Sur son blog de Mediapart, l’avocat et défenseur des droits humains William Bourdon dénonce les ravages de la toute-puissance
Lorsque l’on a commencé à demander des comptes à de grands acteurs privés pour l’atteinte à l’environnement ou pour des infractions financières, leurs mandataires ne cessaient de supplier de mettre fin à l’irruption de la victime dans le débat pénal. Aujourd’hui, le vent tourne. Même si, étrangement, plus de miséricorde semble être accordée aux grands jongleurs de la finance qu’aux artistes et aux écrivains…
Que nous dit l’épidémie, à l’échelle mondiale, de ces nouvelles révoltes citoyennes qui courent de Beyrouth à Alger, en passant par Santiago et Prague ?
Les citoyens ne supportent plus que ceux qui ont mandat de défendre les intérêts publics les méprisent autant au profit de leurs intérêts privés, alors qu’il y a le feu au lac de toutes parts.
Une posture victimaire
Les grands groupes industriels nous serinent aussi qu’ils sont devenus co-responsables de notre destin commun et semblent, péniblement, comprendre qu’il n’y a pas de planète de rechange
Ces peurs citoyennes sont attisées bien sûr par ce compte à rebours en forme de chronique d’une apocalypse annoncée, ce qui rend encore plus inacceptable des politiques marquées par le mépris de la souffrance sociale, de l’humain et de l’urgence écologique.
Les mouvements populistes se sont nourris de la perception qu’ont les citoyens de ce que plus on est puissant, plus on est protégé et plus on dispose de mille boites à outils, lobbies et manœuvres pour organiser son irresponsabilité.
Carlos GHOSN est bien sûr présumé innocent. Mais qui ne voit que la présomption d’innocence est parfois aussi lourdement instrumentalisée à force d’être psalmodiée à hue et à dia, quand accompagnée d’une stratégie de communication ciblée, elle ne vise qu’à créer un gigantesque écran de fumée pour rendre opaque le seul débat qui s’impose, celui sur l’existence effective de charges ou non.
En voulant organiser, et Carlos GHOSN, et il n’est pas le seul, sa posture victimaire à grand fracas, il espère retourner l’opinion plutôt que les juges.
L’amnésie qui accompagne le temps qui court est anticipée comme une possibilité d’oubli sinon de pardon.
Un fugitif admirable
Fabriquer des richesses et des milliers d’emplois ne constitue plus maintenant des digues à la mise en œuvre de la responsabilité, a fortiori, quand on s’abrite derrière le pouvoir réel ou imaginaire qui est conféré pour violer la loi, mépriser les droits élémentaires des personnes et fabriquer de la souffrance en toute impunité.
Etre artiste a été longtemps un écran contre toute responsabilité. Il ne l’est plus et c’est tant mieux. Et à nouveau, les ravages de la toute-puissance qui lorsqu’elle est brutalement questionnée, conduisent à des effets de bascule, telle la mise au pilori de Gabriel MATZNEFF en quelques jours.
Ainsi, la logique de déni et de victimisation, qui est celle des grands acteurs privés et publics quand ils sont mis en cause, par son caractère systématique, par la violence des attaques contre les médias, parfois les juges et victimes, est assurément très française, elle est aussi planétaire.
Elle ne cesse de jeter des bûches dans le bûcher et meurtrit une démocratie fatiguée.
Le paroxysme est atteint quand des personnes gravement mises en cause arrivent à retourner l’opinion publique, même certains médias, parfois des juges, sont tétanisés par la stratégie d’envoûtement de ces nouveaux serpents Kaa.
Elle ratifie de plus belle l’aphorisme selon lequel plus le mensonge est gros, plus il passe et ainsi parfois, les plus exceptionnels escrocs sont immunisés contre toutes poursuites.
Si cette obsession de l’irresponsabilité ne cesse d’être contrariée, il y a encore du chemin à faire pour répondre à l’exigence citoyenne même si, dans son fanatisme et la tyrannie du bien qui l’escorte parfois, elle fait trop de cadeaux à ceux dont est exigé plus de redevabilité.
Tant de complaisance!
Si Gabriel MATZNEFF est maintenant un proscrit, après avoir été célébré, ces effets de bascule laissent incrédules, s’ils ne sont pas accompagnés aussi d’une introspection collective sur tant de complaisance et de silence passés.
Chapeau les artistes aussi qui savent si bien, avec des cohortes de conseils juridiques et en communication talentueux, instrumentaliser les sous-jacents stratégiques ou politiques d’une procédure judiciaire, ses excès aussi, pour enfumer la planète en prenant la posture du persécuté.
Il y a quelques décades, lorsque l’on a commencé à demander des comptes à de grands acteurs privés pour l’atteinte à l’environnement ou pour des infractions financières, leurs mandataires ne cessaient de supplier de mettre fin à l’irruption de la victime dans le débat pénal.
Aujourd’hui, le vent tourne. Même si, étrangement, plus de miséricorde semble être accordée aux grands jongleurs de la finance qu’aux artistes et aux écrivains, sans doute parce que la violation du très intime, quand elle sort de l’obscurité, universalise plus l’indignation.
En veillant à éviter toute sacralisation de la victime, il n’y a plus de doute sur le fait que cette nouvelle place qu’elle a conquise, au pied-de-biche parfois, incarne la volonté citoyenne de réduire cette asymétrie avec les logiques de toute puissance, gage de leur pérennité.
De toutes ces lois de domination patriarcales, économiques, machistes, entendons ce que nous en disent les femmes libanaises dans les rues de Beyrouth quand elles mettent dans le même sac les prédateurs sexuels et les prédateurs financiers.
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