Le dogmatisme de certaines réactions internationales face au coup d’état menace la démocratie et la sécurité au Mali et comporte des conséquences désastreuses pour l’ensemble du G5 Sahel…
Une chronique de l’ancien Représentant spécial des Nations unies, Ahmedou ould Abdallah, actuellement président du centre4s.o
Après Niamey la semaine passée, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réuni à Accra, pour encore délibérer de la situation du Mali. Opposée aux changements anti-constitutionnels s’ils sont initiés par des militaires, la CEDEAO n’a pas une position unanime sur le cas du Mali. Un pays qui vit une situation sécuritaire et politique exceptionnelle.
Le Mali est paralysé par une profonde crise sécuritaire et politique depuis de nombreuses années. Une menace pour tout le Sahel. La difficulté de former un nouveau gouvernement post élections, avec ou sans le Premier ministre sortant, a été le déclic du coup d’Etat du 18 août, légitimé par de violentes manifestations régulières depuis le 5 juin 2020.Alors présent à Bamako, je fus, comme bien d’autres, surpris par le coup d’Etat.
Mais je le fus encore plus par l’automatisme de son rejet par des institutions régionales et internationales et quelques gouvernements étrangers. Bien qu’au creux des vacances d’août, la dénonciation du putsch fut générale, mécanique. Les sanctions se mirent à pleuvoir sur Bamako, plus destructrices que les pluies de l’hivernage.
Condamnations sans empathie pour les populations frustrées et meurtries par dix années de terrorisme, ni attention pour les dégâts liés à la Covid-19 ni, sensibilité à la vulnérabilité d’une armée mobilisée sur plusieurs fronts depuis 2012.
Pour des Maliens, cette rigueur est à sens unique. Exception faite d’une déclaration de l’ambassadeur d’Allemagne à Bamako, au cours de ses adieux, aucune démocratie ou institution internationale n’a interpellé ou condamné la gestion financière du pays. Les manœuvres autour des récentes élections législatives et nominations des membres de la Cour constitutionnelle ne firent l’objet d’aucun commentaire public.
Dans ce contexte délétère, la réponse internationale au coup d’Etat est apparue aux yeux des Maliens comme purement dogmatisme voire méprisante.
La réalité du Mali appelle à tenir compte de l’extrême précarité de ses institutions civiles et surtout militaires. Fragilisé par des années de guerre civile, particulièrement depuis 2012, le Mali est le foyer de multiples confrontations armées.Appuyée par les forces des Nations Unies et surtout celles,plus opérationnelles de la France, l’armée malienne peine face à la crise sécuritaire.
Le nombre des réfugiés, celui des déplacés internes et des victimes des violences inter-ethniques, ou liées au maintien de l’ordre, ne cesse de croître.
Le coup d’Etat du 18 juillet 2020 interpelle les démocraties et en premier lieu l’Europe et surtout la France, pays le plus présent dans la région. Engagée militairement et financièrement depuis 2013 au Mali et dans le Sahel, la communauté internationale s’enlise. Ses troupes y sont attaquées sur deux fronts : celui du terrorisme,des trafics et trafiquants en tous genres et celui,aussi pervers, formé par une partie active des opinions nationales et régionales opposée aux forces étrangères.
Ce contexte politico-militaire malsain, alimenté par les réseaux sociaux souvent manipulés, appelle à la vigilance et au rejet du dogmatisme. Un dogmatisme propice aux vraies ou fausses surenchères diplomatiques de la Russie, dont l’ambassadeur fut le premier à être reçu par la Junte, de la Chine et de la Turquie dont le ministre des Affaires étrangères vient d’achever une visite réussie à Bamako, Bissau et Dakar.
L’internationalisation de la crise, déjà engagée avec la présence de troupes étrangères, ne devrait pas l’être diplomatiquement. Un retour de la Guerre froide, ou d’un succédané, peut pousser le Mali et plus généralement tout le Sahel, dans une aire de plus forte instabilité. Ce danger ne devrait pas être sous-estimé. Les souvenirs des guerres civiles des pays voisins – Liberia,Sierra Leone et cote d’Ivoire – sont encore dans plusieurs mémoires.
Le coup d’Etat malien est plus complexe qu’il n’y parait. Il est le constat d’un échec de l’action politique et militaire menée depuis des années au niveau national. Il est aussi le constat des contraintes et limites de l’action militaire et diplomatique internationales dans un pays ethniquement divisé. Il est enfin le constat du risque d’implosion d’un pays assisté, sans cohérence effective entre acteurs extérieurs et nationaux. Comme naguère en Afghanistan, en Libye, Somalie ou Yémen.
Dans ce contexte, la meilleure assistance à fournir présentement au Mali est d’aider la cohésion de son armée ou pour le moins à ne pas la fragiliser davantage. Une transition dirigée par des militaires pour une période de 16 à 18 mois, pour au moins tenir compte des saisons de pluies, peut redresser le pays ou, au moins, à éviter son effondrement. Et celui de la crédibilité des acteurs internationaux.
Le dogmatisme menace la démocratie et la sécurité au Mali et comporte des conséquences désastreuses pour l’ensemble du G5 Sahel. Etant aussi à géométrie variable, il expose et fragilise les capacités dissuasives de leurs alliés extérieurs.
(*) Ancien Représentant spécial des Nations unies, Ahmedou ould Abdallah est actuellement président du centre4s.o