La Tunisie en voie de sous-développement

Il faut dire qu’en Tunisie, l’actualité devient de moins en moins prévisible. Entre difficultés et challenges, le pays serait en train de traverser le plus dur de son histoire postrévolutionnaire à savoir : un décalage flagrant entre ce que l’on a «prévu» et ce que l’on «constate» sur le terrain.

par Mounira El Bouti

Des difficultés économiques, financières et sociales c’est un peu le quotidien de cette Tunisie rêveuse de démocratie et de justice sociale. Les Tunisiens critiquent unanimement la situation de leur pays, mitigés entre cherté de la vie, bureaucratie, crise politique et dégradation de l’image de leur pays sur la scène internationale.

Une économie fragile et des classements peu reluisants

Des dettes, beaucoup de dettes, un mauvais classement international avec une inflation qui ne passe toujours pas et un taux de croissance qui a du mal à rebondir depuis 7 ans, telles sont les fresques du tableau économique tunisien.

Un récent rapport de Fitch Group sur la Tunisie, a mis les doigts sur les déterminants des écueils économiques et politiques du pays. Par conséquent, la Tunisie est classée dans le lot des pays arabes tel que la Syrie, la Libye le Yemen et la Palestine. Un autre signal fort après celui de l’UE qui mettait la Tunisie sur sa liste noire des pays tiers fortement exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme.

En réaction à ce classement européen jugé injuste par la Tunisie, le Chef du gouvernement Youssef Chahed a appelé le gouverneur de la Banque Centrale, Chedly Ayari, à démissionner. Et ce n’est pas tout, la crise ne s’arrête pas là, quelques jours plus tard, plusieurs agents de la Banque centrale sont arrêtés par les forces de l’ordre. Ils sont accusés d’appartenir à un réseau de blanchiment d’argent qui échangeait des sommes en petites coupures contre des billets plus importants, afin de faciliter leur transport.

D’autre part, les avoirs nets en devises de la Tunisie continuent leur dégringolade atteignant 11,11 milliards de dinars soit l’équivalent de 77 jours d’importation, selon les statistiques publiés par la Banque centrale de Tunisie (BCT) le 12 mars 2018.

Désintérêt politique

L’économie n’est pas le maillon faible de la Tunisie postrévolutionnaire, sur le plan politique, aussi, la crise s’attise et les citoyens tournent le dos à la classe politique. Pire, lors des dépôts de candidatures des listes électorales des municipales, des fraudes ont été enregistrées à Kairouan, sous forme d’une modification apportée sur la liste d’Ennahdha, après les délais impartis, une opération qui risque de mettre en péril le processus électoral et entamer la crédibilité de l’ISIE.

Aujourd’hui, le Chef du gouvernement Youssef Chahed se retrouve seul depuis que l’UGTT lui a tourné le dos ; il ne lui reste plus d’allié, encore moins son parti Nidaa Tounes qui lui-même ne s’est toujours pas remis de sa division. En effet, depuis que Chahed est en course officieuse pour la présidentielle, Nidaa Tounes l’a abandonné.

Dans ce même contexte, une visite officielle effectuée par le ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, accompagné d’une importante délégation, dans la soirée du dimanche 25 février 2018, à Ryadh pour au Royaume d’Arabie Saoudite a divisé les Tunisiens. Une partie d’entre eux a cru en une possibilité de coup d’Etats et l’autre partie l’annonçait déjà chef du gouvernement. Les cadres de la police soutiennent la candidature de Brahem au poste de Chef de gouvernement.

Selon une source proche du MI, Brahem disposerait du soutien du palais de Carthage qui commence à se lasser de Youssef Chahed pour le remplacer à la tête du gouvernement. D’ailleurs, le conflit entre Chahed et Brahem est bien illustré par la nomination de Rached Bettaieb en tant que directeur général de la sûreté à la place de Taoufik Dababi sans consulter Brahem.

La pagaille un peu partout

Tous les secteurs ou presque se portent mal en Tunisie, de l’éducation à la santé où les médecins résident sont entrés dans un bras de fer avec le gouvernement pour réclamer l’inscription de leur statut dans le JORT, dans le secteur du transport ou la compagnie Tunisair coule à flot et où l’aéroport de Tunis Cathage s’est transformé en véritable lieu d’abandon avec un personnel peu soucieux de la qualité des services, le vol fréquent des bagages des voyageurs et les taxis aux courses surtaxées. Pas de normes et pas de lois, la sortie de l’aéroport pour un touriste ou pour un citoyen lamba est devenu un vrai parcours du combattant, des chauffards effrontés vous harcellent pour monter avec eux et vous expliquent ensuite qu’ils ne mettront pas de compteur pour la course. Le prix dépend de votre frimousse de touriste ou de votre talent de négociateur où les bonnes manières ne sont pas de mise. Des touristes se sont même vus payer des courses à 100 dinars de l’aéroport à la Marsa et ce, sous le silence total des autorités. Des flics en tenue se trouvant juste à côté de la file des taxis préfèrent garder le silence.

Egalité d’héritage et interdiction de la traite des êtres humains

Toutefois, au milieu de ce marasme politico économique, la bonne nouvelle c’est que plus d’un millier de personnes venues de toute la Tunisie ont manifesté samedi 10 mars dans la capitale pour réclamer l’égalité en matière d’héritage. La loi prévoit que les hommes héritent du double de ce qui est légué aux femmes. Les femmes s’insurgent contre cette loi jugée « injuste » ; cela constitue une avancée considérable en termes de droits des femmes mais il reste autre chose, d’injuste dans la société tunisienne, la traite des êtres humains.

Le travail des fillettes, l’emploi des petites bonnes qui persiste malgré son incrimination par la loi tunisienne. En effet l’article 19 du projet de loi intégrale contre les violences faites aux femmes voté en juin 2017 par l’ARP dispose qu’est puni de 3 à 6 mois de prison et d’une amende allant de 1000 à 5000 dinars celui ou celle qui emploie des enfants comme aides ménagères que ce soit de façon directe ou indirecte. Celui qui agirait en tant qu’intermédiaire écoperait de la même sanction prévoit l’article.

Pourtant, les dépassements continuent. Des parents continuent à vendre leurs filles dans des marchés non loin de Tunis aux familles bourgeoises des banlieues tunisoises. Parfois maltraitées, ces fillettes sont livrées à leur sort et n’ont pas d’autre choix devant elle que d’accepter ce sort.

Deux points deux mesures. A se demander quelle est la priorité du combat féministe ici ? Et quelle en est l’urgence ?