbagbo à briguer, à bientôt 80 ans l’année prochaine, une nouvelle candidature à l’élection présidentielle qu’il est question dans le pays. Car l’ancien opposant socialiste est physiquement à la peine et son retour à Abidjan à l’issue d’une détention provisoire de dix ans à la CPI n’a pas balayé tous les doutes. Il n’empêche que le 6 mars dernier, le comité central du Parti des peuples africains (PPA-CI), son parti, ne s’était pas vraiment posé la question en accueillant par des vivats nourris sa décision d’être à nouveau candidat à la présidentielle, dans un peu plus d’un an.
Le problème est que le président Gbagbo ne figure plus sur le fichier électoral national en raison de sa condamnation par un tribunal abidjanais, peu après la décision d’acquittement de l’ex-président par la Cour pénale internationale. Les interrogations au sujet de ce nouveau challenge sont devenues d’autant plus légitimes que Laurent Gbagbo avait appelé, le même jour, ses partisans à la résistance afin d’être autorisé à être candidat. « L’affaire de la candidature est maintenant derrière nous. Vous devez maintenant vous battre pour que mon nom soit inscrit sur la liste électorale », avait encouragé Gbagbo qui se montre dorénavant agacé en public que tout le projet d’Alassane Ouattara et de son régime soit de l’empêcher d’être sur la ligne de départ en 2025.
Violences électorales
Autrefois connue pour sa longue tradition de paix et sa stabilité politique sous le règne d’Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire est devenue coutumière des violences électorales à partir du coup d’état du général Robert Guéï qui renversa, en 1999, le président Konan Bédié. En septembre 2002, le pays touchait le fond avec une rébellion qui éclata au nord avant de porter, huit années plus tard, Alassane Ouattara au pouvoir suite à la tragique parenthèse de la crise postélectorale et ses milliers de morts.
Laurent Gbagbo, lui, quittait son palais d’Abidjan pour être emprisonné à Korhogo, puis à la Cour pénale internationale (CPI) au grand dam de ses partisans dont une partie rêve toujours d’en découdre. Mais pas aux tous visiblement, puisqu’à l’intérieur du PPA-CI, ils sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur cette tendance chez Gbagbo à empêcher toute candidature autre que la sienne. Et ce, depuis que Diomaye Faye, 44 ans, a été élu président de la République au Sénégal à la demande d’Ousmane Sonko, 49 ans, empêché d’être candidat, et qui a désigné son secrétaire général pour le remplacer afin de faire triompher la cause.
D’abord, sous cape, ce débat a vite éclaté en polémique sur les réseaux sociaux où les partisans de l’ex-président et ceux qui veulent le voir accuser le coup s’affrontent régulièrement. Pour ces derniers, Laurent Gbagbo s’est toujours vu comme le candidat à vie de toutes les formations politiques qu’il a dirigées ou qui ont reconnu son autorité. Ce fut le cas du Front populaire ivoirien (FPI) qu’il a cofondé avec plusieurs de ses amis. Depuis en effet en 1990, année qui suivit le retour au pluralisme en Côte d’Ivoire jusqu’à son emprisonnement à la CPI, Laurent Gbagbo a été le seul candidat de son parti à l’élection présidentielle. Son emprisonnement à la CPI a même eu pour conséquence de diviser le FPI, notamment lorsque le président du parti, Affi N’guessan, a refusé de boycotter les élections de 2012 puis de 2015 pour exiger sa libération. Connue sous la dénomination Gbagbo ou rien (GOR), cette fraction de militants boycottait ensuite tous les processus électoraux avant de créer en 2017, le parti Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS) dont Laurent Gbagbo fut l’unique candidat à l’élection présidentielle de 2020.
L’occasion ratée
Cette candidature fut rejetée mais pour les détracteurs de Laurent Gbagbo, il aurait pu faire élire Bédié et ainsi aider l’opposition à se débarrasser d’Alassane Ouattara. « Si Gbagbo ne s’était pas désolidarisé et avait appelé ses partisans à élire Bédié, on n’en serait pas là aujourd’hui à vouloir guerroyer parce que son nom a été retiré de la liste électorale », accusent ces militants pour qui Gbagbo est en train d’« envoyer le parti droit dans le mur ».
Car le PPA-CI joue gros alors qu’il n’est plus tout à fait maître de son destin. Selon le secrétaire général du parti, Gervais Tiéhidé, interrogé il y a quelques semaines par la télévision 7infos, son parti réclame un dialogue politique pour trouver une solutionà la re-inscription de Laurent Gbagbo sur le fichier électoral. Mais en dehors de cette instance qui n’a jamais réussi à faire plier le président Alassane Ouattara, le PPA-CI n’a, pour l’heure, esquissé aucune autre stratégie pouvant forcer la main au régime ivoirien.
Une gauche émiettée
Certes en politique, rien n’est jamais définitif. Cela dit, les affaires paraissent plutôt mal embarquées pour le président Gbagbo qui doit compter sur une force politique pas au mieux de sa forme et qui, depuis son retour en Côte d’Ivoire a démontré son aversion pour l’unité de la gauche qui reste son univers politique. D’ailleurs, Affi N’guessan qui continue de garder la tête du Front populaire ivoirien continue en de râler contre lui pour avoir été qualifié de caillou qu’il fallait contourner. D’autre part, ses relations politiques avec son épouse qui, en quittant le FPI, a créé le PPA-CI ne se sont guère améliorées. Simone Gbagbo avait même ouvertement soutenu l’adversaire de Michel Gbagbo aux dernières élections municipales à Yopougon.
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