Le scrutin du 15 mai revêt une dimension existentielle qui dépasse largement le cadre réducteur de la petite politique politicienne ou partisane. Ce qui est en jeu aujourd’hui c’est le visage et l’identité du Liban, son rôle dans cette partie du monde, son régime libéral, son pluralisme socio-communautaire, sa libre entreprise, son attachement aux valeurs humanistes, son ouverture sur les horizons occidentaux et arabes, sa neutralité face aux guerres et conflits au Moyen-Orient … En deux mots, sa Raison d’être.
Une chronique de Michel Touma, journaliste libanais
Face à un tel enjeu existentiel, les calculs purement partisans, les egos surdimensionnés, ainsi que les aversions personnelles à l’égard de tel ou tel leader, ne doivent nullement avoir leur place. Car plus que jamais, les Libanais sont appelés à opérer un choix fondamental, historique, entre deux orientations politiques diamétralement opposées, deux projets de société, voire deux visions radicalement différentes de la vie et de l’Homme. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’ouvrage de référence sur le Hezbollah écrit par le « numéro deux » du parti, cheikh Naïm Kassem.
En clair, les électeurs se doivent de choisir entre le projet hezbollahi de société guerrière, satellite des pasdarans iraniens, d’une part, ou le projet d’un Liban libéral, pluraliste, neutre, ouvert sur le monde, d’autre part. Pour reprendre la désormais célèbre formule lancée par Walid Joumblatt, il s’agit de choisir entre « Hong Kong et Hanoï ».
L’importance de cet enjeu explique le regain d’agressivité que manifeste à plus d’un niveau le Hezbollah, lequel prend pour cible en fonction de la conjoncture du moment les principaux obstacles majeurs qui se dressent sur la voie de son projet de société. Il s’en prend ainsi de manière épisodique, tantôt à l’armée et son commandement, tantôt à Bkerké, ou aussi aux deux grandes formations locales qui entravent l’accomplissement de son rôle régional, les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste – sans compter, sur un tout autre plan, les pays du Golfe.
Dans le contexte électoral actuel, le Hezbollah mène sa bataille sur plusieurs fronts. Il tente d’abord d’isoler le PSP et, surtout, de provoquer l’implosion du courant sunnite souverainiste – conduit aujourd’hui par Fouad Siniora et Achraf Rifi. Afin d’atteindre ce double objectif, il a boosté ses suppôts druzes bien connus de tous, d’une part, et, d’autre part, il semble avoir implanté en milieu sunnite plus d’un Cheval de Troie par le biais de pôles électoraux locaux qui se sont découverts subitement, à quelques mois des élections, une vocation de contempteurs du Hezbollah, de manière à dévier ou à neutraliser une bonne partie de l’électorat sunnite souverainiste, désemparé par le lâchage de Saad Hariri.
Parallèlement, le parti pro-iranien s’emploie à mater par la violence physique et morale l’opposition chiite émergente, comme il le fait d’ailleurs à chaque échéance électorale. C’est ainsi qu’à Sarafand, au Liban-Sud, les membres d’une liste opposée au Hezbollah ont été empêchés manu militari de tenir un meeting électoral pour annoncer leur programme politique. A Baalbeck-Hermel, autre fief du Hezbollah, trois candidats chiites sur la liste soutenue par les Forces libanaises ont été contraints, sous l’effet de fortes pressions, de se retirer de la course tandis que deux autres candidats, également chiites, de la même liste ont essuyé des tirs nourris d’armes automatiques pendant qu’ils tenaient, chacun de son côté, un meeting électoral dans un village de la Békaa, l’un d’eux ayant été par la suite sauvagement tabassé, au point de perdre connaissance.
Au niveau de la composante chrétienne, parallèlement à la campagne soutenue contre les Forces libanaises – relancée dans le prolongement de l’agression milicienne du Hezbollah contre Aïn el-Remmané, en octobre dernier – le « parti de Dieu » axe principalement ses attaques électorales, de manière ponctuelle et localisée, sur quatre cibles symboliques, dans le but évident de défendre et préserver sa couverture chrétienne : il multiplie les actes d’intimidation contre Farès Souhaid, qui ne cesse de stigmatiser ouvertement l’emprise iranienne sur le pouvoir ; il diabolise Michel Moawad et la Fondation René Moawad de manière à bien marquer son soutien à Sleiman Frangié ; il tente d’isoler le candidat des FL à Baalbeck-Hermel, Antoine Habchi, afin de bétonner son fief dans la Békaa en coupant court à toute jonction entre le courant souverainiste chrétien et une opposition chiite qui se fait de plus en plus entendre ; et, quatrièmement, il cherche à provoquer la chute du principal candidat FL au Metn, Melhem Riachi, en vue de renflouer dans cette circonscription son grand allié en perte de vitesse, le Courant patriotique libre.
L’ensemble de ces manœuvres aux plans sunnite, chiite, druze et chrétien, sont, certes, d’ordre tactique et ponctuel, mais leur réalisation permettrait au Hezbollah de faire avancer ses pions sur l’échiquier afin de consolider ses positions et de défendre son rôle au service de la stratégie expansionniste du nouvel empire perse.
C’est à la lumière de cette perspective régionale que l’électeur libanais est appelé aujourd’hui à opérer son choix afin de faire barrage à la mission régionale du Hezbollah … Car il y va de la souveraineté de l’État central et de la préservation des fondamentaux qui sont à la base de la spécificité particulière du pays du Cèdre.