L’effet visuel de milliers de roquettes tirées depuis Gaza sur Israël a galvanisé les foules. La vulnérabilité d’Israël est apparue pour la première fois, en dépit de l’immense supériorité militaire tactique de son armée sur celle de son voisin palestinien. Le Premier ministre israélien Netanyahou a beau insister sur le fait qu’Israël s’est assuré ainsi cinq années de tranquillité, cette courte bataille a été suspendue sans que l’on sache vraiment comment la carte du Moyen Orient va être restructurée.
Joëlle Hazard, journaliste, réalisatrice et expert de cette région du monde a répondu aux questions de Monsdafrique
La Rédaction (LR) : les roquettes du Hamas semblent s’être épuisées d’elles-mêmes et les bombes israéliennes aussi. Peut-on dire qui est le gagnant de cet échange ?
JH : Personne n’est gagnant quand il y a autant de destructions et de morts pour rien. Comme je ne suis pas l’âne de Buridan, je vais être directe : l’armée israélienne a gagné – et cela n’a rien de surprenant. Elle était aux ordres et c’est l’une des meilleures du monde. Israël subit, en revanche, la deuxième défaite de son histoire après celle de l’été 2006 contre le Liban, pour deux raisons : la première, parce que ses chefs n’ont toujours pas appréhendé « les phénomènes d’adaptation réactive qui caractérisent les guerres actuelles » et qu’à l’inverse, le Hamas a su, de son côté, faire le contraire. La seconde – qui soulève un problème de morale et de légalité – parce que le conflit a été déclenché par convenance personnelle sans réflexion stratégique ni préparation politique par une autorité qui n’était plus fondée à agir, et surtout pas de la sorte
Ce que vous dites est grave.
JH : Je l’assume, parce que je respecte les soldats sous tous les uniformes, et que ceux-là ne méritent pas ceci : dans la nuit du 4 mai, le Premier ministre israélien échoue à former un gouvernement et il devient, le 5 mai, chef de l’opposition. Dès le lendemain, les évènements s’enchaînent : la police, des expulsions, un processus violent maintes fois décrit autour du quartier disputé de Cheikh Jarrah ; des soldats pénètrent dans un lieu de culte musulman en période de fête religieuse, ce qui déclenche, non seulement le soulèvement d’Arabes israéliens exacerbés par des meneurs dans plusieurs villes, mais aussi et par voie de conséquence, dès le 10 mai, l’envoi de roquettes sur Jérusalem à partir de Gaza.
L’armée réagit sous l’empire de la nécessité en appliquant un protocole préétabli. L’enclave de Gaza fait l’objet de tirs ciblés. En Cisjordanie, les affrontements entre Palestiniens et forces israéliennes feront 25 morts dont quatre adolescents, mais sans réaction, pour ainsi dire, ni de la part de l’Autorité Palestinienne ni du Hezbollah, jusqu’à ce que, au dixième jour, se fasse un silence perceptible partout : Israël vient de commettre une énorme bavure ! C’est une bévue pour l’État hébreu : le calcul de Trump est anéanti.
LR : Les chancelleries se sont pourtant agitées.
JH : Les voisins immédiats, oui, pour la beauté du geste et pour s’en approprier le mérite, comme il est classique de le faire quand les affaires sont pliées en marge de l’ONU. Il est clair que le président américain a intimé à Netanyahou l’ordre de ne pas laisser la troupe pénétrer dans l’enceinte de Gaza et qu’il l’a instruit d’en terminer au plus vite. Vous aurez remarqué les contorsions gênées des autres membres permanents du Conseil de sécurité. La discrétion de l’Iran – que les négociateurs américains ont avisé que leur président faisait le nécessaire – ne vous a pas échappé non plus.
LR : Mettons que vous ayez raison ! Quels sont les effets secondaires de ce choc frontal inattendu ? En Israël et en Palestine, d’abord
JH : S’agissant d’Israël, j’opterais pour une enquête qui mettrait fin à la carrière de Netanyahou, mais je conviens que cela ne serait pas le plus souhaitable. La Justice israélienne dispose d’assez de dossiers contre le personnage. Comme par miracle, les députés de la Knesset finiront par s’accorder sur un gouvernement d’union nationale quand il s’agira pour l’État Hébreu de mettre en œuvre la solution à « deux États » ; à titre de variante, le recours à des élections anticipées permettra d’ouvrir un débat désormais inéluctable.
LR : Côté Palestine, ce sera plus compliqué !
JH : Oui et non. Exit Mahmoud Abbas, ne serait-ce qu’en raison de son âge, mais pas avant qu’il n’ait organisé d’urgence les élections dont il avait depuis 15 ans repoussé toujours la date. Les discussions porteront avec Israël sur les conditions de cohabitation entre les riverains. Les problèmes à régler seront multiples et le plus crucial, la question de Jérusalem-Est, reste pour la région entière le point de fixation.
LR : Mais dans quel cadre une telle négociation se fera-t-elle sans heurts ?
JH : Laissons-les faire sans s’en mêler outre mesure ; comme il faut laisser les Iraniens et les Saoudiens discuter en tête-à-tête. Un mot du Hamas avant tout : Terroriste à ses heures, c’est un mouvement nationaliste plutôt qu’islamiste. Il a pris ses distances avec les « Frères musulmans »…. Même si Le Maréchal SISSI les assimile au mouvement d’El Banna qu’il combat et ne s’adresse qu’à l’Autorité palestinienne (AP). Les Syriens ont hébergé Khaled Mechaal pendant des années, et l’Iran chiite, qui n’apprécie pas particulièrement les disciples d’El Banna a soutenu le Hamas en tant que mouvement palestinien. Qui veut noyer son chien dit qu’il a la rage. Il nous faut voir le Moyen-Orient à travers un kaléidoscope nouveau, avec des couleurs à découvrir et d’autres formes que les clichés généralement admis. L’avantage du coup de pied qu’involontairement, Netanyahou a donné dans la fourmilière est qu’il a recentré le ballon pour donner au jeu une fluidité indispensable ; en s’excluant lui-même avec un carton rouge, il laisse la place à du sang neuf.
Il faudra du temps : la crise israélo-palestinienne n’est pas le seul obstacle à la paix dans la région.
JH : On s’était habitué à mettre en œuvre l’adage selon lequel « la meilleure solution d’un problème insoluble est l’absence de solution ». Mais cela ne peut plus durer : il y a dix à quinze millions de réfugiés qui ne savent plus où aller, sans compter ceux du Yémen. Le Liban, qui était un paradis, est un repaire de bandits. La Syrie, qui était un musée vivant, est une morgue sinistre ! Les villes saintes se muent en cités du diable. La Chine est à Persépolis, déjà aux portes de Palmyre. Stop ! Puisque tout est plus ou moins détruit, autant en profiter pour repartir sur des bases saines.
LR : il y a partout des élections.
JH : Il y a même une pandémie électorale : on élit aujourd’hui en Syrie, on élira demain en Israël et en Palestine et ainsi de suite, c’est bon signe. Faisons semblant d’y croire en fermant les yeux, car il ne faut pas seulement du pain, il faut aussi des jeux, et cela nous sert de jeu et cela nous sert de code ! La liste des candidats aux prochaines élections en Iran a été arrêtée hier. Le favori des sondages, est l’austère Ebrahim Raisi, un ultraconservateur qui n’a rien d’un comique ! Procureur implacable, gageons qu’il sera plus occupé à fustiger le relâchement des mœurs qu’à guerroyer contre ses voisins et qu’avec lui, le pays fera preuve de moins de prosélytisme à l’étranger. Je sais qu’alors, la République Islamique d’Iran et le Royaume d’Arabie saoudite seront faits pour s’entendre, de même que les Chiites avec les Sunnites, et les deux avec les Juifs.
LR : Vous êtes optimiste.
JH : Oui et non…Plutôt optimiste et pour la première fois depuis longtemps, grâce à la géniale inadvertance de ceux qui ont percé l’abcès de Gaza – Mahmoud Abbas par sa passivité et Benjamin Netanyahou par son agressivité – les deux pour conserver un pouvoir qui va se refermer sur eux. Mais plutôt pessimiste, parce que c’est sans fin : les rebelles houthistes font le siège de Marib, où ils mettent en péril les armées des monarchies du Golfe à l’endroit précis où, il y a quinze siècles, dans le Yémen préislamique, Juifs et Chrétiens se déchiraient pour la conquête du royaume de Saba. L’Histoire n’est qu’un éternel recommencement.