Philippe Bilger, magistrat français et Juge d’instruction, puis avocat général pense que l’heure des règlemetns de compte dans la gestion de l’épidémie du coronavirus n’est pas venu,
Il y a un consensus total sur le fait qu’il faudra faire les comptes. A cause de toutes les maladresses, imprudences, pénuries, imprévoyances, misères et surcharges politiques, économiques et sociales, de l’état angoissant de l’univers hospitalier et des tragiques carences que la montée du fléau révèle, du délitement des services publics.
En n’oubliant pas les méfaits de la mondialisation et l’exigence de la souveraineté.
La formidable énergie, l’incroyable dévouement de professionnels, dans la santé comme ailleurs – je songe aux policiers et aux gendarmes occupés à verbaliser parce que des irresponsables à l’île de Ré ou ailleurs ne veulent rien comprendre ni respecter – constituent un arbre qui cache la forêt.
Tout le monde s’accorde : il faudra faire les comptes.
La seule controverse porte sur le moment.
Certains, par exemple la talentueuse Elisabeth Lévy, considèrent que même en pleine crise du coronavirus on a le droit de questionner, de critiquer, voire de dénoncer, qu’on n’est pas tenu, par une sorte de décence, à la moindre obligation de réserve. Qu’on n’a pas à se priver de citoyennes récriminations quitte à affaiblir un mouvement qui doit être tout entier concentré sur le combat capital à mener.
D’autres dont je suis estiment au contraire qu’il est plus sage d’attendre la fin de ce qui menace et tue beaucoup trop pour qu’on se laisse détourner aujourd’hui par des révoltes périphériques. Mais demain il faudra faire les comptes, à tous points de vue et pour tous.
Nous sommes confrontés à une tragédie sanitaire inouïe mais conjoncturelle qui impose que l’ensemble des énergies soient bandées dans le même sens. Obéissance des citoyens et respect de ceux qui nous conseillent et nous sauvent.
Quand le fléau sera éradiqué, le temps sera venu des responsabilités à établir. En effet, tout ce qu’on déplore aujourd’hui permet de vérifier rétrospectivement la validité des revendications d’hier, notamment de la part du personnel soignant. On ne peut plus douter qu’il avait raison quand il mettait en cause l’absence de politique d’Agnès Buzyn et prévenait de la difficulté de gérer le quotidien et, bien davantage, des catastrophes qui se réaliseraient face à un pire inopiné.
Tout a été dit avant de ce qui est décrié à juste titre après. En amont le désastre était déjà plus que virtuel. En aval toutes les infrastructures et les services ont explosé.
Il faudra faire les comptes. Pas maintenant, au coeur de la tempête, mais la tranquillité revenue.
Alors, il sera hors de question que le pouvoir se défausse. La note sera à payer.
Philippe Bilger est un magistrat français. Juge d’instruction, puis avocat général, il est resté au service de la justice pendant près de quarante années, connu surtout pour avoir été responsable du service de la cour d’assises au sein de la cour d’appel de Paris. (Wikipédia)
Il est président de l’Institut de la parole.
*Source : Justice au singulier