Kaïs Saïed, l’homme providentiel tenté par l’autoritarisme 

Un des lecteurs de Mondafrique qui veut rester anonyme nous envoie une chronique où il s’interroge sur la vraie nature du président tunisien, Kaïs Saïed

Généralement, la carrière des dictateurs commence toujours en se proclamant sauveur et en se faisant acclamer par le peuple comme étant « l’homme providentiel ». Tel semble être le cas du président tunisien Kaïs Saïed, qui est encore soutenu par une large partie de l’opinion tunisienne en raison de sa probité et de son retournement subit contre les partis politiques en général et Ennahdha en particulier, mais qui est de plus en plus contesté par la société civile et critiqué par les observateurs locaux comme étrangers, aux yeux desquels un régime autoritaire voire autocratique est en cours d’installation au pays de la « révolution du jasmin ».    

Confortablement élu avec près de 73% des voix, KaïsSaïed a effectué le 25 juillet dernier un revirement radical qui a indigné une classe politique discréditéeet inquiété les chancelleries occidentales : limogeage de Hichem Mechichi, le chef du gouvernement qu’il avait lui-même choisi, suspension des travaux du parlement pour un mois et reconduite depuis, levée d’immunité sur l’ensemble des députés, auto-attribution des pleins pouvoirs pour sauver le pays d’un « péril imminent », selon l’article 80 de la Constitution. Peinant et hésitant à nommer un nouveau chef de gouvernement, que les Tunisiens et les partenaires étrangers attendent encore, il vient, le 22 septembre, d’instituer par décret la concentration de tous les pouvoirs entre ses mains.

Dans ce basculement dans l’autoritarisme, Kaïs Saïed n’écoute plus personne: ni le peuple ni ses opposants politiques , ni ses alliés étrangers et notamment la France. Il dit ne prêter attention qu’à la voix du peuple (al-chaab yourid), mais en réalité, il n’écoute que le persiflage pernicieux de sa famille. Plus exactement son épouse et son frère, ainsi que leurs courtisans mutuels. Si l’épouse, une magistrate intègre, est incomparable si on la compare à la redoutable Leila Trabelsi, la femme du dictateur déchu Ben Ali, il n’en demeure pas moins vrai que son influence sur son mari est absolument déterminante. Une telle influence ne serait pas aussi grave si la magistrate en question n’était pas elle-même sous influence et si elle n’était pas manipulée par un homme d’affaires et de réseaux, qui a fait fortune sous le régime de Ben Ali avant de le trahir en 2011, et qui chercheraitaujourd’hui à nommer comme chef de gouvernement l’un de ses hommes, un certain Taoufik Charfeddine, éphémère ministre de l’Intérieur, un jeune avocat dont le seul mérite a été d’avoir contribué à la campagne électorale de Kaïs Saïed dans la région de Sousse. Pour un président qui prétend combattre et éradiquer les « voleurs » et les « corrompus », c’est plutôt un grand paradoxe !

Second membre de la famille que le président écoute attentivement, son frère Naoufel Saïed. Juriste comme lui, Naoufel est un « islamiste de gauche » qu’on dit assez proche du régime iranien. Là aussi, il s’agit d’un grand paradoxe puisque le président prétend combattre les islamistes d’Ennahdha qu’il accuse d’avoir confisquée la révolution tunisienne et d’avoir pillé les richesses du pays.

Kaïs Saïed ne semble pas très attentif à la situation sociale et économique de la Tunisie, qui est catastrophique et serait bientôt identique à la faillite financière et économique du Liban, si des mesures urgentes n’étaient prises. Dans un tel cas, c’est tout le système politique qui serait balayé par une révolte aussi brutale que celle de 2011. A commencer par Kaïs Saïed lui-même ! Plutôt que d’écouter les membres de sa famille et leurs kyrielles de courtisans, ce dernier serait mieux inspiré en choisissant comme chef de gouvernement un homme économiquement compétent, moralement intègre et suffisamment crédible auprès des instances économiques et financières internationales.

Par-delà cette urgence sociale et économique absolue, Kaïs Saïed devrait résister à la tentation dictatoriale, ne consentir au cumul des pouvoirs que de manière provisoire et uniquement pour réformer la constitution et les institutions sans sacrifier le moindre acquis démocratique du peuple tunisien, qui lui a fait confiance et qui n’attend plus maintenant de son président qu’il s’agite en chef d’Etat mais qu’il agisse en homme d’Etat.

Le président tunisien Kaïs Saïed tenté par un pouvoir sans partage