Les Québécois sont les initiateurs francophones d’une réédition des « Ecrits Polémiques » de Louis Ferdinand Céline il y a cinq ans.
Conscients des problèmes supplémentaires que les rééditions potentielles de ces écrits allaient lui occasionner après la guerre, Céline les avaient purement et simplement interdites. Ce que son épouse Lucie Destouches a jusque la appliqué à la lettre. Si Rémi Ferland, le patron de la toute petite maison d’édition Huit, à Montréal, les a ressortis en 2012, c’est tout simplement parce qu’au Canada, ces écrits étaient tombés dans le domaine public. 50 ans au Canada après la mort de l’auteur. 70 ans en France. Par contre, au Canada comme en France, il n’y a pas prescription sur les droits moraux…. et Madame Destouche a fait usage de ses droits: à l’époque, elle a bien mis en demeure l’éditeur québécois et a exigé que la commercialisation directe des « Ecrits Polémiques » soit impossible en France et dans l’Union Européenne.
Cela dit des versions anciennes étaient encore disponibles chez les bouquinistes et des éditions numériques circulaient sur Internet.
Céline est venu au Québec en 1938 où il avait un public et des lecteurs parce qu’il y a eu des fascistes au Québec, chemises brunes et noires qu’il rencontra d’ailleurs lors de ce voyage selon des témoins dans une salle de Montréal remplie de croix gammées. Le chef du Parti National Social Chrétien, Denis Arcand, se félicite alors de sa visite. Ses livres -dont « Bagatelle pour un massacre » et « l’Ecole des Cadavres » où il se dit « très ami d’Hitler » qu’il soupçonne tout de même de mollesse vis à vis des Juifs- circulent alors librement au Canada. « Et les cosaques viendront à Brive la Gaillarde…. Un seul pays au monde résistera encore un siècle, celui où les curés sont rois, le Canada, le plus emmerdant de tous les pays… mais j’irai, je servirai la messe. J’enseignerai le catéchisme. Il n’y aura pas le choix si on veut sauver ses…. et moi j’y tiens à mes… » disait 2 ans avant de venir pour la seconde fois au Canada celui qui était passé à deux doigts du Prix Goncourt quelques années auparavant.
Ici, les « Ecrits Polémiques » ont donc été de nouveau publiés en 2012. C’est un énorme pavé de plus de 1000 pages que l’on peut se procurer pour 60$. Le tirage initial était de 400 exemplaires et jusqu’à aujourd’hui, après 6 tirages, il s’en est vendu en tout et pour tout moins de 2500 exemplaires. Peu de choses. Il y a donc fort peu de chance, qu’aujourd’hui comme hier, ce soit un succès commercial et que les gens se précipitent dans les librairies pour dévaliser les comptoirs.
Ce qui frappe, vu de Montréal, c’est la façon dont le brouhaha autour du projet Gallimard est passée sous le tapis au Québec. Le livre est sur la place publique sans avoir provoqué ni émotion ni scandale. Pourtant la « publication Gallimard » de mai 2018 sera très exactement la publication québécoise de 2012. Sans retrait. Sans ajout autre que les commentaires d’un des meilleurs spécialistes de l’écrivain français: Régis Tettamanzi qui a déjà travaillé sur l’édition critique de Céline dans la Pléiade et qui figurent déjà dans l’édition québécoise. Il y a bien eu ces temps derniers des articles et des interventions sur le sujet dans les radios et les quotidiens d’ici mais elles sont pour la plupart antérieures aux interventions gouvernementales françaises et à la déclaration du 1er ministre Philippe qui semble avoir mis le feu au poudre…. Ces compte rendus ne sont en tous cas pas destinés à rouvrir un débat qui n’a pas eu lieu mais à rendre compte de ce que les « cousins français » sont capables d’inventer autour de la réédition de livres écrits au vitriol il y près de 80 ans….. Dans le quotidien « le Devoir », le quotidien de l’intelligentsia ici, j’ai retrouvé le papier éditorialisé de 2012: « Louis-Ferdinand Céline: Abus de mémoire ? Le retour inattendu des pamphlets interdits de l’écrivain français par un éditeur québécois »…. On ne peut pas dire que ce soit le point de départ d’une rébellion intellectuelle….