« La communauté peule n’a jamais été aussi martyrisée »

Plusieurs personnalités de la communauté peule du Sahel ont interpellé Emmanuel Macron et ses homologues du G5 Sahel, à la veille du sommet de N’Djamena, affirmant que les Peuls sont victimes de crimes de guerre dans la région.

Les Peuls sont un peuple d’éleveurs, de tradition nomade, installés dans une quinzaine de pays en Afrique de l’Ouest et du Centre, du Sénégal au Soudan, où ils ont dirigé des empires théocratiques musulmans du XVIIe siècle au début du XIXe siècle. Minoritaires dans tous les pays où ils vivent désormais, ils sont régulièrement victimes d’exactions des armées nationales et de groupes d’autodéfense depuis que la guerre fait rage au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Certains d’entre eux, surtout en zone pastorale, ont rejoint les groupes djihadistes affiliés à Al Qaida et l’Etat islamique, dans des luttes qui doivent autant à la compétition pour les ressources en eau et en pâturage qu’au djihad.

Par Pr Gnalibouy Boureima DICKO, Maître Hassane BARRY, Dr Aly BARRY (Mali), Pr Fary Silate KA (Sénégal), Pr Issa DIALLO (Burkina Faso), Abdoua MAINASSARA (Niger), Ahmadou Ousmanou (Tchad).

« Excellences, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement du G5-Sahel et de la France,

Nous, soussignés, membres de la Communauté peule de la région du Sahel, avons l’honneur de vous adresser le présent appel comme contribution à la recherche de solutions pour la paix et la sécurité dans notre sous-région.

Excellences, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement du G5 Sahel et de la France,

A l’entame de la tenue de ce Sommet conjoint des chefs d’Etat du G5 Sahel et de la France à N’Djaména, Tchad, du 15 au 16 février 2021, sur la situation sécuritaire au Sahel, nous souhaiterions partager avec vous les préoccupations et inquiétudes des communautés peules de par le monde, ainsi que de toutes les personnes éprises de paix et de justice, par rapport à la gestion qui est faite aujourd’hui des problèmes sécuritaires dans les pays du Sahel.

Excellences, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement du G5 Sahel et de la France,

La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent est une lutte légitime, et elle doit être menée avec vigueur et sans concession, dans le respect scrupuleux des droits humains, dans l’équité et la justice pour toutes les populations victimes de ce fléau. Nous saluons les efforts des Etats du G5 Sahel, de la France et de tous leurs partenaires de la Communauté Internationale pour venir à bout du terrorisme et de l’extrémisme violent. Nous avons l’espoir que ces efforts seront couronnés de succès.

Cependant nous, cadres et membres de la communauté peule signataires du présent appel, ainsi que les hommes et femmes épris de paix et de justice, de même que les militants des associations et organisations dédiées à la défense des Droits de l’Homme, nous souhaiterions porter à l’attention de vos hautes autorités que nous observons, avec beaucoup de peine, le développement de la crise sécuritaire et certains aspects du déroulement des opérations de guerre contre le terrorisme, dans les pays du Sahel.

C’est pourquoi, Excellences, nous souhaiterions attirer l’attention de vos augustes représentations sur les considérations qui suivent.

D’abord, à notre entendement, la guerre contre le terrorisme doit mobiliser l’ensemble des populations des Etats concernés : autorités séculaires et religieuses, femmes, jeunes, notables, etc. Mais, ensuite, nous estimons qu’il n’y a pas de peuple ou d’ethnie d’essence terroriste ou djihadiste. Aussi, dans le cadre de cette lutte anti-terroriste, nous sommes d’avis qu’aucune communauté ne devrait être isolée, ciblée en tant que telle et faire l’objet d’attaques d’où qu’elles viennent pour la seule raison qu’elle est de tel groupe ethnique. Or, c’est ce qui arrive malheureusement, et assez souvent, à la communauté peule dans plusieurs pays du Sahel.

Pourtant, au vu des amalgames et autre stigmatisations contre les communautés peules, et au vu de leurs conséquences dramatiques sur le terrain, ainsi que des vigoureuses et multiples dénonciations qui s’en ont suivi, le Président de la République Française, Monsieur Emmanuel MACRON, avait averti au Sommet du G5 Sahel de Nouakchott 2020 que « les populations peules ne sont l’ennemi de personne ! »

Cette déclaration avait suscité, alors, de légitimes espoirs au niveau de beaucoup de communautés peules, quand au respect de leur droit à la vie et à la protection. Mais, visiblement, cet avertissement ne semble pas avoir été entendu. Et la communauté peule dans sa globalité n’a jamais été aussi martyrisée que dans la période actuelle, sous le prétexte de la guerre contre le terrorisme.

Des organisations internationales crédibles ont évoqué dans leurs rapports, des actes assimilables à des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui ne doivent pas rester impunis. Or, aujourd’hui, en toute objectivité, on peut affirmer que si l’on n’y prend garde un génocide sur la communauté peule peut survenir.

Convaincus que la clé des solutions réside moins dans les tueries que dans les actions de développement et de bonne gouvernance, nous attendons des pays du G5 Sahel, de la France et de tous leurs partenaires dans la lutte contre le terrorisme, qu’ils s’engagent solennellement et résolument, tout en combattant le terrorisme, à empêcher par tous les moyens un génocide dans la région du Sahel, voire ailleurs. Nous espérons que ce cri du cœur sera entendu, afin que les souffrances des populations soient abrégées.

Excellences, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement du G5-Sahel et de la France,

Nous souhaiterions bien que certaines personnalités ou organisations de la communauté peule puissent être écoutées et/ou impliquées pour apporter leur contribution positive, si modeste soit-elle, dans la recherche et la consolidation de la paix, de la concorde et du vivre ensemble au Sahel, dans la mesure où, dans cette grave crise sécuritaire, c’est aussi et surtout de la survie et de l’avenir des communautés peules dans le Sahel qu’il s’agit.

Sachant pouvoir compter sur votre bonne compréhension, nous vous prions de croire, Excellences, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement du G5-Sahel et de la France, à l’assurance de notre très haute et respectueuse considération. »