Le 11 février, le 40e anniversaire de la révolution iranienne 

Marjane Satrapi, 2022.

Le 11 février marque l’éviction du chah, alors massivement soutenue par le peuple iranien, qui croyait à l’avènement de la gouvernance démocratique. Comment imaginer que l’ayatollah Khomeiny donnerait le pouvoir absolu aux religieux chiites

Une chronique de Hamid Enayat

Bien que ce système ait duré 44 ans, il a toujours été profondément impopulaire. Les griefs contre le régime théocratique n’ont cessé de proliférer, liés à des tendances de répression et de corruption qui ont depuis longtemps dépassé celles du régime du chah. Ces dernières années, la situation économique s’est détériorée au point que la grande majorité de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, tandis que la richesse nationale s’est concentrée de plus en plus entre les mains d’un petit nombre d’entités, la plupart entièrement détenus par ou étroitement affiliés au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI).

Ce paramilitaire pur et dur a été fondé peu de temps après la révolution dans le but déclaré de sauvegarder et d’exporter les principes islamistes purs et durs du régime. Conformément à sa mission principale, le CGRI a tiré parti de son empire financier pour accroître la répression du peuple iranien ainsi que pour étendre sa portée dans la région environnante et dans le monde en général.

D’innombrables expatriés iraniens ont demandé que le CGRI soit reconnu en tant qu’entité terroriste. Beaucoup d’Iraniens se réuniront à Paris à l’occasion de l’anniversaire de la révolution pour manifester en faveur de l’interdiction mondiale de l’organisation. Les organisateurs de l’événement, pour la plupart des partisans de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, ont décrit cela comme la première et la plus fondamentale des étapes vers la mise en œuvre d’un ensemble de politiques plus affirmées à l’égard de la République islamique dans son ensemble.

De nombreux décideurs politiques occidentaux ont approuvé avec enthousiasme les propositions d’une telle désignation, y compris des membres du Parlement européen qui ont voté à 598 voix contre neuf en faveur d’une résolution non contraignante sur ce sujet. Mais malheureusement, la direction de l’UE traîne les pieds, le chef de la politique étrangère Josep Borrell déclarant même publiquement que l’organisme n’a pas le pouvoir d’imposer la désignation de terroriste tant que le CGRI n’a pas été reconnu coupable de terrorisme par le pouvoir judiciaire d’un État membre.

Même si l’on prend cet argument au pied de la lettre, il ne devrait pas être difficile d’obtenir rapidement une telle décision. Les activités terroristes du CGRI sont bien connues dans le monde entier, et l’organisation elle-même ne fait que les tentatives les plus superficielles pour nier sa culpabilité. Ainsi, le problème n’est pas de présenter les preuves nécessaires à une décision de justice ; c’est l’absence générale de volonté politique de poursuivre une telle décision dans cet endroit. En d’autres termes, la justification de Borrell pour l’inaction de l’UE est basée uniquement sur une inaction préexistante.

Cette hésitation de longue date a contribué à renforcer un sentiment d’impunité au sein du régime iranien, et en particulier dans les rangs du CGRI. L’attente de Téhéran vis-à-vis du silence occidental a mis en danger la vie des dissidents dans le pays et à l’étranger.

L’Organisation des Moudjahidine du peuple, qui a guidé bon nombre des manifestations récentes par le biais de son réseau d' »unités de résistance », a signalé que plus de 750 manifestants ont été tués par le régime, principalement par la milice Basij du CGRI, depuis le début du soulèvement au milieu du septembre après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, aux mains de la « police des mœurs » de Téhéran. Parmi les morts figurent plus de 70 personnes âgées de moins de 18 ans. Au moins 30,0 00 autres ont été arrêtés et plus de 100 ont déjà été inculpés de la peine capitale par un système dans lequel le CGRI exerce fréquemment une influence sur les procédures pour obtenir les peines les plus sévères possibles pour les crimes de « sécurité nationale ».

Jusqu’à présent, quatre personnes ont été exécutées en lien avec le soulèvement, et il y a de bonnes raisons de croire que les meurtres s’accéléreront à moins que les manifestations ne cessent ou que la communauté internationale n’intervienne pour limiter la capacité du régime à réprimer son propre peuple. La première alternative semble très improbable après plus de quatre mois de défi courageux de la part d’Iraniens ordinaires et d’unités de résistance organisées. Il ne reste plus qu’à voir si les États-Unis et leurs alliés prendront des mesures pour empêcher un massacre.

Leur réponse au rassemblement à venir à Paris pourrait être un signal fort dans un sens ou dans l’autre. La communauté des expatriés iraniens transmettra des demandes d’action très spécifiques, y compris celles, comme la proscription du CGRI, qui sont déjà à l’étude par l’UE depuis des semaines. Si les décideurs politiques jugent bon de prendre ces demandes au sérieux, ils devront y donner suite immédiatement. Et s’ils le font, et mettent ainsi de côté les tendances conciliatrices des quatre dernières décennies, alors la dictature théocratique de l’Iran ne sera pas longue pour ce monde.

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)