La situation au Sahel semble secondaire dans les préoccupations des décideurs internationaux. Ce désintérêt ne prend pas en compte la souveraineté des peuples, un facteur décisif pour assurer la stabilité de la région.
Abdoulahi ATTAYOUB, consultant (Lyon, France)
Voilà une dizaine d’années que le Sahel central (Mali, Burkina Faso, Niger) est plongé dans une violence jamais égalée à l’échelle de la sous-région. Violence multifactorielle qui prend ses sources dans un schéma de gouvernance post colonial qui n’a jamais été véritablement stabilisé. L’action des groupes dits jihadistes, dont les motivations profondes sont multiples, vient s’ajouter à d’autres tensions latentes apparues avec la création et l’indépendance de ces trois pays il y a plus de soixante ans.
Les violations des droits, et autres agendas divers, sont souvent couverts par une légalité internationale qui manque de cohérence et de volontarisme dans l’affirmation de son rôle de protection des populations. Ces manquements deviennent flagrants lorsque les nouveaux États se montrent structurellement incapables d’être à la hauteur de leurs obligations fondamentales qui justifient pourtant leur raison d’être et leur reconnaissance par la communauté internationale.
Les injustices demeurées impunies depuis des décennies ont fini de discréditer ces États aux yeux d’une partie de la population qui continue à n’avoir que des rapports de méfiance et de violence avec eux. Difficile en effet de persuader ces populations que les pogroms imputés aux groupes non étatiques sont réellement différents des massacres documentés commis par les États depuis des décennies. Les atrocités commises par l’armée malienne et ses milices dans les années 90 et celles qui se produisent aujourd’hui, toujours avec le concours de milices locales et aussi désormais avec l’encadrement de mercenaires étrangers, ne sauraient demeurer impunies et les responsables souvent nommément identifiés devront requérir également l’attention des juridictions internationales.
Les images insoutenables qui circulent actuellement sur les réseaux sociaux et largement reprises par les médias, confirment encore une fois l’absence totale de déontologie et d’éthique au sein de l’armée malienne. La communauté internationale ne peut continuer à fermer les yeux devant les défaillances d’Etats qui ne sont plus en mesure de protéger les populations, voire qui s’en prennent à elles en raison de desseins inavoués
Le rapport de ces populations à l’Etat est arrivé à un tel degré de délitement qu’il sera difficile de faire l’économie d’une véritable refondation nationale basée sur une redéfinition des constantes identitaires inclusives et consensuelles.
La remise en question de l’héritage colonial permettrait de corriger les erreurs et réparer les injustices qui font le lit de l’instabilité chronique. Aujourd’hui, il apparaît que le choix jihadiste tout comme l’aspiration à une gouvernance véritablement démocratique sont des tendances lourdes qui transcendent finalement les appartenances communautaires. Ils indiquent une quête de repères et la recherche de la voie adéquate pouvant permettre l’émancipation et l’épanouissement des peuples. Les processus dits démocratiques expérimentés depuis le discours de la Baule ont montré leurs limites à tel point que ceux qui défendent la démocratie dans ces pays sont souvent à court d’arguments tellement la mal gouvernance a fait des ravages dans les esprits. Plus personne ne perçoit dans les faits la valeur ajoutée d’un régime présenté comme démocratique car les pratiques éprouvées en la matière n’ont rien à envier aux méthodes autoritaires oligarchiques, qu’elles soient l’œuvre de pouvoirs civils ou militaires. Ainsi, on entend aujourd’hui de plus en plus de voix affirmer sans ambages que « la démocratie n’est pas faite pour l’Afrique ».
Les pseudos démocrates nationaux et internationaux se taisent quand des régimes qu’ils ont labellisés « démocratiques » commettent les exactions les plus horribles et s’adonnent à la gabegie la plus insolente. Situation d’autant plus regrettable que les victimes d’exactions ne désespèrent jamais d’être entendues par la communauté internationale et comptent sur sa protection.
Lorsqu’un régime atteint un certain niveau d’autoritarisme, de gabegie et de clanisme, il lui est difficile de se faire regretter, quand bien même par ailleurs celui qui lui succède tarde à offrir des perspectives rassurantes et l’espoir d’une amélioration tangible de la gouvernance politique.
Il s’agira probablement pour les Sahéliens d’inventer une forme de gouvernance authentique qui traduise effectivement la volonté des peuples et qui respecte leurs droits et libertés. C’est à ce moment seulement que l’on pourra parler de régime véritablement démocratique. Le Niger, par exemple, n’a à l’évidence pas encore connu un tel régime. Les gens sont fatigués du raccourci qui consiste à penser qu’un régime civil est forcément démocratique et soucieux du bien-être des populations. Les expériences récentes affaiblissent considérablement cette argumentation aux yeux d’une majorité de la population.
Les populations abandonnées à leur sort par la communauté internationale devront inventer une nouvelle forme d’organisation leur permettant de se prendre réellement en charge et d’accéder non pas à une souveraineté revendiquée par des États défaillants ayant démontré leurs limites mais à une réelle souveraineté des peuples, fondés à dire au monde la forme d’organisation garantissant un terme à leurs souffrances. Cela ne pourra se faire que par une approche renouvelée privilégiant le souci de cohésion entre les communautés, le respect de leurs diversités et l’affirmation d’une gouvernance vertueuse, expurgée des considérations toxiques souvent exogènes qui la minent depuis si longtemps.