Les civils ont perdu le pouvoir politique en Mauritanie depuis le coup d’Etat du 10 juillet 1978, et ils ne sont pas prêts à le reconquérir de sitôt. Une chronique de Cheikh Aïdara
L’élection au perchoir de l’Assemblée Nationale de l’ex-colonel Cheikh Ould Baya vient confirmer cette mainmise que les généraux mauritaniens veulent imprimer à la vie politique.
Bien qu’ils soient tenus au droit de réserve et que les lois en vigueur leur interdisent toute participation aux joutes électorales, les plus grands gradés de l’Armée sont au vu et au su de tout le monde, toujours aux avant-postes des campagnes aux côtés du parti au pouvoir. Leur détermination à conserver le pouvoir politique qu’ils ont conquis voilà plus de 40 ans, explique les transgressions multiples qu’ils impriment à la vie démocratique.
Ils sont soutenus dans cette aventure par une meute d’intellectuels et de cadres civils, cette fameuse élite digestive, dont la quête d’intérêts tribaux ou individuels, prime sur l’aspiration du peuple à prendre son destin en main.
Cet attelage militaire-civil a causé à la Mauritanie plus de torts que tous les déboires que le pays a essuyés durant toute son histoire, de la période postcoloniale à la période coloniale, en passant par la gestation postindépendance, jusqu’à l’indépendance en 1960. Les uns se nourrissent des autres, au détriment des valeurs intrinsèques auxquelles aspirent tous les assoiffés de la République, celles des institutions, des libertés, de la primauté du droit, de la séparation des pouvoirs, de la dignité.
Mort de la lutte politique
L’élection de l’ex-colonel Cheikh Ould Baya à la présidence de l’Assemblée Nationale vient ainsi tuer dans l’œuf les aspirations des partis qui tablent sur une alternance politique au pouvoir en 2019, alors qu’une telle perspective risque de ne pas se produire dans un avenir proche. Les militaires ne lâcheront pas le pouvoir, ils ne donneront rien gratuitement, car ils trainent trop de casseroles et ne vont jamais permettre à un pouvoir civil issu de l’opposition de venir leur demander des comptes sur leur gestion du pays pendant les derniers quarante ans.
La naïveté de notre élite politique réside dans sa vision manichéenne d’une élite militaire qui lui offrira un jour, surtout en 2019, les rennes du pouvoir politique sur un plateau d’argent. Seule la lutte âpre et sans concession, sous-tendue par une prise de conscience populaire, permettra de changer la donne. Pour le moment, la classe politique est totalement absente sur ce terrain de la revendication, clouée qu’elle est par la peur, peur des grenades lacrymogènes, peur des matraques, peur de la prison, peur de perdre le confort des bureaux feutrés et cette facilité de pondre des communiqués de condamnation laconiques, aussi inoffensifs qu’une coulée de pluie sur la cuirasse d’un hippopotame.
Pour le moment, seuls les militants du mouvement IRA, bien que non-reconnus, occupent le terrain de la contestation sociale et politique en Mauritanie. Qu’ils cessent d’occuper la rue, et le pays deviendra un havre de paix pour les militaires tenants du pouvoir, car les autres forces de la société civile, y compris les partis de l’opposition la plus radicale, sont mortes sur le plan de la lutte populaire. Aussi, les répressions dont sont victimes les militants d’IRA sont de plus en plus violentes, de plus en plus sanglantes, pour avertir tous ceux qui seraient tentés de revendiquer une quelconque once de droits, en particulier l’opposition. Et ça marche, car les ténors de cette opposition se tiennent cois et se contentent de gesticulations verbales et écrites qui ne changeront jamais la donne sociale et politique en Mauritanie.
Les missions de Cheikh Ould Baya
La désignation de Cheikh Ould Baya, au détriment d’un ressortissant des greniers électoraux de l’Est, (Ould Meimou a été pressenti), marque ainsi l’aplatissement de l’élite civile, ces sous-traitants des différents régimes militaires qui ont toujours obéi aux consignes et aux ordres. Car Cheikh Ould Baya a une mission à l’Assemblée Nationale.
Sa nomination aurait pour but de faciliter d’éventuels amendements constitutionnels ou d’une loi d’amnistie qui lavera les militaires de tous reproches. Il se peut également qu’il ait à jouer un rôle dans la transmission du pouvoir qui se prépare en 2019, entre un régime militaire sortant et un autre qui lui succédera. Ici, les supputations vont bon train, entre ceux qui le pressentent à la Présidence de la République et ceux qui avancent le nom de l’actuel Chef d’Etat-major des Forces Armées, Ghazwani, dont la mise à la retraite est imminente, certains avancent le mois de novembre prochain.
Dans tous les scénarios avancés, l’arrivée d’un président de la République civile en 2019 semble tout à fait exclue. A moins qu’un autre scénario ne se présente, celui d’un troisième mandat pour le président actuel.