Le président de la République Démocratique du Congo, Felix Tshisekedi, serait sur les traces de Kabila en faisant appel à la « tactique du salami », une stratégie à laquelle son prédécesseur avait recouru pour rester le maitre du jeu politique même après son départ de la présidence. Inventée par le leader communiste Mátyás Rákosi dans les années 1940 en Hongrie, cette pratique consiste à éliminer l’opposition en avançant lentement ses positions à travers des initiatives modestes jusqu’à ce que les autres acteurs réalisent, mais avec retard, qu’ils ont été écartés.
Roger-Claude Liwanga, Chercheur à l’Université Harvard, Professeur de droit et de négociations internationales à l’université Emory
Certains observateurs se demandent si le président Tshisekedi ne serait-il pas en train d’imiter son prédécesseur Kabila ? Bien entendu, on ne parle pas ici de l’imitation des méthodes de mauvaise gouvernance ou du copiage des pratiques restrictives des libertés fondamentales comme fut jadis le cas sous l’ancien régime, mais plutôt de l’imitation d’une stratégie politique, la « tactique du salami » .
Pour demeurer au centre du jeu politique en RDC, Joseph Kabila aurait employé la « tactique du salami », inventée par le leader communiste Mátyás Rákosi dans les années 1940, en Hongrie. Cette stratégie décrit une pratique consistant pour un acteur politique à éliminer l’opposition par étapes, tout en avançant lentement ses positions à travers des initiatives apparemment modestes.
Lorsque les pressions internationales et nationales montaient à l’époque sur Kabila pour qu’il organise les élections présidentielles en 2016 auxquelles lui-même ne devrait pas concourir à cause de la limitation constitutionnelle au mandat présidentiel, Kabila avait procédé à des coups calculés pour tromper la vigilance de ses interlocuteurs. D’abord, il avait accepté le principe d’organiser les élections dans le délai constitutionnel tout en sachant lui-même que les moyens logistiques feraient défaut. Par la suite, les scrutins étaient organisés avec un retard deux ans après plusieurs reports.
Diviser pour régner
Ultérieurement, Kabila s’était assuré de contrôler la commission électorale (Ceni) présidée par Corneille Nangaa. Il a aussi habilement divisé ses opposants en concluant une série d’arrangements avec certains d’entre eux. Ensuite, il a placé ses fidèles à la tête des services de sécurité pour étouffer les actions de ses inflexibles adversaires politiques. Enfin, il a nommé des juges acquis à sa cause à la Cour constitutionnelle (qui est l’organe chargé de publier les résultats définitifs des élections). Et comme l’on pouvait s’y attendre, la Ceni publia les résultats annonçant une large victoire de la plateforme FCC (Front Commun pour le Congo) de Kabila aux législatives. Et fort de cette majorité parlementaire, le FCC contrôla la primature ainsi que deux tiers des portefeuilles dans un gouvernement de coalition formé avec le Cap pour le changement (Cach) de Tshisekedi (laquelle alliance fut dissoute en décembre 2020 avec la création d’une autre plateforme « Union sacrée » toujours autour de Tshisekedi).
Mais, quel rapport existe-t-il avec la stratégie de Felix Tshisekedi aujourd’hui ? En quoi Tshisekedi serait-il sur les traces de son prédécesseur ? Pour répondre à ces questions, intéressons-nous tout de même au contexte politique actuel en RDC et surtout à la séquence des mouvements du président congolais.
Des promesses de gascon !
Comme Kabila, Felix Tshisekedi fait actuellement face à des multiples pressions pour organiser les élections crédibles dans les délais légaux en 2023 en vue d’effacer les souvenirs des « élections controversées de 2018 ».Tshisekedi continue de promettre que les élections auront réellement lieu à temps. En effet le porte-parole du gouvernement congolais a même récemment déclaré qu’une partie d’argent prévu pour les élections de 2023 serait déjà disponible. Identiquement à Kabila, le président Tshisekedi a recomposé la Cour constitutionnelle en nommant des juges qui lui sont favorables en novembre 2020. Juste après cela, il a remanié l’armée et les services de sécurité en promouvant ses alliés. Ensuite, il a créé « l’Union sacrée » qui a engendré des divisions considérables dans les rangs de ses opposants de Lamuka et de ses ex-partenaires du FCC. Enfin, il a signé une ordonnance en octobre 2021 confirmant la nomination de Denis Kadima (à qui l’on reprocherait de lui être trop proche) à la tête de la Ceni en dépit des contestations de certains leaders religieux, de quelques membres de « l’Union sacrée » ainsi que des partis d’opposition.
Certes, d’aucuns arguerons que Felix Tshisekedi ne pourrait être sur les traces de son prédécesseur puisque le contexte politique actuel n’est pas tout à fait identique à celui qui prévalait au temps de Kabila. C’est un argument valide. Ceci parce que, à l’inverse de la situation à laquelle se trouvait Kabila, Tshisekedi a le droit de concourir aux prochaines élections présidentielles pour solliciter un second mandat. De ce fait, il n’a aucun intérêt de procéder au « glissement » (c.-à-d. retarder l’organisation des élections) comme l’avait fait son prédécesseur. Aussi, contrairement à son devancier, la « tactique du salami » de Felix Tshisekedi n’est pas assortie des méthodes de repressions brutales de ses opposants.
Néanmoins, comme cela se fait lorsque l’on a recours à la « tactique du salami », Félix Tshisekedi semble donc avoir de l’avantage sur ses adversaires politiques puisqu’il a délicatement avancé ses pions dans la perspective des élections prochaines.