Phare supposé du journalisme français de « validation », l’AFP vient de commettre un article sur Mohammed VI qui mélange le vrai, le vraisemblable et le totalement faux sur la foi de témoins anonymes et d’articles de journaux étrangers. Sur fond d’une incompréhension grandissante entre les régimes français et marocain et après d’autres campagnes de presse depuis Paris où on a vu des medias proches des services français éplucher la fortune des proches du Roi du Maroc. Cette offensive de l’AFP provoque de fortes réactions de plusieurs journaux marocains dont une sur le site « Barlamane » que Mondafrique publie dans un souci d’information de nos lecteurs
Il faut lire, et attentivement. Car c’est seulement en soulevant les habits de l’écriture encadrée du factuel que le biais apparait chez l’Agence France Presse (AFP), les partis-pris subissent une « mise en forme agencière » les dotant de l’autorité des apparences.
Selon l’AFP, le retour du roi au pays « semble destiné à répondre aux interrogations des médias étrangers » qui, eux seuls, édictent l’agenda d’État. L’objectif, selon Omar Brouksy, journaliste et universitaire, est de « rétablir l’autorité du pouvoir monarchique, qui passe moins par le fonctionnement régulier des institutions que par la présence physique du roi ». En son absence, le pays est placé en cessation d’activité. La lumière est éteinte. Le gouvernement, décor en carton-pâte, est démonté pour être repeint. Les chantiers sont à l’arrêt. La décision publique est reportée au lendemain. La circulation automobile cesse. Les navires sont mis en rade. Les aéronefs reviennent dormir dans les hangars. Les ambassades sont converties en maisons d’hôtes pour compenser le coût de l’inactivité. Les hôpitaux tombent malades. Tout s’immobilise.
Une agence à la remorque
En consacrant toute une dépêche au thème principal d’un article paru dans The Economist, l’agence étatique française, qui emploie des centaines de journalistes, abandonne sa fonction primaire, en amont de la chaîne de l’information, pour adopter une attitude suiviste, volontiers à la remorque. Nous ne trouvons dans la dépêche de l’AFP aucun questionnement sur la véracité des informations parues dans le tabloïd britannique, pourtant presque entièrement attribuées à d’anonymes sources, ce qui rend le travail de recoupement nécessaire. À l’inverse, l’AFP conforte The Economist en recourant au même procédé: celui des « commentateurs » anonymisés qui, à l’instar du père absent du ragued, sont les fantômes commodes des journalistes, des stratagèmes d’attribution de paternité. C’est ainsi qu’on lit que « d’après certains commentateurs, une partie du sérail partagerait les interrogations des journaux étrangers sur l’absence du roi ».
La citation de Omar Brouksy n’apporte ni éclairage explicatif, ni supplément d’information à l’ensemble. Elle ne sert qu’à mettre une distance énonciative entre l’AFP et l’opinion exprimée, à former une opinion sans en avoir l’air, et surtout, sans avoir à l’assumer. Mais l’opinion est bien là. Les choix de qui et que citer ne sont pas des opérations neutres. Sélectionner une phrase d’une vingtaine de mots d’un article qui en comporte plus de mille six cents revient à effectuer un choix, à consommer une décision et à prendre parti. En se référant à un article publié par un ancien de la maison qui aujourd’hui évolue en dehors, l’AFP opte pour une source prévisible, et dont les vues sont tout à fait alignées avec les siennes. Un système parfaitement circulaire, où les anciens alimentent les nouveaux en prêt-à-publier, pour gagner quelque reconnaissance en retour.
Mais il faut sauver au moins les apparences, car les journalistes de l’AFP « visent la neutralité, l’absence de préjugés ou de préférences », promet la charte éditoriale de l’agence. Ce sera l’opinion et son contraire. On appelle à la rescousse un fragment tronqué d’un article du Maroc Diplomatique. Là encore, on sélectionne deux phrases d’une soixantaine de mots d’un texte qui en compte plus de six cents, et les plus véhémentes plutôt que les mieux argumentées. Et, au contraire d’un Brouksy qui « explique », l’auteur de Maroc Diplomatique« opine » selon l’agence. Voici que l’AFP distribue une autorité explicative aux uns et la retire aux autres, selon l’alignement des opinions avec ses propres convictions, celles-là même qu’elle essaie de nier en les puisant dans un article paru dans un journal tiers; en les « mettant dans la bouche » de Brouksy, pour rester dans le jargon.
Soubresauts diplomatiques
Les chefs du bureau local de l’AFP se succèdent sans se ressembler. Preuve de l’inconstance de la ligne de l’agence, le Maroc vit avec les directeurs de l’antenne marocaine les mêmes soubresauts que dans ses relations étrangères: telle période est marquée par un traitement équilibré de l’information Maroc, telle autre par une hostilité déclarée; tel chef de bureau, ayant connu les affres de la guerre, sait ce qu’est réellement un pays dysfonctionnel ou en conflit armé, tandis que tel autre, habitué au confort de quelques capitales le plus souvent européennes, ou ayant passé la majeure partie de sa carrière à domicile, charrie avec lui une bible de généralités françaises sur le Maroc, qu’il s’empresse de prêcher une fois le pied posé sur le tarmac de Rabat.
Dans le contexte des crises bilatérales, ils choisissent leur camp: l’orthodoxie de Paris plutôt que les vues de Rabat. Car, les directeurs du bureau local n’en restent pas moins profondément, foncièrement français. Ils baignent dans l’univers mental de la métropole, prêchent ses vues et ses certitudes; des messagers de la Marianne. Diplomates sans en porter le titre, ils nous ont ainsi habitués à de brusques poussées d’adversité, chaque fois que les relations franco-marocaines connaissent des turbulences. La corrélation est quasi-parfaite.
Que sont les correspondants dans tout ça ? Désireux de faire partie de la haute hiérarchie journalistique, le travail en agence internationale étant perçu comme un marqueur de prestige, plus soucieux du maintien de leur poste et des privilèges auxquels il donne accès que de la nature de l’emploi, les correspondants marocains de l’AFP mettent leur conscience sous séquestre, et évitent de froisser les stéréotypes et les poncifs éditoriaux des patrons. Et puis, que vaut bien l’image d’un pays face à des facilités d’accès à un visa de longue durée ? Alors, moudre de la copie sans vagues.
Attendu d’eux qu’ils corrigent, contrebalancent et nuancent les clichés figés de leurs supérieurs, les recrues locales choisissent à l’inverse de les conforter dans leurs convictions. Ceci, quand ils ne les partagent pas en partie, le jeu étant d’emblée faussé: le bassin de recrutement privilégié de l’AFP se situe dans un espace interstitiel où profession journalistique et milieux militants se rencontrent.
Un éclair de lucidité
Il arrive qu’un correspondant prenne son métier un tant soit peu au sérieux. Il est rapidement confronté aux limites du système. Car l’AFP est un système doté de codes et de règles, où les nations sont informellement hiérarchisées. Elles tirent de leur rang l’importance consacrée aux événements qui y prennent place. Il suffit, pour s’en convaincre, de s’intéresser aux dépêches « portant » (plus qu’elles ne sont consacrées) à un pays comme le Maroc: l’homologie est presque entière entre rang et thèmes couverts, soit le jour sous lequel le pays apparaît dans la carte de l’information mondiale. Tel pays important se verra consacrer une conséquente équipe; les dépêches passent en priorité; les sujets sont diversifiés, portent sur l’économie, le culturel, le social et le politique. Tel autre, qui par malheur géographique se situe en Afrique, n’est qu’un foyer de problèmes insolubles, un couvoir de conflits potentiels, perpétuellement en sursis de guerre civile, que des gens manifestent (pacifiquement) le premier mai, ou que son chef d’État s’absente.
Cette attitude dédaigneuse, affichée au niveau central par la direction parisienne de l’agence, et au niveau régional, par les desks disséminés un peu partout dans le monde, à de quoi décourager même les plus motivés. À quoi bon proposer un grand angle réfléchi, s’il sera rejeté ou sévèrement charcuté par le desk de Nicosie ? Qui, dans l’immense monde francophone, voudrait lire un article solidement documenté sur le Maroc ? C’est simplement beaucoup de temps de cerveau pour une nation secondaire. Incités à produire du lapidaire, du sensationnaliste et du faux, les correspondants s’adaptent. Alors, faire du journalisme de combiné téléphonique et de citations piochées sur le net. De l’agrégation de contenu. Du Mohammed VI absent par-ci, quelques scandales par-là. Sursimplifions pour répondre aux désidératas de Paris et de Nicosie. Ne grattons jamais la surface.