La diplomatie de Donald Trump bouscule l’Europe

Les dirigeants européens ont vu leur univers tanguer au premier jour de l’élection de Donald Trump. L’Europe et les États Unis sont-ils restés les alliés qu’ils ont toujours été ou sont-ils devenus des adversaires? Amis ou ennemis? Personne à ce jour ne peut répondre à cette question tant le Président américain tient un discours changeant sur ses intentions. Les déclarations provocantes, voire insultantes, de la Maison Blanche laissent entrevoir quelques lignes de force diplomatiques aux antipodes des approches occidentales traditionnelles et montrent une volonté de combattre plus que de rassembler.
Emmanuel Macron s’est fait fort de convaincre Donald Trump de la justesse des positions européennes sur l’Ukraine. Vraiment?
Lors de sa rencontre avec le président américain, le lundi 24 février, et lors de leurs deux conférences de presse communes, Emmanuel Macron a adopté une posture audacieuse mais intenable en jouant une hypothétique complicité avec Donald Trump, tout en tenant,  sur l’Ukraine notamment, des propos aux antipodes de son interlocuteur américain. L’avenir dira à quel point cette mise en scène a fait avancer la paix espérée entre Russes et Ukrainiens alors que les États Unis se sont alliés à la Russie, lundi à l’ONU, lors de votes sans précédent sur le conflit ukrainien, poussant leur idée d’une paix rapide sans condamnation de Moscou, ni défense des frontières de l’Ukraine..

Notons que le Mali qui avait rompu, l’été dernier, ses relations avec l’Ukraine coupable à ses yeux de soutenir les rebelles touaregs s’est rallié dans le vote de lundi à l’ONU aux États Unis et à la Russie, l’alliée des Maliens dans leur combat contre les groupes armés du Nord du pays. 

                                                     La rédaction de Mondafrique

Nous publions ci dessous une chronique d’Yves Mamou, un ancien journaliste du Monde, qui vient de créer un site sur la question du Moyen Orient
Vous pouvez vous abonner gratuitement à ce media très engagé et peu conformiste, mais dont les analyses tranchées sont toujours bien informées et font avancer le débat.

Donald Trump a été élu le 6 novembre 2024, mais il n’a pris ses fonctions que le 20 janvier 2025. Dans cet intervalle de presque trois mois, le Président-elect s’est bien gardé d’empiéter sur les prérogatives de l’administration Biden sortante. Il s’est tu. Mais il a laissé la bride sur le cou à Elon Musk, patron de Tesla, dont chacun savait qu’il allait occuper des fonctions importantes dans l’administration Trump.

Et le patron de Tesla a multiplié les « excentricités ». Lesquelles peuvent être considérées comme les jalons de ce que va être l’action diplomatique du président républicain.

La guérilla diplomatique d’Elon Musk.

Allemagne. Le 20 décembre 2024, au lendemain d’une attaque islamiste particulièrement meurtrière sur un marché de Noël allemand, Musk a appelé sur X le chancelier allemand Olaf Scholz à « démissionner immédiatement ». Il l’a également traité d’« Imbécile incompétent ».

Le même jour, Elon Musk a exprimé son soutien au parti Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne, affirmant que seul ce parti peut sauver l’Allemagne. Et le 9 janvier, Elon Musk a organisé sur X, un entretien d’une heure avec la chef de file de l’AfD, Alice Weidel

Déjà le 29 septembre 2023, Elon Musk avait dénoncé sur X, ces ONG allemandes qui recueillent des migrants à la dérive en Méditerranée pour les déverser en Italie. « Le public allemand est-il conscient de cela » avait demandé le patron de Tesla ?

Angleterre. Le 9 janvier, le Financial Times a accusé Elon Musk de chercher à faire tomber le Premier ministre britannique Keir Starmer avant les prochaines élections générales. Début janvier, Musk avait accusé Keir Starmer, ancien procureur général chargé des poursuites publiques, d’avoir volontairement minoré les centaines de milliers de violences sexuelles infligées à des jeunes filles mineures blanches de la classe ouvrière par des gangs d’origine pakistanaises.

Elon Musk a exigé une nouvelle enquête nationale, a qualifié M. Starmer de « totalement méprisable » et a déclaré qu’il devrait être « en prison ».

Musk a également soutenu Tommy Robinson, un activiste britannique qui cumule les peines de prison en raison des campagnes qu’il mène contre les gangs de violeurs pakistanais. Le 25 janvier Politico a annonçé que Musk avait payé les amendes infligées à Tommy robinson par la justice britannique.

Italie. Les relations entre Elon Musk et Georgia Meloni, premier ministre italien sont en revanche au beau fixe. Meloni, dirigeante du parti Fratelli d’Italia, a été élue Premier ministre en 2022. Son engagement en faveur de la lutte contre l’immigration illégale, lui a valu les faveurs de Donald Trump et d’Elon Musk. Le 16 décembre 2023, Elon Musk s’est déplacé à Rome pour assister au festival Atreju, un événement apparenté à l’”extrême droite” italienne depuis 2014 (il était plutôt associé à la droite auparavant). Organisée par Fratelli d’Italia, le parti politique de la première ministre Giorgia Meloni, la manifestation politique a déjà vu défiler Steve Bannon, Marine Le Pen ou Viktor Orbán. L’édition 2023, qui avait pour slogan « Bentornato Orgoglio Italiano » (le Retour de la Fierté Italienne), a misé sur la présence d’Elon Musk, en plus de la visite de chefs d’État étrangers.

En septembre 2024, Elon Musk a remis à Meloni un prix décerné par l’Atlantic Council de New York. Meloni espère apparemment que sa relation avec Musk donnera à l’Italie un rôle privilégié dans les relations des États-Unis avec l’Europe. SpaceX, la société de M. Musk, est également en pourparlers avec le gouvernement de Mme Meloni pour fournir des communications militaires sécurisées via son réseau de satellites Starlink.

Le 20 janvier 2025, J.D Vance a pris le relais d’Elon Musk.

Lors de la Conférence sur la sécurité qui a eu lieu du 14 au 16 février, à Munich, J.D. Vance, vice-président américain, a poursuivi – officiellement cette fois – le travail de déstabilisation d’Elon Musk. Il a déclaré aux dirigeants européens que leurs démocraties étaient imparfaites et que la plus grande menace à laquelle l’Europe était confrontée n’était pas extérieure : elle était intérieure. Autrement dit, JD Vance a accusé les dirigeants européens de représenter eux-mêmes un danger pour leurs compatriotes.

Pour l’administration Trump, la Russie ou la Chine menacent moins l’Europe que l’immigration de masse, la censure des opposants, le refus d’écouter les électeurs sur la question de l’immigration et le barrage politique que les partis de gauche et du centre imposent aux partis populistes nationalistes. «Je peux vous le dire clairement : il ne peut y avoir de sécurité si vous avez peur des voix, des opinions et de la conscience qui guident votre propre peuple », a déclaré J.D Vance à Munich.

Le 11 février, JD Vance a quitté Munich pour Paris où avait lieu un sommet sur l’intelligence artificielle. Là, il a réitéré l’idée qu’en Europe, la menace intérieure était plus forte que la menace extérieure. « Une régulation excessive pourrait tuer un secteur en développement juste au moment où il prend son envol et j’aimerais qu’un air de dérégulation souffle sur les conversations lors de cette conférence. » Le vice-président américain a ajouté, « nous pensons très clairement que l’IA doit rester exempte de biais idéologique. L’IA américaine ne servira pas d’outil de censure. »

Et concernant les élections parlementaires allemandes du 23 février, Vance a appelé les politiciens allemands à abandonner le « pare-feu » mis en place contre les partis populistes. Le pare-feu fait référence à un accord entre les principaux partis pour ne pas gouverner ni collaborer avec l’Alternative pour l’Allemagne, ou AfD, un parti anti-immigration qui a recueilli 153 sièges et 20,8% des voix aux élections du Bundestag.

L’humiliation des élites européennes par la nouvelle administration américaine, s’est poursuivie à Munich, avec l’envoyé spécial de Trump pour l’Ukraine. Le lieutenant général à la retraite Keith Kellogg, a fait savoir sans détour que l’Europe (progressiste) ne serait pas autorisée à participer aux négociations sur l’avenir de l’Ukraine, même si Washington s’attend à ce que les forces européennes supervisent un éventuel cessez-le-feu et souhaite que l’Europe finance la reconstruction de l’Ukraine.

QUELLES CONCLUSIONS TIRER DE CETTE SERIE D’EVENEMENTS ?

Il n’y a pas de diplomatie américaine. Donald Trump mène un combat unique contre le progressisme, les partisans de l’immigration, et le wokisme… à l’intérieur et à l’extérieur des Etats Unis.

· Les alliés non conformes sont déstabilisés, voire brutalisés. Le premier ministre britannique Keir Starmer qui persécute à coups de procès et d’amendes les Britanniques qui protestent contre l’immigration musulmane a aujourd’hui compris qu’il ne sera pas considérés comme un allié. Elon Musk le lui a fait savoir.

Cette brutalité s’exerce à l’extérieur de l’Europe aussi. C’est sous la menace que Panama a rompu tous ses projets d’insertion dans la Silk and Belt Initiative chinoise. Pas question que le canal de Panama, un axe vital pour la sécurité des Etats Unis bascule dans la sphère d’influence chinoise. Le Canada et le Mexique se voient menacés de droits de douane déstabilisateurs s’ils ne font pas un effort pour endiguer le flux de drogue et d’immigration clandestine.

· Si la sécurité des Etats Unis l’exige, il est possible de sacrifier un allié. La sécurité des Etats Unis passe par le découplage de la Russie et de la Chine. Tel semble être le but recherché par l’accord de paix qui va être imposé à l’Ukraine. Il n’est pas dit que Donald Trump réussisse. Mais en attendant, pas question donc de continuer à financer la guerre en Ukraine. Donald Trump va négocier la paix directement avec Poutine …. Et tant pis pour elle si l’Ukraine y laisse des plumes.

· Aider autant que possible les forces de type MAGA en Europe. Trump et Musk ont noté qu’il existe en Europe des forces de type MAGA (AfD en Allemagne, RN et Reconquête en France..). Il les aidera donc à accéder au pouvoir. Les forces type MAGA déjà au pouvoir (Meloni en Italie, Orban en Hongrie) sont confortées.

· Trump veut une diplomatie axée sur l’identité des nations. Les élites progressistes ont affaibli l’Amérique en marginalisant les classes moyennes. Obama/Biden ne considéraient que deux paramètres, l’humanité toute entière et l’individu. Pour Donald Trump, l’Amérique ne redeviendra puissante qu’en s’appuyant sur les classes moyennes qui ont fait la force de la nation américaine. « Écoutez ce que votre peuple vous dit », a lancé J.D Vance aux dirigeants européens à Munich.

L’Amérique MAGA marque le retour des classes moyennes américaines – blanches, noires, latinos… mais fières d’être américaines – sur le devant de la scène politique. Et cette Amérique là veut s’allier à des nations qui ont une identité forte, et savent la défendre les armes à la main s’il le faut. Ce n’est sans doute pas un hasard si Benjamin Netanyahou, en pleine guerre contre l’islamisme du Hamas et du Hezbollah, a été le premier dirigeant étranger invité à la Maison Blanche.

Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique