La France n’a plus les moyens d’assurer à elle seule le maintien de l’ordre dans le Sahel, qui est trop vaste – ce n’est pas avec moins de 5000 hommes que l’on peut contenir des Jihadistes qui sont des héritiers des arsenaux de Mouammar Kadhafi. Russes et Américains en profitent pour tenter une OPA sur le pré carré français. Mais la France pourtant doit conserver la tête haute en Afrique où elle a un rôle particulier à jouer auprès de ces alliés et amis, dont le Président Mohamed Bazoum, qui comptent sur elle.
Une chronique de Xavier Houzel
Par principe, la France – qui en est à sa cinquième république – récuse les coups d’États. Le président Mohamed Bazoum a été élu démocratiquement, comme beaucoup d’autres chefs d’États Africains. Au-delà du principe, après plusieurs putschs successifs en Afrique de l’Ouest francophone, dont on ne peut pas dire que les résultats soient bénéfiques, la France ne peut plus fermer les yeux. Elle ne peut plus se permettre de lâcher en rase campagne encore un seul chef d’État légitime de la Francophonie – pour ne pas dire « de la Françafrique » ! Les derniers qui s’accrochent encore à leur mandat chercheraient alors, qui auprès des Russes, qui auprès du Commonwealth, un garant qui ne se dégonfle pas ou qui serait inacceptable.
Responsabilités françaises
Quand la France a eu besoin des voix des pays francophones dans une instance internationale, les pays membres de la « Françafrique » lui ont rarement fait défaut : c’est une affaire de parole, certes, mais aussi une question de réciprocité. Admettons que la France retourne sa veste par opportunisme – comme d’autres nations sont capables de le faire – son image serait à jamais ternie. La situation est cornélienne.
La France est accusée de tous les maux par des putschistes nigériens qui justifient leur « coup » par « la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale », mais sans autre forme de procès. C’est qu’il y a un loup ! Les zones d’ombre du coup d’État du 26 juillet et les non-dits de la Junte sont plus explicites que cet écran de fumée grandiloquent.
La France a une responsabilité spéciale que ni les Américains ni les Russes avec leurs gros sabots, ni les Anglophones traditionnellement pragmatiques, ni les pays méditerranéens du Nord de l’Afrique – tous d’anciens esclavagistes – n’ont envie de partager ! Contrairement à ce que publie « Le Monde », le positionnement ferme de la France ne se retournera donc pas contre elle ! Il ne fait le jeu des militaires qu’à court terme, c’est-à-dire dans l’immédiat. La concordance de temps est frappante entre les sommets de la CEDEAO, de l’Union Africaine et des BRICS. Les manigances auxquelles on assiste cachent l’écume de la mer. Une tempête les balaiera.
Des jeux de rôle
Le Franc CFA, auquel la France apporte une garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle (comme au Franc Comorien, d’ailleurs). Le Niger francophone enveloppe le Nigeria dix fois plus peuplé que lui de ses deux ailes d’hirondelle, la gauche au Cameroun et la droite par le Bénin et le Togo. L’équilibre qui en résulte depuis soixante ans et qui n’est pas seulement monétaire est fragile.
La réunion des chefs d’État et de gouvernement des pays membres des BRICS se tient à Johannesburg du 21 au 24 août : l’idée de créer une nouvelle monnaie commune figure parmi les dossiers qui seront étudiés lors de ce sommet. Le Franc CFA en sera l’une des premières cibles. L’Afrique du Sud est à peine sortie de l’Apartheid, l’Inde est un pays de castes, la Russie prône la supériorité slave et la Chine n’a pas d’avis sur la question, nonobstant l’isolement des Ouighours et des Tibétains, qui sont à la Chine ce que sont les Touaregs et les Peuls aux Haoussas de la vallée du Niger !
Et puis il y a le fait que la Francophonie a été baptisée à Niamey. Et pour la France, c’est beaucoup.
Certains diront même que le Pétrole découvert au Niger et qui devrait lui permettre d’exporter 100.000 barils par jour par le Bénin n’arrange pas les choses. La population nigérienne en bénéficiera. Le pays sera plus facile à diriger ; les candidats à la présidentielle seront pléthoriques. Les aides étrangères seront moins indispensables !
Les États-Unis hostiles à un second front
La CEDEAO ne fera rien militairement sans l’aval de l’Union Africaine, au sein de laquelle le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal pèsent le plus lourd. Mais la CEDEAO devrait avoir besoin de l’aval de l’Union Africaine (UA) pour agir et celle-ci – qui n’est pas très expérimentée – est présidée par le colonel Azali Assoumani, président des Comores, lui-même arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’État, le 30 avril 1999. Ce dernier s’abrite derrière une commission ad hoc, présidée par le Burundi, qui n’aura pas de position claire. Au mieux, l’UA se retournera vers l’ONU, son Conseil de sécurité où les Russes bloqueront, ou vers son Assemblée Générale, sans l’aval de laquelle une intervention militaire sera réputée illégale. On tournera en rond !
Peu importe le putsch – c’est une affaire banale, en réalité. C’est un processus en cours difficile à interrompre sans dommages et c’est devenu habituel. Rome et Berlin s’alignent déjà sur la position américaine. Adieu à l’Entente Cordiale d’autrefois (ce n’est plus un scoop) ! Aucun consensus autour de Paris au sein de l’Union Européenne n’est plus de mise. Washington dialogue directement avec la junte, à croire que les mutins ne lui sont pas tout à fait étrangers – pas inconnus en tout cas. Washington conservera la base stratégique d’Agadez, qui lui donne le contrôle aérien de l’ensemble du Sahel. Wagner n’aura pas cet avantage – mais il en aura d’autres moins conventionnels.
Ainsi, l’Amérique est opposée à une intervention militaire de la CEDEAO au Niger ; elle prend indirectement fait et cause pour les putschistes. Elle se dédouane de toute proximité avec la France dont le contingent est – pour l’instant – invité à déguerpir. Elle n’aura pas de mal à décourager ni les Anglais ni le Commonwealth (Nigeria, Ghana et dorénavant le Gabon) de pousser leurs pions plus avant. Un second front, qui chamboulerait de fond en comble le Sahel, n’est pas envisageable. Guignol ferme le rideau sous les applaudissements : les enfants ont compris que le père fouettard est le gentil et que les grands méchants loups sans lesquels la brebis n’aurait pas été mangée sont les vilains Russes et les Ricains.
Une crise financière mondiale
Tous les voyants sont au rouge. Ce n’est pas le moment de s’empoigner comme un « ramas de gâte-sauces » dans une arrière-cuisine ! Le Feu est à la maison. Il faudrait pouvoir l’arrêter. C’est pratiquement impossible.
Les Russes ont réussi leur raid sur l’OPEC. Ils animent les BRICS. Ils ont même déclaré la guerre : celle-ci est suicidaire ! Même si les Américains se désengagent de l’Ukraine, qui est un piège, et qu’ils se défilent comme ils savent le faire lorsque la population américaine se prend à le souhaiter en période électorale (America is back again), le mal est fait.
Les Russes garderont peut-être une jambe dans le Donbass pour jouer au basket avec la Crimée dans une mer fermée. La partie ne sera pas jouée pour autant, car ce jeu peut durer une éternité.
Cinquante-huit militaires français ont donné leur vie pour le Sahel – du sable chaud et des pistes – mais d’abord pour les hommes qui le sillonnent, des Touaregs bleus, des femmes et des enfants au sourire éclatant. Ailleurs, trois cent mille Russes et Ukrainiens sont morts pour un bras de fleuve de la Mer Noire. Pour rien !
Manigances africaines (1), l’Afrique ouverte à tous les vents