Après une longue attente, le ministre de l’intérieur gabonais a annoncé, mercredi 31 août 2016, que le président sortant, Ali Bongo Ondimba, avait remporté l’élection présidentielle. Selon des résultats officiels provisoires, M. Bongo a obtenu 49,80 % des voix contre 48,23 % à son adversaire, Jean Ping, lors de l’unique tour du scrutin.
L’opposition a aussitôt rejeté les résultats et réclamé un nouveau décompte dans la province du Haut-Ogooué, où a été signalé un taux de participation frisant les 100 %, a expliqué l’entourage de Jean Ping. « Les Gabonais n’accepteront pas ces chiffres », a ajouté un porte-parole du candidat.
Voici ce que Mondafrique écrivait, en septembre, lors cette réélection d’Ali Bongo, dans des conditions de fraude inégalée et avec des manifestations de violence inacceptables.
A quelques heures ou quelques jours du verdict de la Cour Constitutionnelle, présidée par une ancienne maitresse d’Omar Bongo, qui doit tout au clan présidentiel, on peut penser que la probable confirmation des résultats fraudés du 27 aout dernier provoquera de nouvelles émeutes. La société civile qui a émergé au Gabon ces dernières années n’est pas prête à se laisser voler la victoire sans combattre. La grossièreté des manipulations électorales a renforcé apparemment sa détermination. En Afrique, la fraude massive qui accompagne la plupart des scrutins présidentiels, suppose un certain talent d’exécution. Or lors des élections du 27 aout, le Président gabonais sortant, Ali Bongo, semble avoir perdu la main en affichant, dans son fief du Haut Ogooué, des scores soviétiques de participation et de soutien bien peu crédibles.
En fait, les relais d’Ali Bongo n’avaient au départ que « redressé » à la marge les premiers résultats, persuadés que l’avance de l’opposition serait naturellement compensée par le soutien massif de la région natale des Bongo. Mais le retard pris par Ali dans le reste du pays était beaucoup plus net que ne l’avaient supposé ces piètres stratèges. Il fallut tricher trop tard et trop massivement. La brèche était ouverte pour l’opposition.
Depuis, la situation sur le terrain marquée par une répression brutale est totalement instable. Ali Bongo a perdu le soutien de la plupart des ses interlocuteurs africains et de ses partenaires occidentaux. Son départ est désormais programmé…sur le papier. Dans la réalité, il possède encore le soutien des forces armées gabonaises, renforcé par des hordes de mercenaires et une Garde Républicaine. De quoi « tenir » quelques années, comme son frère ennemi congolais, le président Sassou, dont l’armée lui permet, après une mascarade électorale, de s’accrocher au pouvoir.
Bruxelles, la messe est dite
Dans la semaine qui a suivi le scrutin, l’ambassadeur américain à Libreville a plaidé auprès d’Ali Bongo en faveur d’une exfiltration discrète. Ce dernier ne fut pas hostile, dans un premier temps, à une telle initiative. Du moins jusqu’à ce qu’il soit recadré par son propre entourage, notamment son directeur de cabinet, le béninois Maixent Accrombessi, en convalescence au Maroc après un AVC, mais toujours proche du coffre fort et resté très actif auprès de son mentor.
Pourtant, pour l’Union Européenne qui possède désormais la plupart des PV électoraux fraudés et pour le Quai d’Orsay qui a demandé, comme l’opposition gabonaise, le recomptage des bulletins bureau par bureau, le scénario idéal serait celui d’une départ d’Ali Bongo. Pour les occidentaux, le principal opposant du chef de l’Etat, Jean Ping, a tout du profil du Président idéal. Ancien gendre d’Ali Bongo dont il a porté, de son propre aveu, les valises de billet, ex patron bien tempéré de l’Union Africaine, cet opposant consensuel imposerait au Gabon quelques réformes cosmétiques. Du genre également à préserver les intérêts de Shell et Total, dont les terminaux sont aujourd’hui bloqués à Port Gentil. Les arriérés de paiement que possèdent les groupes français auprès des autorités gabonaises ne plaident pas d’avantage pour la moindre indulgence vis à vis d’Ali Bongo.
Chez les socialistes français, des raisons moins avouables militent en faveur de l’éviction d’Ali. A l’Elysée et chez Jean Yves Le Drian, ministre de la Défense, on a toujours en mémoire le rôle joué par Nicolas Sarkozy dans l’intronisation, en 2009, d’Ali Bongo, déja porté au pouvoir après un scrutin fraudé. A gauche, les soupçons de financement des campagnes de la droite par le Gabon restent très présents. Contrairement au Niger, au Mali et au Tchad, où François Hollande a couvert les frasques électorales de ses amis Issoufou, IBK et Déby, la gauche verrait bien une alternance au Gabon redorer le blason des socialistes en Afrique.En revanche, les proches de Nicolas Sarkozy restent fidèles à a cause d’Ali Bongo. Selon eux, les manifestations d’opposants ne seraient guère « spontanées », mais simultanément déclenchées en plusieurs points névralgiques. « Les ralliements à Jean Ping, comme celui récent du ministre de la Justice d’Ali, confie l’un d’eux à Mondafrique, se paient au prix fort ».
Place au bras armé
Contesté, le Président Ali Bongo possède encore quelques sérieux atouts sécuritaires. La garde républicaine de 2000 hommes -un chiffre énorme dans un pays de deux millions d’habitants- est armée jusqu’aux dents par les Français et les Chinois et commandée par son propre cousin, Grégoire Kouna, en fonctions déja sous le rêgne d’Omar. Le service de renseignement est performant et la gendarmerie nationale restée fidèle et efficace. Des mercenaires cagoulés, venus du Rwanda et du Burundi pour semer la terreur, complètent le tableau. Autant de soutiens qui pourraient lui assurer encore un sérieux répit. A condition que son bras ne tremble pas lorsqu’il lui faudra sans doute, après la décision finale de la Cour Constitutionnelle réprimer à nouveau la contestation de la rue.
La grève perlée qui a été déclenchée par les syndicats pétroliers perturbe la vie économique gabonaise et le fonctionnement des multinationales. En revanche, les caisses noires de la présidence nourries ces dernières années par un barril à cent dollars, sont toujours pleines. De quoi pour Ali Bongo tenir un long siège.
« Le pouvoir d’Ali Bongo reste encore plus fort qu’on ne le pense, à moins que la France ne soutienne discrètement un coup d’Etat », explique aujourd’hui un des principaux opposants gabonais. Ce week-end, les réseaux sociaux ont relayé une information troublante donnée le chroniqueur de RFI, Christophe Boisbouvier, un journaliste connu pour le sérieux de ses analyses. Les Français auraient décidé le départ de certains conseillers militaires de la Garde Républicaine. Cette décision est-elle un avertissement formel donné par François Hollande et Le Drian à Ali Bongo? L’annonce d’interventions à venir? Ou une mesure de précaution pour ne pas être mêlé, ni de près ni de loin, aux possibles exactions du pouvoir gabonais? Pour l’instant, toutes les hypothèses restent ouvertes.