En rappelant son ambassadeur à Paris après la diffusion d’un documentaire très orienté sur le Hirak, « Algérie, mon amour », le pouvoir algérien surfe habilement sur les divisions souvent masquées des mobilisations populaires en Algérie
Tandis que le réalisateur et les protagonistes de « Algérie, mon amour » étaient lynchés sur la toile, par les internautes conservateurs mais aussi par quelques figures connues du Hirak (voir notre papier-, le régime devait se frotter les mains. Le lendemain de la diffusion du documentaire, le gouvernement de Mr Abdelmajid Tebboune a fait savoir qu’il a décidé de rappeler «immédiatement en consultations, son ambassadeur en France».
L’armée algérienne offensée!
Dénonçant «le caractère récurrent de programmes diffusés par des chaînes de télévisions publiques françaises, dont les derniers en date et ceux passés sur France 5 et la Chaîne Parlementaire LCP, le 26 mai 2020, en apparence spontanés» le communiqué officiel estime qu’«ils sont en fait des attaques contre le peuple Algérien et ses institutions, dont l’ANP et sa composante, la digne héritière de l’Armée de libération nationale (ALN)». L’armée algérienne offensée, il fallait y penser!
Pour Alger enfin, «cet activisme où l’inimitié le dispute à la rancune dévoile les intentions malveillantes et durables de certains milieux qui ne souhaitent pas l’avènement de relations apaisées entre l’Algérie et la France, après 58 ans d’indépendance, et ce dans le respect mutuel et l’équilibre des intérêts qui ne sauraient faire l’objet de concession ou de marchandage».
Cette réaction diplomatique, certes un peu archaique, suppose que les télévisions françaises soient dans main du pouvoir -ce qui n’est plus le cas depuis la défunte ORTF voici quelques dizaines d’années. Les autorités algériennes qui censurent et emprisonnent les journalistes semble penser que le gouvernement français pourrait librement interdire la diffusion d’un reportage. Le discours officiel algérien est toujours hors sol par rapport à un monde qui a changé.
Il reste que le gouvernement algérien, en quête d’une impossible légitimité face à une société algérienne qui ne le reconnait plus, n’a pas raté le coche qui s’est offert à lui.
Des témoins mis à mal
L’initiative diplomatique du pouvoir algérien ne manque pas d’habileté. En effet les jeunes algériens que l’on voit dans ce documentaire qui évoquent, à visage découvert, leurs émois sexuels et amoureux, n’ a pas manqué de provoquer d’innombrables relations hostiles sur la Toile. Et pour deux raisons au moins.
La première est qu’apparemment le réalisateur, responsable des pages télé du journal le Monde, n’a pas flouté les auteurs de ces témoignages dont certains dénoncent publiquement qu’on ait pu ainsi trahir leur anonymat. Dans une société aussi imprégnée de valeurs religieuses, les propos qu’ils tiennent ne peuvent que susciter l’hostilité de leur entourage.
Parti pris suspect
La seconde raison de la bronca déclenchée par le film est qu’il déforme très largement la réalité du Hirak algérien beaucoup plus divisé que ne semble le montrer le film. Les préoccupations intimes des quelques jeunes algériens interrogés, miroir complaisant des jeunesses occidentalisée, ne correspondent pas aux réalités sociales et culturelles des mobilisations du peuple algérien très largement imprégné par des valeurs sociétales conservatrices
Un pays où un discours anti français sommaire fait toujours recette verra dans ce malencontreux documentaire, salué par l’ensemble de la critique en France, une raison de plus de se méfier des initiatives venues du Nord de la Méditerranée.