Sale climat en Tunisie où des diatribes haineuses sont proférées sans relâche dans l’enceinte de l’Assemblée des représentants du peuple. Une chronique de Wicem Souissi
Quand il n’y a pas de foin au râtelier, les chevaux se battent, dit le proverbe bordelais. A bout de souffle, l’état catastrophique de l’économie tunisienne, qui ne laisse guère entrevoir de marges de manœuvre budgétaires, contribue à dégrader le climat au Parlement où des échanges violents entre députés.
En pleine discussion de la loi des finances complémentaire, et alors que l’on ne sait pas encore depuis les élections législatives du 6 octobre quels partis sont dans la majorité et quels autres sont dans l’opposition, les altercations prennent des tours des plus vifs, frisant continûment la diffamation. Il faut reconnaître que la situation est assez ubuesque : placés devant l’urgence de voter faute de quoi les salaires des administrations publiques du mois de décembre ne seraient pas versés, les députés fraîchement élus doivent discuter avec un ministre des Finances issu de la précédente législature…
Un émiettement parlementaire
C’est que Habib Jamli, désigné depuis somme toute belle lurette pour former un gouvernement fait du surplace, un immobilisme qui est imposé par la difficulté de rassembler une majorité dans un émiettement parlementaire sans précédent où le parti arrivé en tête, le mouvement islamiste Ennahdha, ne compte pas plus du quart des députés dans son giron.
Difficile aussi, depuis le Perchoir du Bardo, d’avoir l’assise suffisante pour contenir des échanges débridés lorsque le président de l’Assemblée, Rached Ghannouchi, élu avec les voix du parti, Qalb Tounès, de l’adversaire des islamistes à l’élection présidentielle, Nabil Karoui, demeure, en même temps, non pas seulement un adhérent, mais le président d’Ennahdha.
C’est de ce fait également que le groupe résiduel de l’ancien régime Ben Ali, le parti destourien libre de Abir Moussi, accentue résolument, jusqu’à la caricature, son opposition à ce qu’il assimile à des représentants en Tunisie des Frères musulmans du Caire. Traités, en pleine séance, de clochards par une députée nahdhaoui, ses collègues destouriens répliquent par des propos racistes, et entament un sit-in ouvert au sein de l’Hémicycle.
Spectacle affligeant, images désastreuses de haines ranimées, on pouvait croire que des sommets avaient déjà été atteints durant les législatures antérieures où, par exemple, la simple évocation des assassinats non élucidés de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, leaders de gauche, sous les gouvernements d’Ennahdha pouvait enflammer les discussions. Mais tout porte à croire qu’on a encore rien vu, tant il est vrai que, manifestement, la notion même d’intérêt général ne semble guère primer sous la coupole, laissant ainsi libre cours aux expressions partisanes les plus démagogiques.
La sanction électorale a éliminé l’ancien premier parti de Tunisie, Nidaa Tounès, a diminué sérieusement le nombre de députés d’Ennahdha, ou encore a réduit à quasiment rien les partisans du toujours chef de gouvernement, Youssef Chahed?
Autant de cures d’amaigrissement qui n’ont pas vraiment d’effet dissuasif sur les nouveaux élus prèts à en venir aux mains.