Pour Tim Hughes, président d’Agir ensemble pour les droits humains, le sommet pour les économies d’Afrique, qui a lieu ce mardi 18 mai à Paris, fait des Africains les grands absents de ce débat essentiel. À l’instar de ce qui se passe au Congo Brazzaville
Le 18 mai, se tient un sommet financier pour venir en aide aux économies africaines frappées par la crise sanitaire mondiale. Il faut « absolument inventer » un « New Deal du financement de l’Afrique » a déclaré le 27 avril le président Emmanuel Macron, à l’occasion de la visite à l’Elysée de son homologue congolais Felix Tshisekedi. Et de plaider pour des « solutions profondément novatrices » pour contrer le ralentissement économique du continent africain.
Mécanismes de renflouement des banques centrales, allègement de la dette publique ou appui au secteur privé devraient composer la boîte à outils des mesures annoncées lors de ce sommet. Mais comment faire en sorte que ces soutiens contribuent effectivement à l’amélioration des conditions de vie des populations les plus vulnérables face à la récession annoncée ? De nombreuses organisations de la société civile africaine pointent régulièrement le décalage entre l’octroi de l’aide étrangère, et sa traduction en actions concrètes. Le “New Deal” du président Macron, qui entend depuis le début de son mandat associer davantage la société civile dans sa politique africaine, prend-il en compte leurs voix?
Ces derniers mois, l’organisation Agir ensemble pour les droits humains a porté son attention sur la République du Congo. En amont de la présidentielle du 21 mars, qui a connu peu d’écho dans les médias occidentaux, Agir ensemble a mené une campagne de plaidoyer et de sensibilisation sur les droits humains pendant cinq mois. Et ce pays d’Afrique centrale est un exemple édifiant de mauvaise gestion des richesses : mal gouvernance, pauvreté persistante, capture de la rente pétrolière … Ces maux s’imbriquent à l’autoritarisme , aux dépens du plus grand nombre.
La gestion opaque du pétrole, cause du mal-développement
Le Congo est un pays généreusement doté en ressources naturelles. Plus de la moitié de la richesse produite provient aujourd’hui de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), une entreprise publique. De 2012 à 2018, elle n’a réalisé que 123 millions de dollars de bénéfices pour des ventes de pétrole estimées à 5,7 milliards de dollars. Ce qui lui vaut d’être qualifiée de “boîte noire” par Global Witness. Simultanément, sa dette a augmenté de 741 millions de dollars sur la même période selon l’ONG britannique.
A qui profite cet endettement ? Vient-il compenser les chocs pétroliers dans ce pays fortement dépendant des hydrocarbures? La baisse des cours entamée en 2014 a pourtant provoqué la suppression de plus de 50 000 emplois en trois ans ainsi que l’augmentation de l’extrême pauvreté dans ce pays où près d’un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Et ce, malgré les 680 millions d’euros octroyés au Congo par l’Agence française de développement (AFD) depuis 2009. A l’évidence, la population ne profite pas de la richesse produite.
Une dette colossale qui condamne les générations futures
En 2010, le Fonds monétaire international (FMI) accordait au Congo un allègement de dette conséquent de 1,9 milliards de dollars. Mais le pays a au fil des années perdu la confiance de l’institution. En août 2017, Brazzaville a menti au FMI sur le montant de son endettement, qui s’élevait non pas à 77% mais à 120% du PIB. En juillet 2019, cinq ans après la chute des cours du pétrole, l’institution financière a consenti à accorder un plan de sauvetage de près de 450 millions de dollars pour aider le Congo à faire face à « la pire crise financière de son histoire ». Mais le FMI avait conditionné cette aide à une transparence budgétaire accrue. Résultat, seuls 45 millions de dollars ont été versés à ce jour, soit un dixième du montant prévu. Et mi-avril, à peine réélu pour une 4e mandat successif, le chef de l’Etat Denis Sassou Nguesso a eu la désagréable surprise de se voir refuser un nouveau déblocage financier par le FMI.
En 2020 la dette publique représentait 12,5 milliards de dollars, soit environ 100% du PIB. De surcroît, la pandémie a contraint le pays à réduire de près de 100 000 barils par jour sa production de pétrole après que l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) a décidé de fixer un nouveau quota pour répondre à la baisse subite de la demande. Par conséquent, le PIB congolais s’est contracté de 9,3 % en 2020.
La capture des ressources
Dans le même temps, une grande partie des deniers publics sont capturés par le clan au pouvoir et détournés avec la complicité de sociétés étrangères, comme l’illustrent quantité d’affaires. La population est la première victime de cette situation. Outre la confiscation de la rente pétrolière qui vide les caisses du budget et les prive d’une éventuelle redistribution des richesses, la privatisation des sociétés nationales d’eau et d’électricité à des entreprises chinoises et turques en 2018, dans le but de renflouer les caisses de l’État, a par exemple provoqué une nette dégradation de leurs services. L’endettement du pays a par ailleurs accentué la pauvreté. Les retraités et les étudiants pâtissent particulièrement des retards de versements de leurs pensions et bourses.
Ce territoire riche en ressources naturelles voit ainsi son potentiel paralysé par une corruption institutionnalisée et un régime autoritaire qui verrouille le système, obstruant toute possibilité de réforme ambitieuse, dans l’indifférence apparente de la communauté internationale.
Outre la redistribution de la richesse issue du pétrole, le Congo peine aussi à diversifier l’économie nationale et à créer un environnement favorable pour les affaires. Catégorisé comme à haut-risque pour les investisseurs, il se classe au 180e rang des économies ayant créé un environnement favorable aux affaires selon la Banque mondiale.
Il est regrettable qu’une participation de la société civile notamment du réseau Publiez ce que vous payez n’ait pas été envisagée pour le sommet du 18 mai sur le financement des économies africaines à Paris. Par ailleurs, il aurait été de bon ton d’y présenter les modèles de bonne gestion de ressources naturelles comme le Botswana ou la Norvège : stabilité, alternance des dirigeants, redistribution des richesses issues des ressources naturelles, etc. voilà qui aurait été innovant pour la République du Congo.