Aux yeux de Trump et de ses partisans, la bureaucratie qu’ils combattent n’est pas la sève vitale de la République mais une force étouffante, une structure qui bloque, freine et subvertit la volonté du leadership élu.
Milton Friedman a un jour lancé cette phrase célèbre : « L’enfer n’a pas de fureur comparable à celle d’un bureaucrate méprisé. » C’est une observation intemporelle qui résonne fortement alors que Donald Trump exerce son deuxième mandat à la Maison-Blanche. La gouvernance de Trump a toujours été définie par sa croisade contre la machinerie enracinée de l’État, que ses partisans appellent avec dérision le « deep state » ou, en termes plus polis, la « bureaucratie permanente ». Les efforts de Trump pour réduire sa taille et son pouvoir, bien que controversés, sont à la fois tardifs et nécessaires pour assurer la pérennité des États-Unis en tant que nation agile et prospère.
La nécessité de réformer l’État administratif transcende les loyautés partisanes. La résistance bureaucratique a tourmenté les présidents américains depuis toujours. Harry Truman en a fait l’expérience lorsqu’il a tenté de lancer le Programme Point Quatre, un effort ambitieux visant à fournir une assistance technique aux pays en développement, en particulier au Moyen-Orient—Turquie, Syrie, Israël, Égypte et Irak. Truman voyait ce programme comme un pilier essentiel de la politique étrangère américaine pour contrer l’influence soviétique. Pourtant, le Département d’État, alors caractérisé par un élitisme WASP, s’y est violemment opposé, remettant en question sa faisabilité et sa nécessité. La bureaucratie enracinée a prévalu, et le programme, entravé dès le départ, a finalement échoué. Cet épisode illustre comment même les leaders les plus déterminés peuvent être paralysés par l’inertie de l’État.
Les luttes de Richard Nixon avec la classe bureaucratique racontent une histoire similaire. Nixon a cherché à recalibrer la dynamique de la guerre froide grâce à sa politique de détente, forgeant une nouvelle relation avec l’Union soviétique et ouvrant des portes à la Chine. Mais sa vision a rencontré un scepticisme implacable de la part des faucons de la guerre froide au Pentagone, au Département d’État et dans la communauté du renseignement. Pour contourner cette résistance, Nixon et son conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, ont centralisé la prise de décision au sein de la Maison-Blanche, s’appuyant sur des canaux de communication officieux pour mettre en œuvre leur audacieuse politique étrangère. Ces manœuvres ont conduit à des avancées historiques mais ont également mis en lumière la difficulté colossale de surmonter les priorités institutionnelles enracinées.
La présidence de Bill Clinton n’a pas non plus échappé aux défis de la résistance bureaucratique. Sa poussée en faveur d’une réforme du système de protection sociale, culminant avec la loi sur la responsabilité personnelle et la réconciliation des opportunités de travail de 1996, a rencontré une opposition significative au sein du Département de la Santé et des Services sociaux et d’autres agences. Les critiques ont dénoncé ces réformes comme punitives et préjudiciables aux populations vulnérables. Pourtant, Clinton, travaillant avec un Congrès républicain, a réussi à faire adopter l’une des réformes les plus importantes de la politique sociale moderne. Son succès démontre que persévérance et compromis, même face à la résistance bureaucratique, peuvent produire des résultats transformateurs.
La confrontation de Trump avec l’État administratif, cependant, est d’un autre ordre. Son approche, souvent qualifiée de « déstructuration », remet en question les fondements mêmes de l’art de gouverner. Là où d’autres présidents ont cherché à réformer ou à rediriger la bureaucratie, Trump a cherché à la démanteler, insistant sur la loyauté plutôt que sur l’expertise et remplaçant la planification systématique par des décisions impulsives. Son premier mandat a révélé l’ampleur de la résistance à laquelle il faisait face, non seulement de la part des bureaucrates de carrière mais aussi au sein de sa propre administration. Des figures comme Mike Pompeo, Jim Mattis et John Bolton—chacun ayant finalement publié des récits de leur opposition à l’agenda de Trump—ont travaillé pour contenir ses impulsions les plus audacieuses. Mattis et Pompeo auraient bloqué des réunions avec les talibans et freiné les instincts de Trump en politique étrangère, y compris pour bombarder les forces d’Assad après l’utilisation d’armes chimiques et pour cibler Qassem Soleimani, une décision que Trump a finalement imposée. Pompeo et Bolton, avec leur posture belliciste, ont également activement entravé les tentatives de Trump de négocier avec l’Iran et la Corée du Nord. Leur résistance souligne l’ampleur du défi auquel Trump est confronté, un défi qui dépasse la bureaucratie et englobe les établissements des deux partis politiques.
Les luttes de Trump rappellent celles de Ronald Reagan avec l’Initiative de défense stratégique (SDI), surnommée « Star Wars » par les sceptiques. Reagan a fait face à une opposition intense au sein du Département de la Défense, où les responsables jugeaient le programme irréalisable sur le plan technologique et déstabilisant sur le plan stratégique. Pourtant, le leadership de Reagan—équilibrant vision audacieuse et respect des processus institutionnels—a permis à son administration d’aller de l’avant malgré la résistance. Trump, en revanche, considère les institutions elles-mêmes comme des obstacles, approfondissant la division entre la présidence et la bureaucratie.
La résistance à Trump ne se limite pas aux bureaucrates ou aux politiciens. Les groupes d’intérêts—grands et petits—ajoutent une couche supplémentaire d’opposition. Les alliés de Trump, tels qu’Elon Musk et Peter Thiel, incarnent l’ascension des méga-lobbyistes aux ambitions transformatrices. Musk, désormais à la tête du soi-disant Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), incarne l’éthique de l’innovation perturbatrice. Pourtant, sa domination a suscité une vive concurrence de la part de groupes d’intérêts rivaux, qui voient leur influence diminuer sous l’administration Trump. Ces groupes formeront probablement des alliances avec la bureaucratie permanente, créant une coalition redoutable de résistance qui compliquera les efforts de Trump pour rationaliser la gouvernance.
Les enjeux sont élevés. Réformer la bureaucratie n’est pas seulement une exigence politique ; c’est une nécessité nationale. La vitalité des États-Unis dépend de leur capacité à s’adapter et à répondre à de nouveaux défis, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’État administratif, malgré toutes ses vertus, est devenu un mastodonte qui étouffe l’innovation et entrave l’action décisive. Les efforts de Trump pour réduire sa taille et son pouvoir sont attendus depuis longtemps, mais ils ne peuvent réussir isolément. Pour que cette transformation dure, Trump doit garantir la poursuite de son agenda au-delà de sa présidence, probablement par l’élection d’un successeur partageant sa vision, tel que J.D. Vance. Sans un leader déterminé à poursuivre ce qu’il a commencé, les avancées de son second mandat risquent d’être emportées par les mêmes marées bureaucratiques qu’il a cherché à maîtriser.
Comme le rappelle l’aphorisme de Friedman, la fureur d’un bureaucrate méprisé est redoutable. Mais réformer l’État administratif n’est pas seulement un acte de défi ; c’est un acte de renouveau, une étape nécessaire pour garantir que les États-Unis restent un phare de force et de dynamisme dans un monde de plus en plus complexe. Le second mandat de Trump n’est qu’un chapitre de cette saga. La tâche d’assurer que sa vision perdure—par des successeurs compétents et des réformes structurelles—définira l’avenir d