L’actuel président Recep Tayyip Erdogan, candidat à sa propre réélection lors de la Présidentielle de ce dimanche 14 mai après vingt et un an au pouvoir, ne part pas favori d’après la plupart des sondages, traditionnellement peu crédibles, sur lesquels s’appuient les commentaires pour annoncer la victoire hautement probable de l’opposition.
L’état calamiteux de l’économie turque, le choc d’un tremblement de terre dévastateur, l’amenuisement du capital de sympathie acquis auprès de la classe moyenne, l’hostilité des partenaires occidentaux expliquent les inquiétudes du camp présidentiel. Il reste que le fait même qu’on puisse s’interroger sur une éventuelle défaite de Recep Erdogan « l’autocrate » démontre que le président turc, certes autoritaire, n’est pas pour autant un dictateur à la Poutine que décrivent beaucoup en France, dont l’entourage d’Emmanuel Macron, avec une hostilité à peine contenue.
Erdogan, un autre Poutine?
Une certitude, les chances du président Recep Tayyip Erdogan d’être réélu président, viennent d’être réduites par l’abandon de Muharrem Ince; le troisième homme de ce scrutin. Le retrait de ce dernier permet au principal candidat de l’opposition désormais unie de remporter la majorité dès dimanche ou de provoquer, le 28 mai, un second tour très serré. Kemal Kilicdaroglu peut jouer plus que jamais un « Tous contre Erdogan » ravageur pour le Président turc après vingt et un ans de pouvoir qui provoqueraient une certaine usure chez n’importe quel chef d’État.
Les élections présidentielles détermineront l’avenir d’un État clé en Méditerranéenne orientale. Ce pays possède en effet une économie, hier florissante, à l’intersection de l’Europe et du Moyen Orient, participe comme membre de l’OTAN et par son activisme diplomatique à l’équilibre mondial et évite à l’Europe de voir déferler trois ou quatre millions de Syriens qui, dans leur fuite de la dictature syrienne, ont trouvé refuge en Turquie. Les opposants d’Erdogan veulent faire croire que son éventuelle victoire abolirait tout obstacle sur la voie du despotisme. Rappelons que le virage brutal du régime turc en 2016 s’explique par la tentative avérée de coup d’état de la confrérie islamiste « Gulen ». Les cadres de ce mouvement fondamentaliste avaient investi l’armée, la magistrature et le coeur de l’État profond.
Les purges brutales de dizaines de milliers de fonctionnaires qui ont accompagné la riposte du président Erdogan ont fait obstacle à un Islam politique obscurantiste. Mais cela au prix d’une dégradation de l’image de la Turquie comparée sans discernement à la Russie de Poutine.
Pour l’instant et qu’on sache, le maitre du Kremlin n’a jamais été menacé comme l’est Erdogan par une élection présidentielle démocratique. Les observateurs de bonne foi reconnaissent le caractère non fraudé des scrutins qui ont eu lieu en Turquie en vingt et un ans. Tous, rappelons le, ont été remportés par Erdogan sans que l’opposition turque soit apparemment réduite au silence, comme c’est le cas à Moscou.
À l’occasion de cette Présidentielle, six partis d’opposition (dont un d’extrême droite et violemment anti kurde) se sont unis pour soutenir la candidature d’un candidat commun à la présidence, Kemal Kilicdaroglu. Cet ancien fonctionnaire a juré que s’il gagne, il restaurera l’indépendance des institutions de l’État, libérera les prisonniers politiques et renforcera les normes démocratiques.Qui vivra verra !
Une politique étrangère brillante
L’élection aura des conséquences sur la politique étrangère de la Turquie. Sous Erdogan, la Turquie s’est comportée comme un Etat non aligné, ce qui a parfois déconcerté ses alliés de l’OTAN. Le dossier ukrainien a permis au Président Erdogan, victime de son franc parler notamment dans ses relations houleuses avec le président français Emmanuel Macron, de se révéler en « faiseur de paix » et en négociateur hors pair. La Turquie est le seul pays qui est parvenu à entretenir des relations confiantes tant avec l’Ukraine qu’avec la Russie. C’est notamment sous la médiation d’Ankara et avec la bénédiction des Nations Unies que la Russie et l’Ukraine ont signé fin juillet à Istanbul un accord pour l’exportation de céréales.
On a surpris encore le président turc en visite officielle en Égypte, qui s’oppose pourtant à Ankara en Libye par alliés interposés. On l’a vu enfin en Arabie saoudite, un pays avec qui la Turquie était au plus mal depuis plusieurs années notamment en raison de la volonté d’Erdogan d’exercer un leadership, via l’islam, sur une partie du monde arabe. Or le président Erdogan s’était notamment rendu en Arabie saoudite en mai dernier rencontrer le roi Salmane mais aussi le prince héritier Mohammed ben Salmane. Ce qui aura été une rencontre que l’on peut qualifier d’historique.
Le Président Erdogan a aussi tiré profit de la position de la Turquie dans l’OTAN pour poursuivre le combat ancestral de la Turquie contre le séparatisme kurde soutenu par un mouvement de nature terroriste, le PKK. La Turquie s’est ainsi opposée à l’adhésion de la Suède qui offrait un généreux asile à des militants kurdes aux visées radicales.
La crise économique, talon d’Achille
L’économie est sans doute le principal talon d’Achille du président Erdogan, notamment après l’épouvantable tremblement de terre qui a ravagé une partie du pays, causé la mort de 50000 personnes et déplacé des dizaines de milliers de Turcs. e nombreux économistes attribuent l’inflation, qui a dépassé 80 % l’an dernier, aux politiques financières irréalistes conduites par le Président Erdogan dans son combat contre les taux d’intérêts galopants particulièrement risqué en période inflationniste.
Les déséquilibres économiques ont été aggravés par la fièvre présidentielle. De façon démagogique mais largement partagée par tous les dirigeants démocratiques du monde, le gouvernement turc a ainsi augmenté, avant les échéances électorales, le salaire minimum, gonflé les traitements des fonctionnaires, modifié la réglementation pour permettre à des millions de Turcs de recevoir plus jeunes des retraites et élargi les programmes d’aide aux pauvres.
Le charisme d’Erdogan
Les instituts de sondages turcs qui se sont révélés peu fiables dans le passé ont donné une légère avance à M. Kilicdaroglu, Il reste que le président Erdogan, malgré l’usure du pouvoir et un autoritarisme jamais démenti, reste populaire auprès de nombreux Turcs séduits par sa rhétorique nationaliste ottomane, sa fidélité à des valeurs islamiques dominantes dans la société et son charisme que personne ne conteste.
En se présentant comme un leader qui a accru la stature de la Turquie sur la scène mondiale, Erdogan a positionné un navire de guerre de construction turque dans le centre d’Istanbul, il s’est affiché comme le premier propriétaire de la première voiture électrique produite en Turquie et a observé, par liaison vidéo, la première livraison de carburant à une centrale nucléaire de construction russe près de la Méditerranée.
Le président turc sait également surfer en véritable animal politique sur la vague populiste. Lui et ses ministres ont attaqué l’opposition comme étant incompétente, soutenue par des puissances étrangères et cherchant à saper les valeurs familiales en élargissant les droits des LGBT.
C’est peu dire que Paris et Bonn comme Moscou et Washington, seront focalisés sur l’élection en Turquie ce dimanche en s’interrogeant sur la capacité d’Erdogan à résister aux mauvais démons d’une fraude massive dans l’hypothèse où il arriverait en deuxième position. Il ne fait pas pour autant sous estimer la capacité politicienne d’Erdogan qui a su, ces dernières années, utiliser toutes les ficelles constitutionnelles et transformer les crises les plus dures en de formidables opportunités politiques.
Certains diplomates évoquent un scénario où « une éventuelle défaite d’Erdogan s’accompagnerait d’une victoire au Parlement de l’AKP, ce mouvement présidentiel historique et soudé dont le soutien n’a jamais fait défaut au président turc ». Une façon parmi d’autres pour Erdogan de trouver une porte de sortie honorable après vingt et un ans d’un règne qui a redonné une forme de fierté à la Nation turque.
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