Le président Macron s’est exprimé à Berlin à au sujet la crise aux frontières de l’Ukraine, lors d’une conférence de presse commune avec le chancelier allemand Olaf Scholz. « En cas d’agression, la riposte sera là et que le coût serait très élevé ». Jusqu’à quel point? Et alors qu’on est entré dans les coulisses de la diplomatie dans une phase de pourparlers
La série de Xavier Houzel sur le pétrole et le gaz au coeur des enjeux internationaux
Paris a accueilli une réunion de conseillers de haut rang de l’Allemagne, de la Russie et de l’Ukraine, avant d’avoir lui-même un entretien téléphonique avec le président Poutine. On est entré en pourparlers.
Les Allemands redoutent que la Russie ne fasse pression sur eux en stoppant ses livraisons de Gaz en plein hiver, sachant que le gaz naturel russe représente plus de 40 % des approvisionnements de l’Union européenne[i]. Ils se déclarent en revanche totalement solidaires de l’Amérique dans ce bras de fer qui les embarrasse. Le prix du Gaz sur les marchés mondiaux s’est littéralement envolé, non seulement pour cette raison, mas aussi à cause d’autres facteurs, eux-mêmes indépendants de la crise autour de l’Ukraine, mais qu’il est intéressant d’analyser.
Nos dirigeants comprennent mal le monde du Gaz et du Pétrole et ses contraintes. Ils sous-estiment l’importance des circuits de distribution et le coût du transport des énergies, y compris l’électricité. Ils auraient tendance à agiter le chiffon de la guerre pour masquer leur impuissance devant l’évolution de prix qu’ils ne maîtrisent plus.
En ce moment même, à Vienne, la délégation iranienne fait la danse du scalp autour de l’effigie de Donald Trump cloutée sur un totem sous l’œil rigolard des Chinois. Il revient au président Macron, comme président temporaire du Conseil de l’Union Européenne et « ami de tous », de s’improviser comme médiateur entre le président américain Joe Biden, et le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine en majesté, imperturbable mais, au fond, ravi.
Le génie ne peut-il pas s’allier avec la cruauté dans les résolutions secrètes de la Providence[ii] ?
L’Amérique s’oppose farouchement au projet Nortd Sream 2 d’un gazoduc sous la Mer Baltique, dit le gazoduc de la discorde[iii], qui relie la Russie à l’Allemagne pour contourner l’Ukraine, coupable vis-à-vis de la Russie de se servir largement au passage et d’être non seulement un mauvais payeur mais aussi un partenaire politiquement peu fiable – Kiev ayant demandé la couverture de l’OTAN (l’Allemagne et la France s’y étant opposées, faut-il le rappeler !)
Les Américains et les Russes se disputent depuis dix ans le marché européen du Gaz. Les premiers avec le Gaz de schiste et les seconds avec le Gaz naturel. Pendant longtemps, le marché a bénéficié de leur concurrence.
À l’Est, la Chine absorbe tout ce que les monarchies arabes et l’Iran peuvent lui fournir de Pétrole et de Gaz à prix d’amis. L’Économie chinoise est devenue puissante, sinon menaçante, et de solides relations se sont établies le long de ce qu’il est convenu d’appeler la ceinture et la route de la Soie, qui relie l’économie chinoise aux économies iraniennes, irakiennes et syriennes, le long d’un corridor hermétique abandonné par les Américains.
Au cours des vingt dernières années, le Levant, la Mésopotamie et la Libye ont été systématiquement saccagés et l’Iran a été mis au ban de l’économie mondiale par les Occidentaux, les États-Unis en tête. Le Grand Moyen-Orient s’est retrouvé découpé en trois : au Nord , la partie détruite, composée du Liban, de la Syrie, de l’Irak et de l’Iran ; au Sud, la partie israélo-compatible encore en état futur d’achèvement se prolonge du Maroc, à travers le Maghreb (mais à l’exception de l’Algérie), l’Égypte et le Soudan, jusqu’aux Émirats Arabes Unis); et à l’Est, une troisième partie : la bande côtière qui longe la Mer Rouge, à supposer que le Yémen et Oman s’accordent finalement avec l’Arabie saoudite et l’Iran pour constituer à l’avenir un ensemble homogène, celui-là plutôt tourné vers l’Asie.
Adieu le Pacte de Quincy ! Les États-Unis sont devenus autosuffisants grâce aux schistes bitumineux. Finie la suprématie absolue de l’Amérique, au Sud de la ligne de Yalta ! Exit l’armée américaine d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie – les USA conservant en revanche leurs bases de Bahreïn et du Qatar et leur protectorat sur Israël, lequel reste le 51ème État de la Confédération et un formidable porte-avion. La Turquie, enfin, reste membre de l’OTAN, mais en ruant dans les brancards et louche sur son ancien empire.
Le Grand Moyen-Orient, en somme, dont les Américains et les Russes s’étaient méthodiquement employés à écarter les Français (cf. l’Affaire de Suez et la guerre d’indépendance de l’Algérie), est à prendre ! Il comprend le littoral Sud de la Mer Méditerranée, à partir du Détroit de Gibraltar jusqu’au Sandjak Turc d’Alexandrette ; il abrite aussi le Canal de Suez et contrôle les Détroits d’Ormuz et de Bab el-Mandeb jusqu’à l’Océan Indien . C’est un quadrilatère plus grand que l’Europe, mais moins vaste que n’est la Russie. Son sous-sol contient la moitié des réserves d’énergie fossile de la planète. La ligne de Yalta n’étant plus qu’un souvenir, on comprend que la Russie veuille revenir en Mer Méditerranée par le Bosphore et se donner un accès facile à l’Océan Indien par le Détroit d’Ormuz. La Russie devra alors se rapprocher non seulement de la Turquie mais aussi de l’Iran (ses deux comparses en Syrie, laquelle retrouve ainsi sa position millénaire de plaque tournante et de carrefour de civilisations).
Les « routes » du Gaz et du Pétrole, qu’elles soient maritimes ou terrestres, constituent l’autre pomme de discorde existant entre les Russes, les Américains et les puissances régionales qui contrôlent les détroits et les trois passages obligés des pipelines terrestres que sont la Turquie, la Syrie et l’Ukraine.
L’Ukraine partage avec la Turquie la caractéristique de ne pas recéler de réserves d’hydrocarbures fossiles mais d’offrir respectivement aux exportateurs de Russie ou du Moyen-Orient, un accès le plus court possible par voie terrestre aux marchés de l’Allemagne et de l’Europe. C’est par un oléoduc que le Pétrole irakien arrive à Ceyhan, en Mer Méditerranée. La Turquie bataille à côté de la Russie pour conserver le contrôle des routes du Pétrole et du Gaz. La Russie a fait passer un pipeline sous la Mer Noire : le Turkish Stream ou TurkStream qui la relie désormais à la Turquie. Ce gazoduc est prévu pour faire transiter 31,5 milliards de mètres cubes de gaz vers l’Europe. Il a été annoncé par le président russe le 1er décembre 2014 – date qui est loin d’être anodine – pendant une visite en Turquie.
Ce conduit est maintenant prolongé par le Tesla Pipeline jusqu’en Grèce et en Bulgarie. Cette réalisation a éclipsé le projet South Stream qui entrait lui-même en concurrence avec le projet Nabucco, soutenu par une Union Européenne, elle-même écartelée par des rivalités entre États. En d’autres termes, Gazprom a fait place nette !
La question des routes est devenue cruciale après l’arrivée sur le marché des huiles et des Gaz de schiste et à la suite de la découverte, puis de l’exploitation en Égypte, en Israël et à Chypre[iv] d’importants gisements de Gaz en Mer Méditerranée orientale (dans les années 2010). On a assisté alors à un effondrement des cours mondiaux des hydrocarbures (2018), l’offre étant devenue trop abondante.
La crise fut brutale : les prospecteurs américains et canadiens de schistes bitumineux cessèrent pratiquement leurs activités de forage, et la production chuta. Les cours remontèrent alors, mais pas suffisamment pour inciter les Américains à une reprise ; à tel point qu’aujourd’hui, les Américains ne sont pas prêts ou ne sont plus concurrentiels, et les prix flambent.
Poutine a puni l’Ukraine, dont une moitié est catholique et rêve de rejoindre l’Europe occidentale pour bénéficier du bouclier protecteur de l’OTAN mais dont l’autre moitié est orthodoxe, russophone et russophile. Il lui confisquera la péninsule de Crimée (donnée par Nikita Khrouchtchev à l’Ukraine par un simple décret en 1954). Il débordera l’Ukraine par le Nord et la Mer Baltique pour construire le Nord Stream, un système de deux gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne[v].
Les travaux du gazoduc Nord Stream 1 (anciens noms : North Transgas et North European Gas Pipeline : NEGP), issu d’un projet lancé en 1997, ont démarré en fin 2005 pour se terminer en 2011 avec une mise en service effective en 2012. Les travaux du gazoduc Nord Stream 2, destiné à doubler la capacité de transport de Gaz, ont commencé en avril 2018. Ils ont été interrompus en décembre 2019 du fait de l’objection et des sanctions des États-Unis et ils se sont terminés en septembre 2021[vi], date qui n’est pas non plus anodine.
Le président Joe Biden veut en interdire l’ouverture effective. Là est la véritable cause de la crise actuelle. La hausse récente et anormale des cours de l’énergie résulte en grande partie de ce bras de fer russo-américain.
Qui va gagner ?
En attendant de le savoir, l’économie européenne en fait les frais. Les dégâts sont déjà considérables, politiquement et socialement, économiquement et financièrement, humainement et individuellement, sachant que le président français notamment, pris dans le tourniquet de sa présidence du Conseil de l’Europe, joue sa réélection à la présidence de la République Française au poker menteur du Tsar de toutes les Russies.
[i] https://www.20minutes.fr/monde/3223531-20220125-conflit-ukraine-russie-emmanuel-macron-occident-unis-riposte-cas-agression-russe
[ii] Formule empruntée à Lautréamont
[iii] https://information.tv5monde.com/info/nord-stream-2-le-gazoduc-de-la-discorde-338230
[iv] Les autorités chypriotes ont signé dès 2019 leur premier accord d’exploitation de gaz avec un consortium international regroupant les sociétés anglo-néerlandaise Shell, l’américaine Noble Energy et l’israélienne Delek. Écartée de l’exploitation de cet or bleu, la Turquie n’ayant pas l’intention de rester les bras croisés (source Wikipédia)
[v] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nord_Stream
[vi] https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/nord-stream-2-le-nouveau-gazoduc-russe-qui-fournira-leurope-enfin-acheve-1345123